Révolution de Velours : 35 ans après, et un an avant les élections, un 17 novembre très animé à Prague
Célébré comme la « Journée de la liberté et de la démocratie », ce 17 novembre 2024, durant lequel a été commémoré le 35e anniversaire de la révolution de Velours dans l’ex-Tchécoslovaquie, a comme de tradition été le théâtre de nombreuses manifestations à Prague. Et confirmé l’importante division de la société tchèque à un an des prochaines élections législatives.
93 000 personnes ont commémoré, dimanche à Prague, sur l’Avenue nationale (Narodní třída), là où « tout » a commencé le 17 novembre 1989 et où se trouve aujourd’hui une plaque rendant hommage aux étudiants victimes de la violente répression de leur manifestation par la police, le 35e anniversaire de la révolution de Velours.
Le public aura été le plus nombreux vers 17 heures, à la tombée de la nuit, quand a été projeté le film intitulé « Svoboda nás spojuje » (« La liberté nous rassemble »), un court-métrage dans lequel sept personnes, chacune originaire d’une région différente de Tchéquie, d’âges et de milieux différents, se confient sur leur conception de la liberté, et quand, juste après, a été interprétée a cappella « Modlitba pro Martu » (« Prière pour Marta »), une chanson composée en 1968 peu après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie et qui, en 1989, est devenue l’hymne officieux de la révolution qui a abouti à la chute du régime communiste dans l’ancienne Tchécoslovaquie.
Ainsi donc, une fois encore, et peut-être un plus encore cette année en raison de l’anniversaire, ce 17 novembre, depuis les premières bougies déposées tôt le matin jusqu’au grand concert qui s’est tenu sur la place Venceslas dans la soirée, aura été une journée riche en émotions.
Mais, et là aussi comme le veut la tradition, une journée riche également en manifestations. La plus importante a été celle qui, dans l’après-midi, a rassemblé plusieurs milliers de personnes sur la place de la Vieille Ville. Appelée « Nous voulons rester le cœur démocratique de l’Europe centrale », cette manifestation était organisée par « Milion chvilek pro demokracii » (« Un million de moments pour la démocratie »), une association qui, il y a cinq ans de cela, avait su mobiliser jusqu’à 250 000 personnes lors de grands rassemblements contre Andrej Babiš pour réclamer sa démission lorsque ce dernier était encore Premier ministre.
Et puisque le même Andrej Babiš et son mouvement populiste ANO font figure, selon les sondages, de grands favoris des prochaines élections législatives qui se tiendront dans un peu moins d’un an, à l’automne 2025, c’est précisément pour exprimer cette crainte d’un retour au pouvoir de l’homme d’affaires milliardaire devenu dirigeant politique que cette manifestation avait été pensée.
« Les chiffres des dernières enquêtes d’opinion le montrent très clairement, près de la moitié des Tchèques sont inquiets pour le sort de la démocratie », a ainsi expliqué Marina Novotná Nachtigallová, présidente de « Un million de moments pour la démocratie ». À travers cette manifestation, les organisateurs entendaient avertir du risque de la montée en puissance des dirigeants autoritaires et d’une évolution semblable à celles observées dans la Hongrie de Viktor Orban et la Slovaquie de Robert Fico, deux hommes pour lesquels Andrej Babiš ne cache pas ses sympathies.
Puisque la révolution de 1989 en Tchécoslovaquie n’a pas été seulement la révolution des Tchèques, mais aussi celle des Slovaques, qui eux aussi célèbrent officiellement le 17 novembre comme la « Journée de lutte pour la liberté et la démocratie », de Slovaquie, donc, et de l’évolution de sa situation politique depuis le retour aux affaires dans le rôle de Premier ministre de Robert Fico il y a un an, il a également beaucoup été question tout au long de la journée de dimanche à Prague.
C’est ainsi que l’ancienne présidente Zuzana Čaputová a exprimé son soutien aux manifestants à Prague dans un message vidéo envoyé depuis Bratislava, tandis que de nombreux orateurs, tant pendant la manifestation sur la place de la Vieille Ville que durant le concert en soirée sur la place Venceclas, ont mis en garde contre l’installation possible au pouvoir de partis politiques qui restreignent les principes démocratiques ou la liberté des médias, comme cela se produit ces derniers mois en Slovaquie.
Une crainte que ne partagent toutefois très probablement pas les quelques centaines de personnes qui, un peu plus tôt dans l’après-midi de dimanche, s’étaient réunies devant le Musée national, en haut de la place Venceslas, pour exprimer leur mécontentement de voir le drapeau ukrainien continuer à flotter sur le bâtiment et leur rejet du soutien tchèque à l’Ukraine dans sa lutte contre l’occupation russe et plus généralement de la politique menée par la coalition gouvernementale de centre-droit dirigée par le conservateur Petr Fiala.
Un Premier ministre sifflé par ses opposants lors de son arrivée sur l’Avenue nationale et qui a justement profité de ce 17 novembre pour rappeler que si « avoir la liberté depuis 35 ans est fantastique », il était toutefois impératif que les partis qui forment actuellement le gouvernement remportent à nouveau les élections l’année prochaine pour faire face à la montée du populisme.
Un populisme qu’incarne aujourd’hui en Tchéquie, aux yeux de Petr Fiala et de beaucoup d’observateurs, essentiellement donc Andrej Babiš, mais alors que celui-ci a lui aussi souligné que le 17 novembre était d’abord « une fête de la liberté et de la démocratie », l’ancien Premier ministre très fortement soupçonné d’avoir collaboré avec la police secrète sous le régime communiste a lui aussi saisi la perche qui lui a été tendue par les journalistes sur l’Avenue nationale pour critiquer son successeur :
« Je suis vraiment désolé de voir à quel point notre société est totalement divisée, la haine est incroyable, et le Premier ministre [Fiala] y contribue jour après jour. Car si lui prétend qu’il existe dans notre pays des partis politiques qui veulent le retour du totalitarisme, moi, je ne connais aucun parti de ce type dans le système politique tchèque. »
Mais puisque ce 17 novembre est donc l’occasion pour tous en Tchéquie d’exprimer librement leurs opinions, le président de la République, Petr Pavel, membre du Parti communiste jusqu’en 1989, a pour sa part exprimé l’idée selon laquelle « plutôt que de crier sur l’Avenue nationale, il [était] bien mieux de proposer ce qui pourrait être amélioré » pour faire de cette fête de la démocratie autre chose en quelque sorte qu’un grand champ de foire :
« [Le 17 novembre] n’est pas un symbole abstrait, mais un rappel que pendant trente-cinq ans, nous avons eu la possibilité de construire notre pays et nos vies selon nos propres convictions. Ce que cette date est devenue aujourd’hui n’est pas seulement le reflet de ce qui a commencé le 17 novembre 1989, mais aussi des trente-cinq années qui sont passées depuis. Avec tout ce que cela sous-entend de bien et de mal. »