Se répandre de la cendre sur la tête

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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Comme convenu dans notre dernière émission, nous allons poursuivre notre petite série consacrée au mot « popel » - cendre. Dans cette même émission, nous avions évoqué en introduction le « Mercredi des Cendres » - « Popeleční středa », avant de nous en éloigner. Nous allons en quelque sorte y revenir à travers une expression très iamgée de la langue tchèque…

Mais une fois n’est pas coutume, commençons tout d’abord par une réaction d’un de nos lecteurs suite à notre dernière émission consacrée essentiellement au mot « popelář » - « éboueur » en français et intitulée « Les cendres des poubelleurs ». Il s’agit d’une remarque de M. Benjamin Hildenbrand :

« Je souhaite réagir à votre dernier article. Je vous ferais remarquer que « poubelleur » n’est pas familier, il n’existe pas. Le voir écrit huit fois dans un article est dommage car il peut laisser penser aux Tchèques qui vous lisent que ce mot s’emploie en français. Il est vrai que je l’ai employé moi-même dans mon enfance, mais jusqu’à ce que l’on me corrige. Vous auriez pu alors utiliser le mot « cendreur », qui n’existe pas non plus mais qui aurait eu une légitimité dans votre article. »

Rappelons tout d’abord que la racine du mot tchèque « popelář » est composée de « popel » - « cendre ». C’est pourquoi nous avions expliqué que, traduit littéralement, « popelář » donnait quelque chose comme « cendreur », un mot qui n’existe bien entendu pas en français. En revanche, là où nous nous sommes trompés, et où M. Hildenbrand a tout à fait raison, c’est lorsque nous affirmons qu’un éboueur peut également être désigné familièrement comme « poubelleur ». C’est faux tout simplement, effectivement, parce que ce mot de « poubelleur », même s’il est parfois utilisé, n’existe pas dans la langue française. Nous prions donc nos auditeurs de bien vouloir accepter nos excuses. Une manière également pour nous, et vous allez tout de suite comprendre pourquoi, de nous « répandre de la cendre sur la tête »…

En effet, nous allons maintenant nous intéresser à une très belle expression de la langue tchèque, l’expression relativement courante qui veut que l’on se « répande (ou déverse) de la cendre sur la tête » – « sypat si popel na hlavu » ou encore « posypat si hlavu popelem ». Il s’agit en fait de faire comprendre de façon imagée que l’on fait amende honorable, c’est-à-dire reconnaître sa faute ou avouer ses torts et s’en excuser, demander publiquement pardon.

La question toutefois qui nous turlupine est de savoir d’où provient cette expression. Dans son livre intitulé « Rien de nouveau sous le soleil » (Aniž jest co nového pod sluncem), sorte de « dictionnaire du biblique et du parabiblique » selon la préface, dans lequel il explique les tournures couramment employées aujourd’hui d’après leur contexte biblique originel, Patrik Ouředník, auteur tchèque qui a émigré en France en 1985, explique que l’expression « sypat si popel na hlavu » - « se déverser de la cendre sur la tête », tire son origine d’un passage de l’Ancien testament, plus précisément du Deuxième livre de Samuel, dans lequel Tamar, personnage biblique fille du roi David, est violée par son demi-frère Amnon. Accablée, Tamar qui, nous citons le passage de la Bible, « avait une tunique de plusieurs couleurs; car c'était le vêtement que portaient les filles du roi, aussi longtemps qu'elles étaient vierges.

Le serviteur d'Amnon la mit dehors, et ferma la porte après elle. Tamar répandit de la cendre sur sa tête, et déchira sa tunique bigarrée; elle mit la main sur sa tête, et s'en alla en poussant des cris ». Ainsi donc, on apprend que se couvrir de cendres était un rite pénitentiel, de repentance, un moyen de demander à Dieu le pardon de ses péchés, la cendre étant souvent utilisée dans la Bible comme symbole de tout ce qui est sans valeur. En d’autres termes, se couvrir de cendres, c’est reconnaître sa faiblesse, manifester son regret du péché et signifier son espérance dans la miséricorde de Dieu.

On retrouve d’ailleurs cette référence à la cendre dans d’autres livres de l’Ancien Testament, par exemple dans le Livre d’Esther. Ici, lorsque Mardochée, personnage au centre de l’intrigue racontée dans le livre, apprit la promulgation d’un décret pour anéantir les Juifs de Perse, il « déchira ses vêtements, s’enveloppa d’un sac et se couvrit de cendre. Puis il alla au milieu de la ville en poussant avec forces des cris amers ». On notera toutefois ici que Mardochée agit ainsi en signe de deuil et non pas pour se repentir. Mais cela n’enlève rien au fait que, si l’on s’en tient aux interprétations des étymologistes tchèques, l’expression « sypat si popel na hlavu » tirerait donc son origine de la Bible et de l’Ancien Testament.

C’est sur cette découverte que même peu de Tchèques connaissent que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours pour d’autres mystères et expressions de la langue tchèque. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !