40e anniversaire de Revolver Revue, le magazine d’autodéfense culturelle

Le premier numéro de la revue de l’année 1985
  • 40e anniversaire de Revolver Revue, le magazine d’autodéfense culturelle
0:00
/
9:37

Une revue littéraire comme arme pour défendre la liberté de pensée. C’est ainsi qu’on pourrait désigner Revolver Revue. Ce périodique qui se révolte contre la médiocrité et la bêtise, contre toutes sortes d’oppression et qui se définit comme le magazine d’autodéfense culturelle, fête ces jours-ci le 40e anniversaire de sa création. 

La littérature comme une arme

Viktor Karlík et Jáchym Topol avec le premier numéro de la revue Jednou nohou/Revolver Revue | Photo: Revolver Revue

En 1985, la Tchécoslovaquie est un pays occupé par l’armée soviétique, un pays paralysé par ce qu’on appelle « la normalisation » et qui n’est en réalité qu’un régime d’oppression politique et spirituelle. La StB, police secrète du régime totalitaire, veille à la conformité idéologique de la population et poursuit sans merci tous ceux qui osent la transgresser. Fonder dans cette situation une revue clandestine qui se veut libre d’esprit, est donc un acte de désobéissance et de courage. Terezie Pokorná qui est l’actuelle rédactrice en chef de Revolver Revue, évoque les circonstances de cette décision périlleuse :

Terezie Pokorná | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

« Revolver Revue a été fondé par l’écrivain Jáchym Topol, le graphiste Viktor Karlík et le journaliste Ivan Lamper et s’appelait d’abord Jednou nohou (Un pied dedans). Cela voulait dire que les fondateurs de la revue avaient déjà un pied en prison. A l’époque, la revue était publiée en samizdat et c’était donc une activité aventurière et dangereuse. On risquait de finir derrière les barreaux ou au moins de subir les interrogatoires rigoureux de la police. Par la suite, on a changé de titre et à partir de ce moment-là, nous avons eu Revolver Revue. On estimait que ce nouveau titre qui comprend trois r, exprimait une certaine combativité et l’effort de sortir du ghetto du samizdat pour élargir le cercle des lecteurs. »

Filip Topol,  Jáchym Topol et Terezie Pokorná en 1992 | Photo: Revolver Revue

Un ton énergique et intransigeant

Les premiers pas de la nouvelle revue dans un milieu qui lui est hostile sont modestes et le premier numéro ronéotypé ne sort qu’en 50 exemplaires mais les fondements sont jetés et le nouveau périodique commence à se frayer un chemin vers ses lecteurs. D’abord, c’est un petit groupe d’écrivains et d’artistes qui se réunissent autour de la revue, qui commentent et critiquent la production littéraire mais aussi les arts, le théâtre et d’autres activités culturelles.

Parmi les auteurs des articles il y a entre autres le dramaturge et dissident Václav Havel, les poètes Ivan Martin Jirous, Zbyněk Hejda et J. H. Krchovský, le musicien Vít Kremlička, l’écrivain Petr Placák et autres. Dans leurs critiques, ils ne ménagent rien et personne et n’épargnent pas non plus leurs propres œuvres. Le ton énergique et intransigeant de leurs articles contraste fortement avec la mièvrerie et la langue de bois de la presse culturelle officielle. Terezie Pokorná qui a succédé en 1993 à Jáchym Topol au poste de rédacteur en chef, explique les spécificités de la revue et de ses auteurs :

« Les auteurs que nous présentons dans Revolver Revue sont très nombreux mais nous avons toujours cherché à faire ce qui nous intéressait, c’est-à-dire ce qui intéressait le collectif de la rédaction. Et nous cherchions aussi à faire ce que les autres ne faisaient pas. C’est très important, parce que nous avons toujours prêté attention aux personnalités, aux œuvres et aux thèmes négligés ou auxquels on ne prêtait pas l’attention qu’ils méritaient. »

