Santa go home !

Dimanche dernier, des cadeaux ont été déposés par milliers aux pieds des sapins installés dans la plupart des foyers du pays. Des cadeaux apportés, selon la tradition tchèque par le Petit Jésus, en tchèque Jezisek. Pourquoi le Petit Jésus dans un pays souvent décrit comme le pays le plus athée d'Europe voire du monde ?

Explications avec le prètre jésuite Petr Kolar :

« D'abord il faut savoir que le noël chrétien et le fait que Jezisek apporte les cadeaux sont chrétiens mais ont des racines païennes. Ces racines païennes sont communes à l'Europe entière. Seulement la coutume n'a pas le même nom. Les Français ont gardé le nom de « noël », ce qui n'a rien de chrétien en soi : c'est au contraire la fête chrétienne qui a repris le nom de « noël ». Tandis que chez nous c'est surtout pendant la période baroque, c'est à dire grosso modo au XVII et XVIIIe siècle, qu'on a baptisé ces coutumes païennes. Et la particularité tchèque est que la fête du solstice a été scindée en deux. Parce qu'on avait aussi une figure païenne qui ressemble au Died Moroz russe, au Père noël français ou au Santa Claus américain. Et nous avons d'abord transféré cet homme, qui apporte effectivement des cadeaux sur son traîneau, sur la fête de Saint-Nicolas.

Petr Kolar
Donc les enfants tchèques sont bénis, parce qu'ils ont deux fois noël en décembre. D'abord le 5 décembre, avec l'ange et Mikulas, et puis une seconde fois le 24, avec la naissance de Jésus. C'est assez curieux parce que dans la bible, ce sont les bergers qui ont apporté les cadeaux à Jésus. Mais comme Jésus est le grand cadeau pour les chrétiens, alors il est matérialisé pour les enfants, auxquels il faut montrer ce qu'est un cadeau, et Jésus lui-même apporte les cadeaux. Voilà ainsi la fête païenne scindée et rebatisée. »

Sous le communisme, les Soviétiques avaient tenter d'imposer leur père noël à eux : Died Moroz, Deda Mraz en tchèque. Dans un discours légendaire de l'année 1952, le Premier minstre de l'époque, Antonin Zapotocky, s'employa à expliquer au peuple tchécoslovaque que l'ère du Petit Jésus était définitivement révolue :

Antonin Zapotocky
« Le Petit Jésus, couché dans le foin de l'étable entre le boeuf et l'âne et sous l'étoile du Berger: c'était le symbole de l'ancien Noël. Pourquoi ? Pour rappeler aux travailleurs et aux miséreux que les pauvres sont inséparables des étables. Si le Petit Jésus est né et a vécu dans une étable, alors pourquoi vous ne pourriez pas y habiter vous ? Pourquoi ne pourraient pas y naître vos enfants ? C'est ainsi que les riches et les puissants parlaient aux pauvres et aux travailleurs. C'est la raison pour laquelle, au temps du capitalisme-roi, quand les riches gouvernaient et les pauvres suivaient, les travailleurs habitaient en nombre dans des étables et leurs enfants y sont nés. Mais les temps ont changé, beaucoup de bouleversements ont eu lieu : le Petit Jésus a grandi, vieilli, une barbe lui a poussé et il est devenu Deda Mraz. Il n'est plus nu ni déguenillé, il est bien habillé avec un bonnet et un manteau de fourrure. De même, les travailleurs et leurs enfants ne sont plus nus ni déguenillés aujourd'hui. Deda mraz nous vient de l'Est et plusieurs étoiles éclairent son chemin : pas seulement l'étoile du Berger, mais toute une série d'étoiles rouges, sur nos réservoirs, acieries, usines et chantiers. »

Malgré l'argumentaire exceptionnel bâti par les cadres du parti, les efforts déployés par les communistes sont restés vains... Pour les Tchèques, Jezisek est tout simplement inséparable des fêtes de noël, au même titre que la carpe panée et la salade de pommes de terre dégustées le soir du réveillon.

Aujourd'hui pourtant, Jezisek doit livrer un nouveau combat : après sa victoire sur Deda mraz, c'est cette fois-ci contre le père noël importé de l'Occident : Santa Claus.

Dans la lutte que se livrent le Petit Jésus et Santa Claus pour apporter leurs cadeaux aux enfants tchèques, tous les deux ont leurs fervents partisans : Santa Claus bénéficie lui du soutien de grandes entreprises internationales plutôt douées en marketing intensif.

Et c'est justement un groupe formé par des publicitaires tchèques qui a pris la tête de la résistance contre Santa Claus. Fermement décidés à défendre bec et ongles leur Petit Jésus, ils utilisent les armes de l'ennemi : logos et slogans. Et désormais le combat est livré en ligne : le site internet www.anti-santa.cz annonce la couleur : renvoyer Santa Claus d'où il vient, « Santa go home ». Martin Charvat est à la base de cette initiative :

« Personnellement nous n'avons rien contre Santa Claus. Ce qui nous gêne, c'est que Santa Claus tente de remplacer notre tradition tchèque. La menace s'amplifie d'année en année. Beaucoup d'entreprises utilisent Santa Claus, non seulement sur les points de vente mais aussi dans leur publicité. Et je me suis aperçu que les enfants tchèques commençaient à confondre Jezisek, Santa Claus et Mikulas. Et quand on leur demande de dessiner Jezisek, ils dessinent un gros grand-père en manteau de fourrure rouge. Notre campagne n'est pas anti-américaine, elle est juste destinée à défendre nos traditions tchèques que nous aimerions conserver. »

Jezisek sortira t-il vainqueur de ce combat contre Santa Claus, nouvel outsider de ce début du XXIe siècle ? En tout cas, pour tous les bambins tchèques croisés dans les rues de Prague, pas de confusion possible, si une chose est claire, c'est bien l'identité de celui qui leur a apporté des cadeaux :

« Jeeeeeezzzzzzzzzziiiiiiiiiiiiiiiiisssssssssssseeeeeeeeeeeeekkkkkkkkkkk !!!!! »