Revolver Revue – une arme contre la médiocrité

C’est en 1985 que sort à Prague, dans la clandestinité, le premier numéro d’une revue culturelle qui se veut indépendante et différente même des autres publications de ce genre publiées en samizdat. Ce périodique qui paraît d’abord deux puis trois fois par an, entrera dans l’histoire culturelle tchèque sous le nom de Revolver Revue, Magazine d’autodéfense culturelle. Aujourd’hui le nombre des numéros parus a déjà dépassé la centaine.

Une revue critique et multi-artistique

Le tirage du premier numéro de la revue ronéotypée qui sort en 1985 n’atteint que 50 exemplaires. Les membres de la rédaction qui travaillent dans des conditions rudimentaires doivent tout faire pour échapper à l’œil vigilant de la STB, la police politique du régime communiste. Le collectif éditorial est composé de trois membres : le journaliste Ivan Lamper, l’écrivain Jáchym Topol et le peintre et graphiste Viktor Karlík. Ce dernier évoque les circonstances de la naissance de ce magazine d’art :

« Revolver Revue a été l’aboutissement naturel de diverses activités de petits groupes de deux ou trois membres qui publiaient des textes en samizdat. Quelques-uns avaient une petite maison d’édition, d’autres collaboraient avec des éditeurs de samizdat. Revolver Revue est née par la fusion de ces activités. (…) Quand je me retourne sur le passé tout cela me semble tout-à-fait naturel. C’était semblable à la constitution de certains groupes de musique. Les gens se sentent proches d’une certaine manière, ils cherchent à faire des choses similaires et cela aboutit à la naissance d’un projet auquel tout le monde participe et qui se développe progressivement par la suite. »

Viktor Karlík,  photo: YouTube
C’est dans un cénacle d’écrivains, critiques, peintres et musiciens en général opposés au régime dictatorial que voit le jour le nouveau périodique. Ils discutent de littérature, d’art et de politique. Les sujets de leurs conversations, leurs idées et l’ampleur des thèmes traités ont un impact décisif sur le caractère multi-artistique de la revue qui est en train de naître. Après la chute du communisme en 1989, cet aspect du magazine de littérature et d’art se développe encore et restera son trait caractéristique jusqu’à nos jours. Ce qui ne changera pas beaucoup non plus, c’est sa forme graphique. Viktor Karlík qui est responsable du graphisme très soigné de la revue, rappelle que les éditeurs prêtaient une grande attention à cet aspect déjà dans les conditions rudimentaires des années 1980 où ils étaient obligés de travailler dans la clandestinité :

« Au début nous cherchions dans les conditions du samizdat à donner à ce périodique la forme graphique d’une véritable revue et non pas d’un tas de feuilles dactylographiées et reliées par une agrafe. Un autre objectif a été de fabriquer par des technologies de presse dont nous disposions le plus grand nombre possible d’exemplaires pour pouvoir distribuer la revue parmi le plus grand nombre possible de lecteurs. »

Les pièges de l’économie de marché

Lors de la chute du rideau de fer en 1989 la revue, déjà imprimée de façon professionnelle, sort en 500 exemplaires. N’étant plus obligés de travailler dans la clandestinité, ses éditeurs et le collectif de leurs collaborateurs décident de tenir le cap et n’entendent pas renoncer à leurs ambitions premières. Ils désirent toujours créer un périodique culturel sans compromis, publier des textes de qualité et jeter un regard très critique et irrespectueux sur la scène culturelle tchèque. La revue traverse une période difficile, se heurte à des difficultés financières et doit surmonter aussi le départ de deux de ses membres fondateurs Ivan Lamper et Jáchym Topol. C’est la spécialiste du théâtre Terezie Pokorná qui devient en 1993 rédactrice en chef et elle assumera ce poste jusqu’à nos jours. Voici comment elle compare la situation du début des années 1990 à celle d’aujourd’hui :