Une revue et une maison d’éditions

'Je t’aime à la folie' | Photo: Revolver Revue

Déjà en 1988 paraît aussi le premier livre publié dans le cadre des éditions Revolver Revue. Il s’agit du texte de Jáchym Topol intitulé Miluju tě k zbláznění (Je t’aime à la folie). Avec le temps, les activités éditoriales se multiplieront et la revue deviendra aussi une maison d’édition respectée qui publiera de la littérature de qualité. A ce jour, 153 ouvrages sont sortis aux éditions Revolver Revue : c’est une production variée mais qui est toujours choisie et présentée avec beaucoup de soin non seulement en ce qui concerne le contenu littéraire mais aussi sur le plan graphique. Dans les articles de la revue et dans les livres publiés par sa maison d’édition, la rédaction donne la parole aux auteurs toutes générations confondues. Terezie Pokorná ajoute :

Revolver Revue | Photo: Khalil Baalbaki,  ČRo

« L’éventail des genres qui nous intéressent, est très large ainsi que l’éventail générationnel de nos collaborateurs. La revue a toujours été, est et j’espère qu’elle sera toujours intergénérationnelle. Ceux qui rédigent la revue aujourd’hui ont toujours collaboré avec des auteurs plus âgés qu’ils respectaient beaucoup. Et nous, nous aimons collaborer avec les auteurs plus jeunes. Il n’y a jamais eu non plus de limites ethniques, mais, il y avait des limites insurpassables qui se manifestaient par une grande répugnance pour toutes les pratiques totalitaires et le racisme. »

La liberté d’expression et les obstacles économiques

Revover Revue de l’année 1993 | Photo: Revolver Revue

La révolution de velours et la chute du régime communiste en 1989 représentent un grand tournant dans l’histoire de Revolver Revue. Le système totalitaire, accompagné par la censure et les interdits, s’effondre, la revue se professionnalise et son tirage dépasse les 500 exemplaires. Mais dans cette nouvelle situation ses rédacteurs doivent faire face aussi aux nouveaux obstacles dressés par l’économie de marché et la société de consommation qui s’établit rapidement dans le pays libéré.

Publier une revue littéraire et des œuvres de qualité n’est pas une activité très lucrative et Terezie Pokorná avoue que, sur le plan financier, la revue s’est souvent retrouvée dans des situations bien difficiles. Cependant, jusqu’à présent, elle a toujours réussi à s’en sortir et à poursuivre ses activités. Terezie Pokorná constate que Revolver Revue vient déjà de publier son 138e numéro :

Le dernier numéro 138,  2025 | Photo: Revolver Revue

« Le nombre de numéros de la revue peut sembler peu élevé. Cependant, il faut tenir compte du fait qu’il s’agit d’un almanach épais, pratiquement un livre, qui a et avait déjà à l’époque du samizdat des centaines de pages. C’est dû au fait que les auteurs de Revolver Revue ont l’ambition de faire un périodique reflétant l’actualité mais ayant également un caractère durable, un périodique qui mérite d’être conservé dans des bibliothèques. Et je pense que c’est ce que font nos lecteurs. »

Face au déclin du journalisme culturel

A la fin du premier quart du XXIe siècle, les rédacteurs de Revolver Revue poursuivent donc leur travail et insistent sur l’originalité et la qualité des textes publiés. Le tirage de leur revue trimestrielle atteint 1000 exemplaires mais ils se déclarent inquiets face à l’évolution de la culture en général. Ils déplorent la baisse de la qualité du journalisme culturel et la disparition progressive de la critique sérieuse et pertinente. A l’époque du développement impétueux des réseaux sociaux, les gens sont assaillis sans cesse par des critiques de toutes sortes mais qui, dans la majorité des cas, manquent de fondement et de sérieux. Tout le monde critique tout le monde.

Marek Vajchr | Photo: ČT Art

Dans cette situation, il est même difficile pour les rédacteurs de la revue de trouver de nouveaux collaborateurs de qualité. On les accuse même d’être recroquevillés dans leur ghetto élitiste et de produire une revue destinée à un cercle restreint de lecteurs intellectuels. Ils se défendent de ces accusations d’élitisme mais n’entendent pas renoncer à leur attitude exigeante vis-à-vis de la littérature, de l’art et de la critique. L’écrivain Marek Vajchr qui est un des rédacteurs de la revue, formule cette attitude par ces paroles :

« Nous sommes absolument ouverts à tous les genres, à toutes les tendances, à tous les mouvements artistiques, à toutes les générations. Nous ne nous posons aucune limite préliminaire à l’exception d’une seule - et c’est la qualité que nous garantissons par notre goût personnel et par notre choix. C’est tout. »

Auteur: Václav Richter
mots clefs:
lancer la lecture