Sylvie Richterova : Je verrai toujours le monde comme l'espace où l'on peut se mouvoir
L`écrivaine tchèque Sylvie Richterova a écrit son premier livre en Italie où elle s'est établie en 1971. Elle avait fait quelques esquisses pour cet ouvrage déjà à Prague mais n'a rassemblé assez de forces pour l'écrire et pour l'achever que dans l'isolement des premières années de son exil italien. C'était un moment privilégié, un moment de liberté où elle s'est dit : « C'est maintenant ou jamais ».
« Curieux : ce livre de Richterova, écrira Milan Kundera, n'a pas la moindre ambition d'être un témoignage historique, social, politique. Et pourtant, c'est dans ce petit livre, écrit sans aucune intention de « témoigner », que je retrouve à ma grande surprise, ce temps révolu. Combien de fois me suis-je dis en le lisant : mais bien sûr, c'était comme ça alors, oui, exactement comme ça ; et j'avais l'impression de retourner dans mon passé...»
Sylvie Richterova est née en 1945 à Brno, comme Kundera d'ailleurs. Son premier livre évoque son enfance et son adolescence mais reflète aussi les chapitres ultérieurs de sa vie : ses ambitions littéraires, ses études, son exil en Italie où elle enseignait aux universités de Rome, de Padou et de Viterbe. Son livre montre Sylvie Richterova comme une femme qui refuse de limiter son existence par les frontières d'un pays :
« Je ne suis pas et ne serai jamais de ceux qui s'installent à un seul endroit devenant pour eux le centre du monde pour la simple raison qu'ils y sont assis. Je verrai toujours le monde comme un espace où l'on peut se mouvoir. Chaque endroit peut être le centre. Le véritable centre du monde, le centre qui peut se mouvoir, est dans le coeur. »
En Italie Sylvie Richterova rencontre l'écrivain, poète et universitaire Angelo Maria Ripellino et c'est un événement qui marquera profondément sa vie. C'est grâce à ce connaisseur et admirateur de la culture et la littérature tchèque qu'elle trouve un travail à l'Université de Rome. Et c'est sans doute aussi sous l'influence de cet universitaire qui est avant tout un artiste que la jeune femme, qui se spécialisait d'abord dans la littérature française, se met à étudier et à enseigner la littérature tchèque. Pourtant la carrière universitaire ne peut pas la satisfaire entièrement et c'est la création littéraire qui reste l'objectif majeur et l'activité principale de sa vie :
« Je ne me suis jamais sentie professeur, je disais toujours que de tous mes déguisements celui de professeur était le plus fou. Je suis beaucoup plus écrivain. Pour moi donc le plus important est maintenant de pouvoir me consacrer librement à la littérature. Que ce soit la littérature elle-même ou la recherche littéraire. Même maintenant je suis en train d'écrire un livre. Avec l'âge on commence de nouveau à avoir besoin de liberté, au moins dans mon cas, et on a de moins en moins besoin de jouer un rôle social qui est quand même une espèce de camisole de force. Quand on est créatif, on ne doit pas avoir trop de devoirs, on doit travailler à des choses auxquelles on croit. »
Après « Retour et autres pertes » Sylvie Richterova écrit d'autres livres dont « Topographie » et « Second Adieu » sont traduits en français et publiés chez Gallimard. Elle continue à écrire en tchèque et sa création raffermit ses liens avec son pays. Pendant tout ce temps elle travaille à différents niveaux pour rapprocher les deux parties de l'Europe qui ont été séparées pendant un demi-siècle par le rideau de fer.
« Pendant longtemps il me semblait que je sautais un profond gouffre. L'Europe me semblait divisée par un grand gouffre. Et j'évoquais cela dans mes écrits. J'ai participé aussi à une conférence où j'en ai parlé et tout le monde applaudissait. Mais après 1989 mes collègues italiens ne se précipitaient pas pour aider mes collègues tchèques dans des universités italiennes. Cependant aujourd'hui encore je pense que ce gouffre influe sur la mentalité des gens, que l'Europe divisée n'est pas une plaie guérie. Tout est en mouvement et le monde change de plus en plus rapidement mais ce demi-siècle de l'Europe divisée et de la perception différente des choses, le demi-siècle d'aliénation n'a pas encore été guéri. »
Ces dernières années Sylvie Richterova revient de plus en plus souvent en Tchéquie et renoue plus intensivement ses attaches avec le milieu culturel tchèque, sans renier pour autant l'Italie, sa patrie d'élection. Elle suit avec attention l'évolution de la Tchéquie, ses progrès, ses reculs, ses hésitations, ses erreurs, mais reste sans illusions sur le cheminement de la société occidentale à laquelle les Tchèques désirent appartenir :
« J'ai été prudente dans une certaine mesure et, malheureusement, je ne me suis pas tout a fait trompée. Une amie m'a demandée, déjà en 1990, comment je voyais la situation. Et je lui ai répondu que les gens en Occident courraient en avant mais ne voyaient pas où. Parce que l'horizon se perdait devant eux comme sur la mer ou quand on fait du ski et tout à coup il y a une pente très abrupte. Et nous les Tchèques nous tâchons de rattraper les Occidentaux mais actuellement la société ne sait pas où elle va. Je le pensais à l'époque et je le pense toujours. »