Trafic de visas tchèques en Ukraine, un problème complexe
Alors que de nombreuses entreprises tchèques cherchent à embaucher des travailleurs ukrainiens pour faire face à la pénurie de main d’œuvre, les Ukrainiens qui souhaitent obtenir un visa tchèque sont confrontés à un sacré problème : il est presque impossible de fixer un rendez-vous au consulat pour déposer leur demande. En effet, des structures réservent à l’avance les dates libres et les revendent ensuite contre des sommes importantes.
« J’ai essayé de m’enregistrer dans le système pendant toute une semaine. Je n’ai pas réussi car le système indiquait qu’il n’y avait pas de dates libres. J’ai donc cherché des possibilités sur Google et je suis tombée sur un site qui offrait une aide avec les enregistrements dans le système. Je les ai contactés. L’échange s’est effectué uniquement par courriels, je ne connaissais ni le nom ni le numéro de téléphone de la personne avec qui je communiquais. »
Anna a payé à l’agence environ 200 euros. Ensuite, elle a obtenu une date de rendez-vous au consulat et a pu enfin déposer une demande de visa.
Des expériences similaires sont partagées par de nombreux autres Ukrainiens ; selon Anna jusqu’à 95 % des personnes désirant obtenir un visa tchèque sont touchées par le problème. C’est d’ailleurs ce que confirme également Ivo Dokoupil qui a travaillé dans le pays en tant qu’employé de l’ONG tchèque Člověk v tísni (L’Homme dans la détresse en français) :
« Quand vous arrivez en Ukraine, vous voyez partout, que ce soit dans les bus, sur les places des villes ou dans des magasins, les publicités de différentes agences proposant des visas pour la République tchèque et l’espace Schengen. »
C’est la raison pour laquelle la Radio tchèque, et plus précisément le journaliste d’investigation Janek Kroupa a décidé de dévoiler cette pratique :
« Outre le témoignage de cette fille et de plusieurs autres personnes qui ont vécu la même expérience, nous avons trouvé un collaborateur ukrainien. Ce dernier a tout d’abord essayé de s’enregistrer via le système électronique et, comme les autres, il a échoué. Il s’est donc rendu personnellement dans une agence. Les employés de l’agence lui ont expliqué comment procéder et ont encaissé de l’argent. Et puis, il a finalement obtenu le visa. »Toutes les négociations entre le présumé client et l’agence ont été secrètement enregistrés. Comme en témoignent les enregistrements, les agences donnent à première vue l’impression d’être de vrais professionnels dans le domaine. Or, le trafic de visas tchèques représente un business florissant en Ukraine. Une demande par l’intermédiaire d’une agence coûte en moyenne entre 250 et 1 500 euros, une somme largement supérieure à son prix réel au consulat, à partir de 35 euros selon le type de visa demandé.
De plus, à en croire Janek Kroupa, les agences ont parfois recours à des pratiques illégales, en proposant à leurs clients différentes attestations nécessaires pour l’obtention du visa, par exemple un document prouvant qu’ils ont des moyens financiers suffisants pour séjourner en République tchèque.
Le problème n’est pas méconnu des autorités tchèques, les services de renseignement le dénonçant dans ses rapports depuis 2012 déjà. De même, le ministère des Affaires étrangères affirme être au courant du trafic de visa et faire son possible pour y mettre fin. Cependant, pour le ministre adjoint, Martin Smolek, il n’est pas facile de trouver des moyens efficaces pour empêcher aux agences de réserver les dates dans le système Visapoint car la pratique n’est pas vraiment considérée comme illégale par la législation ukrainienne :
« C’est légal. Certes, ce n’est pas bien joli et nous ne voulons pas l’encourager. Mais nous ne pouvons rien faire d’autre que de dissuader les agences de poursuivre cette activité. On trouve des pratiques de ce type uniquement dans des pays comme l’Ukraine ou le Vietnam. C’est dû en grande partie à la mentalité des gens de ces pays qui ont moins de problème à régler leurs affaires par des canaux officieux plus ou moins licites. »
En attendant, le ministère entend lutter contre les agences par le lancement d’une « liste d’attente illimitée ». Des candidats pourraient dans ce cas réserver par exemple un rendez-vous pour dans dix ans et espérer ainsi devancer les agences.