Susie Morgenstern : « J’ai commencé à écrire dans le ventre de ma mère »
Susie Morgenstern est un écrivain de livres pour enfants et la jeunesse à succès. Originaire des Etats-Unis, elle vit depuis près de 50 ans en France où elle a un lectorat fidèle de ses livres, dont une grande partie a été publiée à L’Ecole des Loisirs. Un de ses livres les plus vendus, La Sixième, a déjà séduit plusieurs générations d’enfants. Invitée par la librairie internationale Amadito & Friends à Prague, elle était à Prague cette semaine pour rencontrer ses jeunes lecteurs francophones.
« Oui, c’est la première fois. Chaque fois qu’un autre auteur frimait en disant qu’il allait à Prague, j’étais très jalouse ! »
Vous avez derrière vous plus d’une soixantaine de livres, depuis quand écrivez-vous ?
« En fait, c’est le double, c’est 120 livres. Mais c’est resté 60 sur de nombreux sites Internet. Mais c’est 120 : j’ai compté, parce que je viens d’avoir 70 ans et que je me suis dit que c’était le moment de compter ce que j’avais écrit dans ma vie… »
Avec 120 livres, vous devez écrire depuis toujours…
« J’écris depuis toujours. Quand les enfants me demandent quand j’ai commencé à écrire, je dis : dans le ventre de ma mère. Et je suis sûre que c’est vrai. C’est ce que je fais de ma vie : j’écris. Même cette semaine à Prague, j’anime des ateliers d’écriture et j’écris avec les élèves. »
Vous avez une particularité : vous écrivez en français et non pas en anglais qui est votre langue maternelle. Comment passe-t-on d’une langue à l’autre pour écrire ?
« J’ai écrit ces 120 livres en français. Je crois que je dois être folle. J’habite en France depuis 48 ans. Quand j’ai commencé mon premier roman, je croyais que j’allais l’écrire en anglais. Et à la fin de la journée, j’ai vu que j’avais écrit en français. »C’est venu automatiquement, sans vous en rendre compte ?
« C’était totalement automatique et inconscient. Et avec beaucoup de fautes, car je n’ai jamais appris le français. Je suis championne du monde des fautes de français. Je ne suis pas fière, j’aurais pu étudier, mais je n’ai jamais eu le courage d’apprendre les conjugaisons. Je dors avec le Bescherelle sur ma table de nuit, mais est-ce que je l’ouvre ? Non, je ne l’ouvre pas… Je vois double quand je l’ouvre… »
Est-ce que vous avez toujours écrit pour les jeunes et les enfants ?
« Je pense que j’écris pour tout le monde, encore et toujours. Je pense que les bons livres pour la jeunesse sont aussi de bons livres pour les ‘vieux’. Je dirais que je me suis vraiment spécialisée dans les livres pour la jeunesse quand je suis devenue maman. La maternité a fait de moi un écrivain pour la jeunesse. Toutes mes idées étaient dans le domaine de l’école, des histoires de mes enfants, puis de mes petits-enfants. Je suis très contente, je revendique d’être écrivain pour la jeunesse même si c’est assez mal vu dans le grand public, c’est être moindre, c’est être petit. Il y a juste eu un certain essor avec Harry Potter qui a donné un peu de gloire à la littérature de jeunesse. »
Harry Potter a rassemblé grands et petits autour des livres et des films…
« Oui, et maintenant John Green avec Nos étoiles contraires. »
Pourtant il y a quand même beaucoup d’écrivains de jeunesse qui sont connus. Je pense à Roald Dahl, ou encore à l’auteur d’Alice aux pays des merveilles, Lewis Caroll qui s’adresse aux adultes mais aussi aux enfants…
« Oui, mais c’est des Anglais. Et c’est glorieux d’être un écrivain de jeunesse en Angleterre ! Il y a une tradition qui n’est pas encore établie en France. Il y a eu La comtesse de Ségur, mais il n’y a pas de grande tradition de littérature en France, ni même de grande tradition d’enfance… »Cela veut-il dire que les Anglais, les Anglo-saxons ont davantage gardé une âme d’enfants ? Je pense aussi à Beatrix Potter et ses magnifiques livres pour enfants…
« Oui, et ce sont des livres qui marchent toujours… »
Donc les Anglo-saxons n’ont pas perdu leur âme d’enfant par rapport aux Français, plus cartésiens, plus intellectuels ?
