Studios Barrandov (3) : « Prague est l’un des endroits où il est le plus facile de tourner »
On poursuit notre série consacrée aux studios de cinéma Barrandov en compagnie d’un producteur américain, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de Rick McCallum. Il a notamment produit avec George Lucas la prélogie Star Wars et la série des Aventures du jeune Indiana Jones, largement tournée dans la capitale tchèque. Après son expérience à Lucasfilm, Rick McCallum s’est installé à Prague et ce n’est pas un hasard…
La machine est en effet lancée. En 1995, le film Mission Impossible est tourné à Prague, non sans certains remous d’ailleurs en raison de l’énormité de la production. Jusqu’à la moitié des années 2000, les réalisations de films occidentaux, surtout américains, s’enchaînent aux studios Barrandov, qui voient passer des blockbusters comme Hellboy, Alien Vs.Predator ou bien encore Casino Royale. Pour beaucoup de ces productions, par exemple pour le Jeanne d’Arc de Luc Besson, sur le tournage duquel un cascadeur tchèque trouve la mort, il s’agit de profiter d’une main d’œuvre bon marché et de conditions de travail peu encadrées.
Barrandov et le talent tchèque
Plus tard, la crise économique de 2008 et les dispositifs d’incitation fiscale mis en place dans plusieurs pays de la région mettent du plomb dans l’aile à la belle machine. C’est pourtant l’époque que choisit Rick McCallum pour s’installer à Prague et pour y fonder sa société, Film United. Lui ne met pas seulement en avant les questions de coûts, mais surtout le savoir-faire tchèque qu’ont su cultiver les studios Barrandov :
« Ici vous avez le talent. Vous avez une base de talents incroyablement riche et expérimentée, qui assure vraiment bien toute une série de métiers. La construction des décors est fantastique et les équipes se sont beaucoup développées. C’est l’un des endroits où il est le plus facile de tourner : vous pouvez tourner dans le centre-ville et être au studio dix-douze minutes plus tard. C’est aussi l’une des villes les plus sympathiques pour les équipes étrangères, car se déplacer est facile, tout le monde adore la ville, la nourriture s’est beaucoup améliorée, le logement est génial. Je n’ai jamais eu de mauvaise expérience à Prague et ces cinq dernières années, avec Film United, on a fait quatre films et trois énormes séries. »Au fil des années, Rick McCallum a constitué autour de lui une équipe de techniciens tchèques qu’il emmène sur la plupart des tournages réalisés à l’étranger. A l’inverse, c’est aussi selon lui l’un des avantages de l’industrie cinématographique à Prague : les productions étrangères n’ont pas besoin de venir avec leurs propres équipes, elles peuvent compter sur la compétence de celles présentes localement.
Avec Film United, le producteur a notamment collaboré à partir de 2011 à la série Borgia, création originale pour Canal Plus, qui représentait un renouveau des tournages à Prague après le ralentissement dû à la crise. Le gouvernement tchèque s’est à son tour décidé à mener une politique proactive avec des incitations fiscales et, plus récemment, la création d’un Fonds pour la cinématographie, qui apporte des aides financières à certains films.Il est souvent impossible de remarquer qu’un long métrage ou une série a été réalisé en Tchéquie. Pour les connaisseurs du cinéma tchèque, il y a toutefois une astuce pour le deviner puisqu’on croise très souvent les têtes connues d’acteurs locaux dans les productions internationales. Ce vivier de comédiens tchèques est un plus non négligeable. Rick McCallum :
« Nous essayons d’utiliser le plus possible des acteurs tchèques. Pour des acteurs comme Karel Roden et bien d’autres qui sont très connus, leur anglais est parfait. C’est pareil pour les séries : nous venons de terminer Britannia, presque entièrement tournée à Prague, qui raconte l’histoire de l’invasion romaine de la Bretagne insulaire, et nous avons probablement utilisé près de 90 acteurs tchèques. C’est simplement compliqué parce beaucoup d’entre eux jouent également au théâtre et il est parfois difficile de les réunir. Mais maintenant on peut dire que nous avons une grande expérience, particulièrement avec de jeunes acteurs montants. »
Barrandov et le cinéma tchèque
Sur la mappemonde cinématographique, grâce aux studios Barrandov, Prague dispose d’une incontestable visibilité. Pourtant, cela ne profite pas forcément à l’industrie nationale, qui peine à sortir des films vus et reconnus internationalement, même s’il faut citer le succès du long métrage Křižáček lors de la dernière édition du festival de Karlovy Vary. Rick McCallum explique :
« Si vous voulez survivre dans l’industrie du cinéma, vous devez être capable de faire des films, si vous les faites en République tchèque, qui sont universels. Ils doivent être vus dans d’autres pays, afin d’amortir leurs importants coûts de production. Parce que, objectivement, c’est un pays de seulement 10,5 millions d’habitants qui ne vont pas beaucoup au cinéma. Donc si vous avez 250 ou 300 000 entrées, c’est un énorme succès. Atteindre le million est très très compliqué et ce sont généralement des comédies. Vous devez donc trouver un équilibre entre le coût du film et in fine la possibilité de le traduire pour le reste du monde. Mais je crois que cela commence à arriver, on peut le voir avec beaucoup de jeunes cinéastes. »
Tout s’améliore donc et Rick McCallum n’a finalement qu’un regret quand il considère le 7e art en République tchèque :
« L’industrie cinématographique tchèque et les Tchèques n’ont jamais eu un film du type de Manhattan de Woody Allen, un film qui serait juste complètement dédié à la beauté, à la complexité et l’audace que représente Prague. »
Mais Rick McCallum dit vouloir remédier à ce manque. Il développe actuellement une série ainsi qu’un film de Karin Babinská, dont les intrigues respectives devraient entièrement prendre place dans la capitale magique de l’Europe…