Trygve Wakenshaw : « Je crois qu’il y a une grande tradition du pantomime muet à Prague »
Mimes, chutes et grimaces sont au programme ce vendredi soir de la salle Jatka78. Armé de son sourire enfantin et de son humour parfois un peu puéril, le néo-zélandais Trygve Wakenshaw s’est installé à Prague il y a quelques années. Il propose une toute nouvelle version de son spectacle « Cabaret Bears Costume ». Colin Gruel a rencontré ce clown il y a quelques semaines, alors qu’il sortait de scène.
« Le spectacle que vous avez vu ce soir était un spectacle de… mime comique de… flux de conscience… non-verbal ? Cabaret Bears Costume est juste cette chance extraordinaire pour moi d’explorer d’essayer nouveaux matériaux en revisitant un ancien matériau. »
La première fois que vous avez donné ce spectacle, il était totalement improvisé. Qu’en est-il de la place de l’improvisation désormais ?
« Maintenant, je suis vraiment tiraillé. Il n’y a pas de grande improvisation, juste des petits ajustements un peu tout le temps. Mais il est très rare qu’une scène entière apparaisse comme ça dans mon drôle de « train de pensée ». Et c’est sans doute l’aspect le plus complexe dans le fait de présenter ce spectacle. Quand le spectacle a commencé à être populaire et que j’ai commencé à tourner avec, je me suis rendu compte que je faisais semblant, par exemple, d’avoir oublié quelque chose dans mon spectacle, je faisais semblant de rire… Ce soir, tout était purement accidentel parce que je n’avais pasprésenté ce spectacle depuis un bout de temps, donc j’essayais juste de me souvenir de parties que j’avais un peu oubliées ! Mais donc oui, ça a été assez difficile pendant un temps de ne pas pouvoir improviser. »
Vous êtes de Nouvelle-Zélande, qu’est-ce qui vous a amené à Prague ?
« J’étais arrivé à un point en Nouvelle-Zélande où je risquais de finir par tourner dans des soaps pour la télévision, je ne voulais vraiment pas faire ça. Alors j’ai quitté la Nouvelle-Zélande, j’ai étudié auprès de Philippe Gaulier en France pendant deux ans. Puis je me suis lancé dans le circuit des tournées internationales, j’ai fait des festivals en Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, surtout l’Edinburgh Festival Fringe. Et j’ai commencé à jouer à Prague au printemps, c’était super beau, et je me suis dit que j’habiterais bien ici. »Pensez-vous que Prague soit la ville idéale pour le type de spectacle très singulier que vous proposez ?
« Oui, je pense. Je me plais beaucoup ici, parce qu’il y a une grande tradition du pantomime muet, et j’ai l’impression qu’en ce moment c’est très populaire ici. Ce que je fais est légèrement différent. La tradition ici est bien plus intellectuelle que ma vision. Je ne me sens donc pas encombré par cette tradition du mime. Donc je n’ai pas à le faire particulièrement bien, j’ai juste à prendre plaisir à faire semblant que je suis une licorne (rires). »
Comment comprenez-vous le rire du public ? Il y a certes beaucoup d’humour dans votre spectacle, mais est-ce qu’à certains moments ce rire ne sert pas à dissiper une sorte de malaise ?
« Je pense que parfois cela arrive, mais c’est bien. Ce à quoi j’aspire toujours, c’est de faire un spectacle que le public n’aura jamais vu auparavant. C’est le principe auquel je me tiens quand je crée un spectacle : je veux qu’il soit en tout point différent de ce qui a été vu jusque-là. Et donc peut-être que le rire peut venir d’un malaise ou d’une surprise… Je dirais plutôt de la surprise que du malaise, en fait. »Vous aimez beaucoup jouer avec les limites du public. Certains jouent presque un rôle de bouc-émissaire.
« Je crois que je le fais avec amour et générosité. J’ai vu des comédiens amener des membres du public sur la scène pour les humilier quelquefois. J’espère que ce n’est pas humiliant, c’est un jeu, et j’invite le public à jouer avec moi, comme des amis. Des amis que je n’ai jamais rencontrés avant… Mais ils acceptent de faire partie de cette étrange fantaisie qui est la mienne. C’est la seule chose qui peut me blesser un peu, parce que je ne demande jamais rien de plus qu’un consentement. Je dis juste « fais semblant de manger une pomme », et tout ce que vous avez à faire c’est le bruit de quelqu’un qui mange une pomme. Mais parfois les gens ne veulent pas franchir cette petite étape. »
Ce qui est très intéressant et intrigant dans le spectacle, c’est la façon absurde dont vous passez d’un mime à l’autre. Comment est-ce que ça vous vient ?
« Quand j’ai créé ce spectacle, c’était de la pure improvisation. Peut-être que j’ai juste commencé une nuit, je n’avais pas la moindre idée de ce que je faisais. Tout ce que j’avais, c’était ce que je faisais sur le moment. Par exemple je faisais le sifflement de saucisses en train de cuire, et quelque part mon cerveau devait se dire « Ah, je suis un serpent, maintenant ! ». Et je suivais ce cheminement et donc je devenais un serpent, je réfléchissais à comment jouer avec ce serpent… Et ainsi de suite. Et quand je n’ai plus l’idée, il suffit de continuer le mouvement ou le bruit, et tout va bien se passer. C’est comme suivre un flux de conscience. »Et on vous suit aussi : au moment où vous avez commencé à tirer de fausses flèches sur une fausse pomme posée sur la tête d’une petite fille dans le public, la petite fille a caché ses yeux, apeurée…
« Oui, j’adore ça ! Ce sont les moments dont je suis le plus fier. Pour moi c’est le même voyage que quand on lit un livre : on crée les images des montagnes qui sont décrites, la maison qui est décrite, mais elles n’existent que parce que nous les créons. J’adore ça, c’est vraiment ce que je préfère. »
Sans vouloir trop intellectualiser votre spectacle, il y a ce moment où vous aimez jouer entre réalité et mime, où vous sortez une canette de bière tout à fait réelle que vous voulez ranger dans un placard fictif.
« Oui ! C’est l’un des moments les plus drôles, et j’aime me dire que je ne l’ai pas encore totalement exploité. Je pense que j’en suis seulement à 70%. J’en suis fier, c’est drôle, mais ça pourrait aller plus loin. Il y a quelque chose de tellement absurde, et ce sentiment très agréable où le public est surpris par un objet réel. Dans ce moment particulier, j’essaye de changer le plomb en or, en fait. Et parfois j’en suis vraiment très proche, mais pas encore tout à fait. »