« Sudète : un terme politiquement chargé » - entretien avec Christian Jacques (II)
Suite de l’entretien réalisé avec le germaniste Christian Jacques. Spécialiste de l’histoire et de la culture allemande dans les pays tchèques et en Europe centrale, il est maître de conférences à l’Université de Strasbourg. Au micro de Radio Prague, il revient sur les fondements historiques et identitaires de la « germanité sudète » et retrace l’évolution de la « question sudète » dans les pays tchèques.
« Encore une, fois, c’est une question complexe et difficile à résumer en quelques mots. Rappelons toutefois quelques étapes importantes : 1990, le changement de régime, le début de discussions bilatérales entre les gouvernements, 1992 et la signature du Traité de bon voisinage à la suite duquel les choses vont déraper. »
C'est-à-dire ?
« Václav Havel, a plusieurs fois réaffirmé la responsabilité de l’Etat tchécoslovaque dans les exactions commises lors des expulsions de 1945. Mais, l’intervention d’hommes politiques, des associations et les réactions dans la société tchèque ont fait que la question sudète réapparaît à intervalles réguliers. »
Voici sept ans que la République tchèque a intégré l’Union européenne, quel regard la société tchèque porte-t-elle sur cette questions et comment intervient-elle sur les débats politiques et médiatiques ?
« Disons que la situation est calme en comparaison des années 1990. Je pense que le Traité germano-tchèque de 1997 entre le gouvernement tchèque et allemand a amélioré les choses de manière sensible. Un des caps importants est 2004, l’intégration, notamment pour la Sudetendeutschen Landsmannschaft qui a voulu faire de la question sudète l’une des principales conditions de l’entrée de la République tchèque dans l’UE. Depuis sept ans, cette question est marginale. Elle s’est reposée lors de la ratification du Traité de Lisbonne, et curieusement, c’est du côté tchèque, notamment du président Václav Klaus que la question sudète a été réutilisée. »L’année prochaine, un musée de l’histoire et de la culture des germanophones tchécoslovaques va ouvrir ses portes à Ústí nad Labem. Une étape a-t-elle été franchie dans la gestion du passé allemand dans les pays tchèques ?
« Oui, je pense que c’est un signe important et la preuve qu’il ne faut pas résumer l’histoire des relations germano-tchèques à des relations inter-étatiques. Lorsque l’on parle des Allemands de République tchèque, il faut aussi parler de l’Autriche et rappeler que la question de la désignation des populations allemandes reste ouverte : étaient-ils Allemands, des Autrichiens ou des Tchécoslovaques. C’est une très bonne chose de rappeler l’histoire de la présence allemande dans un musée en République tchèque. »Estimez vous que le passé allemand en Bohême a changé dans le regard de la société tchèque ?
« Oui, bien sûr. Il ne faut pas exclure une récupération politique du sujet, mais les choses devraient s’apaiser et se normaliser; c’est déjà le cas. Disons que le sujet devient secondaire. Si on fait une comparaison un peu boiteuse avec les relations franco-allemandes, on voit que les choses se sont normalisées et apaisées, c’est tant mieux. »
Vous faites donc une distinction entre « question sudète » et « passé allemand » dans les pays tchèques ?
« Oui tout-à-fait, on voit bien que le terme sudète est un terme politisé, de nombreuses personnes ne se reconnaissent pas sous cette désignation. On parlait auparavant d’Allemands de Bohême, d’Allemands de Moravie ou encore de Silésie. Les vecteurs d’identification étaient différents. Doit-on parler de passé allemand, ou de celui des populations germanophones ? S’agissait-il d’Allemand ? Pour les Français qui ne font pas la différence entre nationalité et citoyenneté, c’est difficile à comprendre. C’est une question importante. »C'est-à-dire ?
« Les populations germanophones étaient de nationalité allemande, mais citoyens tchécoslovaques. Cette distinction se fait dans de nombreux pays d’Europe centrale où la question se définit autour de la langue et de la culture ; les frontières de la nation sont des frontières culturelles. Tandis qu’en France, les frontières sont politiques et territoriales. »
Pensez vous qu’il y ait une forme de réappropriation par la société tchèque du passé allemand ou germanophone, de son histoire et de sa culture ?
« Oui je le pense, ce n’est peut être pas toujours très visible, mais il y a des exemples concrets, notamment dans les relations transfrontalières, la rénovation des monuments ; et puis, il le livre Zmizelé Sudety (Les Sudètes disparues) de l’association Antikomplex. Ce qui est intéressant c’est que cela se fait dans le cadre d’un passé ou plutôt d’une mémoire sudète, alors que je pense que la question est plus large. Il s’agirait plutôt de parler de mémoire allemande en Tchécoslovaquie ou dans les pays tchèques. »
Vous pensez donc que la question, ou du moins, la germanité sudète est encore un cadre de représentation du passé allemand en République tchèque ?
« Oui je le pense, ici ‘sudète’ est synonyme d’Allemand. Ce n’est pas le cas en Allemagne et dans la société allemande où ce sujet est nettement moins présent qu’ici. Ceci est lié à la construction du discours national, aux représentations nationales et à l’importance de la « question sudète » comme cadre de l’identité nationale tchèque. »