Stations de Lénine et de Moscou : ainsi était le métro de Prague

Photo: Štěpánka Budková

« Leninova. Konečná stanice. Prosíme, vystupte. » - « Station de Lénine. Terminus. Veuillez descendre, s’il vous plaît. » Vous le savez peut-être, en mai dernier, le métro pragois a fêté le 40e anniversaire de son ouverture. Qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un moyen de transport, qui dit quarantième anniversaire, dit aussi forcément toujours un peu de nostalgie. C’est l’occasion de se souvenir comment c’était « avant ». Et il y a quarante ans de cela, la République tchèque était encore la Tchécoslovaquie des sombres années 1970 de Normalisation. C’est dans ce contexte que le métro de Prague a vu le jour. Et forcément, la politique a eu à l’époque des répercussions toponymiques sur les stations du metro v Praze…

Photo: Kristýna Maková
Ce n’était certes pas le métro de Pyongyang, cas unique au monde où les stations sont nommées selon des thèmes de la révolution nord-coréenne et n’ont donc pas de rapport avec la géographie. N’empêche. Jusqu’au 22 février 1990, soit trois mois après la première manifestation qui aboutit à la chute du régime communiste, certaines stations du métro de Prague ont porté, elles aussi, des noms devant servir à la propagande. Pour faire table rase du passé, il a donc fallu les rebaptiser : fini les stations « des cosmonautes », « des bâtisseurs », « de Moscou » ou encore toutes celles faisant référence à quelques-uns des hauts dignitaires communistes ou aux grandes batailles de la Deuxième Guerre mondiale qui ont permis de vaincre le fascisme. Ainsi, la station de Lénine – Leninova, est redevenue ce qu’elle aurait toujours dû être si la politique et l’idéologie ne s’en étaient pas mêlées : la station de Dejvická, du nom du quartier de Dejvice, dans le VIe arrondissement de la capitale. A l’époque, même si vous vous déplaciez à Prague, les usagers du métro pouvaient se rendre depuis la station de Lénine par exemple jusqu’à celle de Moscou – Moskevská, aujourd’hui Anděl ou, en français, la « station de l’ange ». Arrêtons-nous d’ailleurs un instant sur ce nom. Contrairement à la très grande majorité des autres stations de métro, celle-ci ne porte pas le nom du quartier dans lequel elle se trouve, à savoir Smíchov (appellation que l’on pourrait traduire comme « le quartier du rire »), mais d’un carrefour. Ce « carrefour de l’ange » tire son origine d’une maison du XIXe siècle qui se trouvait en coin et qui s’appelait « U Zlatého Anděla», littéralement « A l’ange d’or ». Et cette maison, qui était une auberge, devait, elle, son nom à la statue, un ange d’or bien entendu, placée dans une niche de la façade. L’ange doré est ainsi devenu le diable de Moscou…

Photo: Štěpánka Budková
« Prvá, druhá, třetí, čtvrtá, na zahradě krtek vrtá, drápy má jak vývrtky, vrtá metro pro krtky » - « Un, deux, trois, quatre, dans le jardin une taupe fait des trous, ses griffes sont un tire-bouchon, elle perce le métro pour les taupes. » Telles sont les paroles de la chanson intitulée « Metro pro krtky » - « Un métro pour les taupes » dont Jaromír Nohavica, un des chanteurs tchèques actuels parmi les plus populaires, est l’auteur. Mais à Prague, ce ne sont des taupes, quoique certains décideurs proches du pouvoir en étaient probablement, qui ont construit le métro. Sa réalisation mit alors plutôt en avant la coopération entre les pays satellites de l’URSS et l’amitié soviéto-tchécoslovaque.

Photo: Štěpánka Budková
C’est sans doute la raison pour laquelle l’actuelle station de Chodov, implantée au milieu des monstrueuses barres d’immeubles dans le sud de la ville, s’appelait autrefois Budovatelů - « la station des bâtisseurs ». On suppose, sans grand risque de nous tromper, qu’il ne s’agissait pas alors de rendre hommage aux ouvriers qui ont participé aux travaux de réalisation du métro, mais bien plutôt aux bâtisseurs qui ont édifié le socialisme. En Tchécoslovaquie, ces « bâtisseurs » s’appelaient par exemple Klement Gottwald, premier président communiste entre 1948 et 1953, qui donna son nom à la station de métro aujourd’hui dite de Vyšehrad, nom d’un quartier au sud du centre historique et de l’un des plus beaux endroits de Prague. Mais Gottwaldova n’était pas la seule station faisant honneur à un responsable politique. Citons ainsi encore les stations Primátora Vacka, en référence au maire de Prague Václav Vacek entre 1946 et 1954, ou encore celles de Švermova et de Fučíkova en honneur à deux hommes, le haut dignitaire communiste Jan Šverma et le résistant Julius Fučík, morts dans la lutte contre le nazisme.

On trouve trace de cette lutte contre l’ennemi idéologique et l’armée allemande également dans les noms d’autres stations, plus précisément Sokolovská, aujourd’hui Florenc du nom du quartier, et Dukelská, désormais Nové Butovice dans la banlieue, pour les batailles de Sokolovo et de Dukla en 1943 et 1944 auxquelles ont pris part soldats tchécoslovaques et soviétiques.

Photo: Štěpánka Budková
On le voit, la référence à « l’excellence » des relations entre Prague et Moscou était évidente. Et on ne vous parle même pas des stations de l’Amitié – Družby, sous-entendu entre les pays frères, ou de la Jeunesse (communiste) – Mládežnická… Dans le métro de Prague, c’était bien une autre époque…

Notre voyage à travers l’histoire du métro de Prague arrive à son terme, nous sommes au terminus de ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !


Rediffusion du 22/05/2014