« Peut-être que les Français n’ont jamais eu une âme d’enfant, une enfance même. C’est très sérieux. J’ai toujours été frappée par le fait que le magazine de l’Association de parents d’élèves s’appelle ‘Pour l’enfant, vers l’Homme’. On prépare les enfants à être des adultes dès le plus jeune âge. Ce n’est pas un état en soi d’être un enfant, c’est une préparation… »
Est-ce que vous-même avez des écrivains de jeunesse favoris ? Et au-delà, dans la littérature générale, quels sont ceux qui vous ont marquée ?
« Mon idole, mon modèle, c'est Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren. Fifi Brindacier est née la même année que moi, en 1945. Je l’aime, elle est tout ce qu’on aimerait être : non-conformiste, indépendante, la première féministe, généreuse, n’en faisant qu’à sa tête, ne rendant des comptes à personne, une petite fille de neuf ans vivant toute seule. Elle a deux couettes, elle s’habille n’importe comment. Ça, c’est vraiment la liberté, l’enfance. Je ne sais pas comment elle a fait, Astrid Lindgren, dans une société puritaine, pour inventer un personnage pareil. Un personnage qui est devenu Lisbeth Salander dans la saga Millenium. Mon idole absolue, ensuite, c’est William Shakespeare : jamais il n’y a eu un écrivain tel que lui, jamais il n’y en aura plus. C’était un dieu, pas écrivain. Sinon je rêve de rencontrer un écrivain américain encore vivant, Philip Roth. J’ai lu absolument chaque mot qu’il a écrit. Je l’aime. Tous les ans je suis déçue qu’il n’ait pas eu le prix Nobel. Je suis une lectrice vorace, alors c’est toujours le dernier livre que j’ai lu dont l’auteur est mon préféré ! Je ne suis pas particulièrement fidèle… »Quels sont les clés pour écrire un bon livre de jeunesse ?
« Si on avait les clés, on ne ferait que ça. C’est mystérieux, c’est une recette connue par personne. Des gens ont essayé en vain de faire des Harry Potter… C’est un moment… La Sixième est un livre banal, mais c’est bon best-seller, et ça fait 33 ans que ça dure ! Il s’est vendu à 1 million d’exemplaires. C’était un moment, un regard… »
C’est quelque chose qui vous échappe…
« Totalement. Parfois, je pense que j’ai écrit le livre du siècle et ça se vend à trois exemplaires et demi ! C’est le bide ! Là, j’ai une série qui s’appelle La Famille Trop d’filles, et ça marche tellement bien qu'ils n’arrêtent pas de me demander d’en écrire d’autres. En deux ans et demi, la série a déjà quatorze livres. Je ne sais pas pourquoi ça a tellement pris, pourquoi les gens s’enflamment comme ça. Ça obscurcit tout le reste de mes livres. Je suis insultée (rires). Quand je suis à un salon du livre, c’est la ruée sur La Famille Trop d’filles ! C’est moi qui l’ai écrit, j’aime les écrire, mais… »Ça devient un peu une cage dorée…
« Oui, c’est fou. Sinon, j’ai fait beaucoup de cours de scénario parce que j’ai du mal à faire une intrigue, à créer un méchant. Je glane des secrets chez les scénaristes. »
Vous êtes traduite dans beaucoup de langues. A quand des traductions tchèques de vos livres ?
« Grâce à la librairie Amadito & Friends, il va peut-être y en avoir parce que l’équipe m’a fait rencontrer un éditeur tchèque. Je crois qu’elle est intéressée, mais elle n’a pas encore lu mes livres. Donc je l’espère, j’en serais heureuse. »
Ce serait une occasion de revenir à Prague…
« Peut-être… On vient toujours à Prague avec plaisir ! »