Toussaint : en Tchéquie, les obsèques sans cérémonie deviennent une pratique courante

Ce jeudi 2 novembre, les Tchèques célèbrent la fête des fidèles défunts, appelée communément « Dušičky », en fleurissant les tombes et en y allumant les bougies. Une tradition perpétuée dans une République tchèque où le taux de crémations, dont celles sans cérémonie, est l’un des plus élevés en Europe.

En 2022, la Tchéquie a enregistré 120 000 décès, dus principalement aux maladies cardio-vasculaires et au cancer. Deux Tchèques sur trois meurent à l’hôpital, même si, à en croire les sondages, ils seraient 85% à vouloir finir leur vie chez soi. Cette situation ne revêt rien d’exceptionnel dans le contexte européen, contrairement aux pratiques funéraires des Tchèques.

Photo: Filip Jandourek,  ČRo

Le pays compte une trentaine de crématoriums, soit le plus grand nombre au monde proportionnellement à sa population. Pas étonnant, donc, que la crémation représente en Tchéquie plus de 75% du total des obsèques, ce qui range le pays, au côté de la Suisse, du Danemark, de la Grande-Bretagne ou de la Suède, parmi les « champions » européens du taux d’incinérations.

Toutefois, la Tchéquie se démarque de ces pays par un nombre très élevé de funérailles sans cérémonie : une pratique de plus en plus répandue dans le pays depuis la chute du régime communiste. Le phénomène ne s’explique pas uniquement par des raisons budgétaires, bien que le côté financier ne soit pas négligeable : l’incinération coûte environ 15 000 couronnes, mais lorsqu’elle est précédée d’une cérémonie au crématorium ou quand il s’agit d’une inhumation accompagnée d’une cérémonie religieuse ou laïque, la taxe est deux, voire trois fois élevée. Mais les explications à ce comportement sont multiples :

Olga Nešporová | Photo: ČT

« (…) Le recours aux obsèques simples est, plus qu’autre chose, une réaction à la manière dont les funérailles civiles étaient organisées dans la Tchécoslovaquie de la deuxième moitié du XXe siècle », estime par exemple l’anthropologue Olga Nešporová.

Martin Červený | Photo: Filip Jandourek,  ČRo

« Depuis longtemps, on constate que la mort est un sujet tabou dans nos sociétés. Mais je crois que ces dernières années, les gens n’ont plus tellement peur d’aborder ce sujet et d’exprimer leurs souhaits, ce qui se reflète aussi sur l’offre des pompes funèbres qui est en train d’évoluer. On dit souvent que les Tchèques sont indifférents et n’enterrent pas leurs proches. Mon expérience est tout autre : beaucoup de gens organisent les funérailles de leurs proches tout seuls et à leur manière, dans des endroits peu habituels pour ce genre de cérémonie, parce que les obsèques traditionnelles dans un crématorium ne leur conviennent pas du tout », explique Martin Červený, directeur des Cimetières et Pompes funèbres de la ville de Prague.

Photo: Kristýna Maková,  Radio Prague Int.

Cette institution propose aux familles qui refusent la cérémonie habituelle de se recueillir dans un « pohřební ateliér » (littéralement un atelier funéraire), où elles peuvent rendre hommage à leurs proches disparus à leur manière. A Prague, mais aussi dans d’autres villes du pays, il est également possible d’organiser des cérémonies d’adieu dans des espaces verts.

Parfois, l’absence de cérémonie est souhaitée par le défunt, comme l’explique Marek František Drábek, prêtre et aumônier dans un hôpital pragois :

Marek František Drábek | Photo: Bohumila Reková,  ČRo Plus

« Certaines personnes demandent à leurs proches de ne pas organiser d’enterrement, mais c’est un bien mauvais service qu’ils leurs rendent. On sait à quel point ce rituel est important pour les familles et leur deuil. Il m’est arrivé d’organiser un enterrement plusieurs années après la mort d’une personne, parce que ses proches en avaient besoin. (…) Je fais partie d’une équipe qui organise des formations pour les managers. On y aborde aussi le sujet de la mort. L’une des participantes m’a dit qu’elle avait lancé un débat à ce sujet dans sa famille et que son grand-père était très content et soulagé de pouvoir enfin dire à ses proches comment il voulait être enterré. Il m’est arrivé également d’être présent à plusieurs funérailles alternatives, je dirais, qui n’étaient pas organisées dans une église, mais où on m’a demandé de prononcer une prière. Je pense que c’est un nouveau défi à relever pour nous tous qui apportons un soutien spirituel aux personnes mourantes et à leurs proches. Nous devons répondre à la créativité des gens dans ce domaine. »

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.