Sédjro Giovanni Houansou : « L’Europe a peur de l’envahissement, l’Afrique demande juste la liberté de circuler. »
Les Inamovibles, c’est le nom énigmatique de la dernière pièce du dramaturge béninois Sédjro Giovanni Houansou. Dans la pièce, le jeune Lamine veut quitter son pays pour la France, eldorado métaphorique et porteur d’espoirs. Dans sa traversée, il perdra ses rêves, son passé et son identité, jusqu’au dénouement tragique. A l’occasion du festival Afrique en Créations en mai dernier, Sédjro Giovanni Houansou était à Prague, où une lecture en tchèque de sa pièce a été donnée, une lecture à l’issue de laquelle Radio Prague l’a rencontré.
Vos personnages n’ont ni patrie, ni identité, ni passé… L’idée, c’était donc de parler de migrations de manière universelle ?
« La question de migrations est déjà une question universelle. Elle touche tout le monde, elle touche les pays d’Afrique, mais aussi les pays d’Amérique, l’Europe… Il y a beaucoup de mouvements de l’Est vers le centre de l'Europe, par exemple, vous le savez. Donc il était important pour moi de garder cet aspect, de ne pas le perdre plus que de le forcer. Je n’ai pas voulu particulariser les choses ou les enfermer. Ensuite, mon travail m’amène à traiter des sujets qui touchent à l’humain, et qui ne s’arrêtent pas aux pays, aux continents, aux races… Ça ne m’intéresse pas. Ce travail visait à aller à la rencontre de l’humanité toute entière. »
Est-ce que vous avez pu être surpris par la diversité de réactions que ce texte a pu rencontrer d’un pays à l'autre ?
« Je n’ai pas été très surpris parce que qu’on le veuille ou non, je suis issu de quelque part, je ne suis pas tout à fait neutre, malgré moi, et cela transparait dans ce que j’écris. J’ai une façon d’exprimer des choses qui est très accessible à des gens, des communautés qui s’y retrouvent. D’autres communautés y sont insensibles. Il n’y a pas de réussite parfaite dans cette quête de rester universelle, mais il y a des approches. Ces différences ne sont pas étonnantes. Le texte parle différemment.
Par exemple, en Afrique : nous ne sommes pas dans une crise de l’accueil. On fait beaucoup de place à celui qui vient d’ailleurs, on lui accorde le soutien nécessaire, on est presque à son service parce qu’on estime qu’il vient d’ailleurs et qu’on a le devoir, par humanité, de s’occuper de lui. On n’est pas du tout ou pas vraiment dans la crise de l’accueil. Même dans la mise en place des dispositifs, il est deux fois plus aisé pour un Français d’arriver en Afrique que pour un Béninois d’arriver en France. Même chose pour la République tchèque ! Il est toujours plus aisé de faire le déplacement du Nord vers le Sud que l’inverse…Donc ce genre de pièce, l’accueil qu’il a sur le continent africain n’est pas le même qu’en Europe car la réalité est totalement différente, on n’est pas sur les mêmes points de discussion. En Europe, le plus important, c’est de ne pas laisser les gens nous envahir. Là-bas, on demande de cesser de nous empêcher de bouger. Ce sont deux façons de questionner ce sujet. »
Votre texte aborde aussi la question très peu abordée sinon taboue du difficile, de l’impossible retour au pays…
« J’ai voulu travailler sur une question qui est très développée : les migrations. Aussi parce que les migrations sont devenues un fonds de commerce. Travailler sur ce côté, ce volet dont personne ne parle jamais, ça n’arrange pas la ligne politique, la ligne de communication globale que le monde voudrait se fixer, c’est-à-dire décourager le déplacement des hommes. Il était important d’ouvrir un coin de voile sur cette impossibilité que les gens ont de retourner chez eux entiers.
Au fond, il n’est pas complètement impossible pour les gens de rentrer chez eux… Mais comment rentrent-ils entiers, en ne perdant pas quelque chose d’essentiel en cours de route, par exemple le cœur ? Parce que quand vous nourrissez le rêve de partir, et que votre rêve se brise en cours de route, vous ne revenez pas comme vous êtes partis. Parce que quand vous rentrez chez vous et que vous faîtes face à une société qui vous accuse d’avoir échoué, je ne pense pas que vous rentriez entier chez vous. Quand vous-même vous rentrez après des années d’espoirs déchus, vous comprenez à quel point vous êtes abattu, fracturé…En même temps, je voudrais insister sur le fait que l’idée de cette pièce n’est pas du tout de décourager les départs. L’idée, c’est de faire évoluer une thèse qui est très usitée par les médias, les communicants… Faire évoluer cette thèse avec une antithèse, une problématique : pourquoi ne laisse-t-on pas les gens expérimenter leur rêve ? Parce que tous ceux qui ne partent pas parce qu’ils sont en fuite. Certains ont juste envie de découvrir, c’est un départ voulu. »
Est-ce que vous vous considérez comme un écrivain béninois ou un écrivain du XXIè siècle ?
« Déjà, est-ce que je suis un écrivain ? Bon, c’est très technique, ça ! Je ne me revendique pas encore écrivain, je suis auteur. J’ai écrit quelques pièces, je continue d’en écrire… Je ne peux pas vraiment dire que je suis un écrivain, parce que je ne l’ai pas encore décidé. Alors oui, je suis béninois, mais je suis aussi africain et humain du XXIè siècle ! Et j’aimerais aussi être un écrivain des siècles à venir. »
On retrouve dans ce que vous dîtes l’idée, qui sous-tend votre pièce, de l’absurdité de nos frontières… Aucun être humain ne peut être résumé par des frontières nationales…« Oui, tout à fait ! Je reste dans cette idée, je reste dans l’idée que la terre, comme l’air, sont des choses qu’on partage. D’ailleurs, je me demande pourquoi est-ce que certains pays ne décident pas d’interdire à d’autres de partager leur air ! Puisque nous avons mis des frontières sur la terre pour se dire qu’au lieu du partage nous préférons la propriété, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ? Moi je pense qu’en Afrique on respire l’air qui vient d’Europe et vice-versa. Alors il va falloir réfléchir à encadrer l’air dans des frontières ? »
A voir : une lecture des Inamovibles au festival d’Avignon organisée par RFI.