Sarah Doignon : « La culture tchèque n’a pas le rayonnement international qu’elle mérite »

Sarah Doignon, attachée culturelle et directrice déléguée de l’Institut Français de Prague, est arrivée en République tchèque en septembre dernier. Nommée par le ministère des Affaires étrangères, elle a dû s’expatrier dans un pays qu’elle ne connaissait qu’en tant que touriste. Chargée de faire rayonner la culture française à l’international, elle a acquis au fil des différents postes occupés une idée bien précise des différences culturelles entre la France et la Tchéquie. Sarah Doignon a accepté de répondre aux questions de Radio Prague International en revenant notamment sur son expérience d’expatriée. 

Quelle a été votre réaction en apprenant que vous étiez nommée à Prague ?

Sarah Doignon | Photo: YouTube

« J’avais des a priori plutôt positifs sur le pays car j’étais déjà venue plusieurs fois en tant que touriste. J’avais l’image d’un pays artistique, culturel, très beau et attractif, très vibrant aussi pour la jeunesse et pour la fête. Ces impressions se sont bien confirmées quand je suis arrivée. Le tourisme de masse à Prague me faisait assez peur mais les circonstances de l’année 2020-2021 ont fait que j’ai pu découvrir Prague sans touristes. C’était presque positif dans le malheur. »

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans votre expatriation ?

« C’est la question linguistique qui est la plus difficile puisque c’est différent de venir pour les vacances et d’y vivre au quotidien. J’ai commencé à prendre des cours de tchèque car c’est compliqué de ne pas parler la langue. On veut échanger dans la langue du pays mais ce n’est pas du tout une langue facile à apprendre, ça prend du temps. C’est un obstacle, mais j’ai bon espoir de réussir à m’exprimer. Arriver quelques semaines avant un long confinement a été un peu compliqué aussi car je n’ai pas vu grand-chose à part de belles façades et des parcs. Je n’ai pas pu rencontrer beaucoup de gens ni beaucoup travailler ou pratiquer le peu de tchèque que j’étais en train d’apprendre. Ma première année n’a donc pas été facile. »

Quelles différences culturelles vont ont frappée entre la France et la Tchéquie ?

Photo: Jolana Nováková,  ČRo

« Je vois beaucoup de similitudes mais la différence la plus frappante concerne le manque de cosmopolitisme dans la population. On est habitués à beaucoup plus de diversité dans les visages, dans les corps et dans les origines. Ici, c’est beaucoup moins le cas qu’en France. J’ai aussi été frappée positivement dans le rapport au plein air, aux parcs et à la verdure. C’était une bonne surprise de voir que les gens sont très détendus et sportifs dans les espaces extérieurs. C’est clairement ce qui a sauvé l’année de confinement. On est dans une capitale européenne, mais on a les avantages et la qualité de vie de la campagne en quelques minutes, c’est très appréciable le week-end quand on arrive de Paris. D’un point de vue artistique, les différences se ressentent souvent dans les soirées que j’anime pour mon travail : les gens sont tellement plus chics et mieux habillés qu’en France !

Photo illustrative | Photo: Petr Vilgus,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Avant d’arriver, on m’avait beaucoup dit que les Tchèques étaient fermés mais je suis assez partagée sur cette question. Dans le milieu artistique et culturel dans lequel j’évolue, je rencontre des gens très ouverts d’esprit et chaleureux. J’habite dans un quartier où il y a une vraie vie de quartier alors qu’à Paris, peu de voisins disent bonjour. Ici, ça peut prendre du temps, il y a une froideur et une méfiance, mais c’est assez humain. Il y a beaucoup de réserve mais ça peut se dépasser assez vite. »

Quelles différences observez-vous dans les métiers de la culture entre la France et la Tchéquie ?

Photo illustrative: Jakub Červenka,  Praha žije hudbou

« Plus on va à l’étranger, plus on constate que le système français de soutien et de financement culturels est très précieux et est un modèle pour beaucoup de pays. Quand il y a des manifestations, c’est justement pour protéger ce système qui permet aux artistes de travailler tout au long de l’année. Il y a eu très peu d’échanges internationaux pendant la pandémie mais dès que les frontières ont été ré-ouvertes, des artistes français étaient prêts avec leurs créations et leurs spectacles et ils sont tout de suite arrivés à Prague parce qu’ils ont pu continuer à travailler toute l’année. C’est un exemple frappant qui montre que notre système français est de grande qualité. Les pouvoirs publics nous protègent beaucoup, on a énormément de savoir-faire dans les associations culturelles, dans les équipements, dans les scènes nationales… On a un réseau très vaste en France. Il n’y a pas ce maillage d’équipements en République tchèque dans la capitale et en région (théâtres nationaux, centres de danse…), financé par le ministère de la Culture. C’est une grande différence entre les deux pays. Mais les responsables de structures sont ici très disponibles et accessibles. En France, il est très compliqué de les rencontrer car ils sont très sollicités. Les programmateurs tchèques sont passionnés, c’est très agréable. Les décideurs sont aussi très connaisseurs de la culture française, c’est assez surprenant car ils ont pourtant beaucoup moins de moyens qu’en France, ils ont l’habitude de se débrouiller. »

Quels sont les grands symboles de la culture tchèque ?

Franz Kafka | Photo: Kateřina Ayzpurvit,  Radio Prague Int.

« La culture tchèque est de très grande qualité mais elle n’a pas le rayonnement qu’elle mérite à l’international. C’est surtout la musique classique et l’opéra qui se détachent, l’architecture pragoise également et la littérature avec des auteurs comme Kundera et Kafka. Il y a aussi une créativité contemporaine qui mérite d’être plus connue. »

Pourquoi cette culture n’arrive-t-elle pas à rayonner ?

« La France fait partie des pays qui ont un gros dispositif de rayonnement culturel à l’international (Instituts français, ambassades, Alliances françaises…), on a des moyens colossaux. On est très fier de notre culture et cela nous est parfois reproché. La République tchèque n’a pas ces dispositifs de diplomatie culturelle. Les Tchèques ont peut-être plus d’humilité aussi. »

Quel rapport ont les Tchèques à la culture française ?

Cirque La Compagnie | Photo: Marlene Braka,  Letní Letná

« Il y a un grand nombre de francophones et il y a eu beaucoup d’échanges culturels dans l’Histoire entre nos deux pays. Les liens et l’attachement sont forts. Il y a beaucoup d’influences communes car nous sommes des pays européens très proches. Les similitudes me frappent. Je me réjouis du grand attrait pour la culture française. Les programmations dans tous les domaines ont des artistes français, comme au festival de cirque Letní Letná qui a sélectionné quatre compagnies. La relation est historique, c’est un plaisir de travailler ensemble. Dans nos relations culturelles franco-tchèques, 2022 va être une année importante avec les présidences successives de nos deux pays au Conseil de l’Union Européenne. Ce sera le moment de mettre en lumière ces partenariats à travers de grands événements phares avec l’Orchestre Symphonique de Prague, avec la Galerie nationale et le Centre Pompidou… »