Rozálie Kohoutová : entre fiction et documentaire (II)
Deuxième partie de l’entretien avec Rozálie Kohoutová, une toute jeune documentariste tchèque qui partage sa vie entre Prague et Paris. A 26 ans à peine, elle a déjà réalisé plusieurs films, parmi lesquels Roma Boys dont nous avons parlé la semaine dernière, un autre sur le Sokol de Paris ou sur trois générations de Tchèques en France qui sont le sujet de la rubrique cette semaine.
On peut penser surtout à Kupka, Šíma et tous ces artistes partis créer en France, dans l’entre-deux-guerres. Mais pour les Švanda, c’était une émigration économique…
« Oui, on peut dire cela. Après la guerre, la frontière se ferme. On a donc une émigration politique. J’ai donc interviewé Jaroslav Vrzala qui avait une maison d’édition qui publiait la revue Svědectví. »
La revue de Pavel Tigrid…
« Elle était interdite en Tchécoslovaquie et informait les Tchèques de façon libre et indépendante. Jaroslav Vrzala est anti-communiste. Or, pour lui, dans les années 1950-1960, c’était assez difficile d’expliquer aux gens, dans une France plutôt gauchiste : ‘moi, j’ai émigré parce que chez nous, dans mon pays qui est communiste, il y a une dictature, des procès staliniens’. Il m’a dit que de temps en temps, les gens ne le croyaient pas ! »Il a dû se heurter à une véritable incompréhension. Le Parti communiste était très fort en France après la guerre, les années 1960 avec mai 1968 comme symbole, sont l’expression d’une gauche radicale. J’imagine que des personnes comme Jaroslav Vrzala et comme d’autres Tchèques ont dû être confrontés à de l’incompréhension en France. Pourtant ils sont restés en France…
« Au début, il ne voulait pas rester en France. Il est d’abord parti aux Etats-Unis où il a vécu deux, trois ans. Je crois qu’à cause de Pavel Tigrid, il est retourné en France… »
Pavel Tigrid avait en effet émigré aux Etats-Unis et est revenu en France dans ces années-là…« Je pense que c’est un cas de figure assez fréquent. D’abord, c’était facile d’aller à Paris depuis la Tchécoslovaquie, puis certains restaient, d’autres continuaient leur route vers les Etats-Unis. »
Quelle est la génération de Tchèques suivante ?
« J’ai ensuite fait un interview avec une femme, Lucie Boucher. Elle a créé une école pour les enfants au Centre tchèque de Paris. Elle était jeune dans les années 1990, après la chute du régime. C’était déjà possible de voyager, mais difficilement. La Tchécoslovaquie, puis la République tchèque, était toujours vue comme un pays de l’Est, on ne faisait pas partie de l’Union européenne. Elle m’a raconté comment elle est partie en France, s’y est mariée et combien c’était difficile au niveau administratif. Elle se sentait comme une émigrée. Pour moi, le sujet lié à Lucie, c’était : comment créer une famille à l’étranger, comment faire pour que les enfants ne perdent pas leur langue maternelle. On remarque que dans les années 1990, ce sont très souvent des femmes qui ont émigré en France et qui s’y sont mariées. D’où le besoin de faire quelque chose en rapport avec les enfants, d’où l’idée de l’école… »
C’est un moyen de transmettre la culture d’un pays qu’elles avaient abandonné…« La dernière génération est représentée par une de mes amies : Jitka Honajzrová. Elle a étudié à Paris dans le cadre d’Erasmus comme moi. »
C’est la nouvelle génération de Tchèques, la génération Erasmus, qui devient adulte alors que la République tchèque fait partie de l’Union européenne…
« D’une certaine façon, j’ai trouvé un lien entre Jitka et les parents de Georges Švanda. Aujourd’hui, les deux pays peuvent avoir des échanges naturels et spontanés… »
C’est comme si aujourd’hui on renouait avec ce qui avait fait la richesse des relations franco-tchèques dans l’entre-deux-guerres… Peut-être pas de façon aussi forte que les échanges artistiques de l’époque, mais cela se fait sans doute à d’autres niveaux…
« C’est vrai que quand on réfléchit à où les artistes tchèques vont puiser leur inspiration, c’est plutôt Berlin que Paris. Mais je pense qu’il y a beaucoup de connexions entre Prague et Paris. Je trouve qu’il y a toujours eu une admiration des Tchèques pour la France et Paris. »Revenons au sujet qui vous tenait à cœur : le Sokol de Paris. Le Sokol est une institution née à la fin XIXe siècle, début du siècle dernier. Il s’agit d’une organisation gymnique, gymnastique qui promouvait un esprit sain dans un corps sain et devait soutenir la création de la future Tchécoslovaquie. Interdits sous le communisme, les Sokols existent à nouveau en République tchèque depuis les années 1990. Or, il existe un Sokol à Paris. Quelle est sa fonction aujourd’hui ?
« Georges Švanda est persuadé que le Sokol de Paris va participer au ‘slet’, ce grand rassemblement des Sokols qui aura lieu à Prague en 2012. A mon avis, le Sokol de Paris n’est plus vraiment une organisation gymnastique, mais qui a une certaine tradition, qui cherche à transmettre la culture tchèque aux enfants. La communauté tchèque à Paris est également connectée par un groupe yahoo qui s’appelle Petite Prague. Georges Švanda a 70 ans et il a trouvé ce groupe. Aujourd’hui, il leur envoie des annonces dès qu’il se passe quelque chose au Sokol. Du coup, des jeunes Tchèques, en Erasmus, viennent au Sokol. Il a donc réussi à faire quelque chose pour la jeune génération. »Il a donc a réussi à attirer la jeune génération de Tchèques au Sokol de Paris, pas uniquement la vieille émigration…
« Il y en a de plus en plus. En tout cas, c’était comme ça l’année dernière. Je suis ravie d’avoir eu la chance de vivre tout cela. »