Viktor Karlík et Terezie Pokorná,  photo: Radio Wave
« Dans les années 1990, je percevais ce travail comme un effort pour maintenir la revue en vie et assurer son existence à l’avenir. De nos jours, la situation est dans une certaine mesure semblable, mais le choix des auteurs qui se spécialisent dans la critique d’art et réfléchissent de façon critique à la vie culturelle est beaucoup plus restreint. Vue sous cet aspect, la situation est donc bien pire par rapport au début des années 1990. Revolver Revue qui a toujours été un périodique intergénérationnel, avait dans les années 1990 toute une série de collaborateurs aujourd’hui disparus. (…) D’autre part, avec le temps, on s’est habitué à ce genre de difficultés : parfois nous manquons d’auteurs, parfois nous manquons d’argent. Pour moi, c’est un travail continuel que je veux faire et je ne réfléchis pas beaucoup sur ces différences. »

Le Supplément critique

Simultanément le collectif éditorial donne aux auteurs qu’il considère comme remarquables l’occasion de publier leurs œuvres dans une collection spéciale sous le logo de Revolver Revue. Les livres publiés dans cette série forment aujourd’hui une petite bibliothèque qui comprend à côté d’auteurs déjà célèbres des écrivains et poètes négligés par les grands éditeurs.

En 1995, Terezie Pokorná, Viktor Karlík et le nouveau membre de la rédaction Michael Špirit décident de réagir à ce qu’ils considèrent comme le déclin du journalisme culturel tchèque et de créer le Supplément critique de revue. Le supplément paraîtra trois fois par an jusqu’en 2004. Terezie Pokorná explique les racines de cette nouvelle initiative :

« Notre motivation essentielle a été le dégoût du niveau de la critique artistique et journalistique dans la moitié des années 1990, ce qui nous semble maintenant tout-à-fait absurde, parce que nous ne pouvons que rêver du niveau des rubriques culturelles de ce temps-là. A cette époque nous étions agacés par ce qu’on écrivait et comment on l’écrivait, mais maintenant nous n’avons presque plus de matière à réfléchir parce que ce genre de la rubrique culturelle digne de ce nom n’existe plus. »

Le centième numéro de la revue

A partir de 2005, Revolver Revue paraît quatre fois par an et devient donc trimestrielle. Son centième numéro paru en 2015 permet aux rédacteurs de faire une espèce de bilan d’un périodique qui au cours de ses 35 ans d’existence a fait ses preuves, et n’a perdu ni son caractère ni son intérêt. Une importante partie de ce numéro est consacré à ce qu’on appelle « L’affaire Kundera », scandale qui a éclaté après la publication par le magazine Respekt d’un article mettant en cause l’écrivain Milan Kundera dans une affaire de dénonciation au début des années 1950. L’affaire a soulevé un tollé en Tchéquie et en France et suscité beaucoup de réactions et de désinformations qui n’ont pas été démenties jusqu’à présent. Les collaborateurs de la revue Adam Drda et Jaroslav Formánek ont donc réuni les informations connues ainsi que les documents et les innombrables réactions dans la presse pour permettre au lecteur de se faire une idée sur l’affaire, mais aussi sur le débat passionné qu’elle a suscité et qui souvent manquait complètement d’objectivité.

Aujourd’hui la rédaction de Revolver Revue se compose de Terezie Pokorná, toujours rédactrice en chef, de Viktor Karlík, le seul membre fondateur d’origine, et de Marek Vajchr, critique et traducteur qui est membre du collectif éditorial depuis 2005. Voici comment ce dernier formule le programme toujours aussi simple qu’ambitieux de Revolver Revue :

Marek Vajchr,  photo: ČT Art
« Nous cherchons à ce que les critiques paraissant dans Revolver Revue se maintiennent à un bon niveau.(…) Il nous semble tout-à-fait naturel d’exiger que les critiques soient écrites dans une langue cultivée, que leurs thèmes soient concrets, qu’elles expriment des opinions claires et nettes de leur auteur et que ces opinions soient basées sur des arguments. Cela nous paraît comme les qualités fondamentales qu’il faut exiger d’un texte critique. »