Un bilan économique de l’année 2016
La fin de l’année, c’est bien sûr le temps des bilans. Radio Prague ne coupera à cet usage avec des retours sur la politique, le tourisme et la culture en 2016. Mais cela commence aujourd’hui avec un bilan économique de l’année écoulée en compagnie de l’économiste Aleš Chmelař, qui dirige le département en charge des stratégies de l’Union européenne au sein du bureau du gouvernement. Car en 2016, la Tchéquie a affiché des résultats macroéconomiques à faire pâlir nombre de pays européens. Le taux de chômage par exemple n’en finit pas de baisser. Il était à 4,9% au mois de novembre. Aleš Chmelař a commencé par nous expliquer pourquoi :
Croissance et taux de chômage dans le vert
« Plusieurs éléments ont influencé ce taux de chômage si bas ou si optimal pour la République tchèque. Il y a trois éléments qu’il faut souligner. Le premier, c’est l’effet de cycle. Nous savons que la récession de 2012 et 2013 a eu des effets négatifs sur le taux de chômage et sur le taux d’emploi en général et nous sommes en train de revenir au taux d’avant-crise. Le second effet, c’est l’effet d’investissement des fonds européens qui ont été absorbées dans des volumes exceptionnels l’an passé et qui ont créé une certaine vague d’investissements et de consommation, qui naturellement ont créé de l’emploi. Troisièmement, c’est la politique monétaire, l’intervention de la Banque centrale tchèque, mais aussi en lien avec la politique du gouvernement, non pas dans l’expansion fiscale, mais dans une perspective conservatrice de la politique fiscale et de la hausse des salaires. »Ce faible niveau de chômage ne pose-t-il pas des problèmes de manque de main d’œuvre ? Il y a eu cette année des cas d’entreprises qui cherchaient des employés et le recours par exemple à des travailleurs étrangers, notamment venus d’Ukraine…
« Certainement, c’est quelque chose qu’on rencontre très fortement cette année. Les partenaires sociaux sont les premiers finalement à signaler ce manque de main d’œuvre en République tchèque. Néanmoins, on doit regarder la situation du point de vue du cycle économique, où on sait que cette situation positive ne peut pas durer à jamais et est sans doute temporaire. La deuxième chose, c’est qu’on attend un certain ajustement des salaires qui pourrait aider en matière de demande et d’offre de main d’œuvre sur le marché du travail. Si on suppose que les salaires vont augmenter l’année prochaine et les années suivantes, on devrait enregistrer une certaine baisse de la demande pour la main d’œuvre et finalement on arriverait à un équilibre économique qui est plus positif pour la République tchèque. On est donc dans un certain processus d’ajustement en ce moment qui cause aussi ce manque de main d’œuvre. »Ce faible taux de chômage est aussi lié au fait que la croissance tchèque est relativement positive, en tout cas si on la compare aux autres pays de l’Union européenne et surtout de l’eurozone. La croissance attendue cette année est autour de 2,5%, soit 0,7 point de plus que la moyenne européenne. Quelle est la structure de cette croissance tchèque ?
« Premièrement, comme l’année dernière, c’est la consommation des ménages et la consommation du gouvernement, qui est bien sûr lié d’une certaine manière ; c’est la hausse des salaires dans le secteur public, qui est une grande contribution à la croissance. Mais c’est aussi, l’année dernière beaucoup plus que cette année, la hausse des investissements et l’absorption des fonds européens qui ont encore des effets positifs sur le PIB ou sur la croissance du PIB, même si on enregistre une certaine baisse de la croissance des investissements. Et puis, pour la première fois depuis quatre ou cinq ans, la croissance est aussi due à la contribution des exportations nettes. C’est une nouveauté après une grande consommation des produits d’investissement importés, liée aussi à l’absorption des fonds européens. Pour la première année depuis peut-être 2013, on enregistre une certaine contribution des exportations nettes, ce qui est quand même assez exceptionnel au vu des dernières années. Si je dois simplifier, c’est donc la consommation des ménages, la consommation du gouvernement, y compris les investissements. »Des problèmes structurels de l’économie tchèque ?
Vous avez mentionné aussi les exportations. A ce sujet, la République tchèque n’est-elle pas trop dépendante de son voisin allemand ?
« Certainement, on a une certaine dépendance vis-à-vis des pays voisins qui ensuite ont une tendance à réexporter les produits en République tchèque. Mais ceci n’est pas forcément un problème vu que cette exportation n’est pas à destination de l’Allemagne mais à destination des autres pays de l’Europe et du monde. Dans ce sens, on ne dépend pas de l’Allemagne, on dépend d’une certaine manière de tous les autres pays via l’Allemagne qui est un certain point de contact. C’est tout à fait compréhensible parce que l’accès au marché global est bien sûr beaucoup plus facile et beaucoup efficace pour l’Allemagne que l’accès de la République tchèque. »
N’y a-t-il pas en République tchèque un problème avec le fait que de nombreux grands groupes y réalisent d’importants bénéfices qui profitent ensuite à l’étranger et sont notamment distribués sous la forme de dividendes ? Il y a récemment l’exemple de ce conflit entre la municipalité de Prague et Veolia qui, via la société PVK, distribue l’eau dans la capitale tchèque. La municipalité de Prague critique Veolia pour faire d’importants bénéfices qui ne sont pas utiles à la ville.« Effectivement, sans prendre un exemple concret qui pourrait faire diverger le débat, la structure de l’économie tchèque nous montre qu’il y a une forte, une certaine évasion ou une certaine fuite des profits. Ce taux qui atteint une valeur d’environ 8%, ce qui est exceptionnel au niveau européen, montre que cette fuite est deux fois plus grande que ce à quoi on pourrait s’attendre en regardant des chiffres objectifs. Alors, nous avons un problème de structure économique. On a un certain problème d’absorption de la valeur ajoutée de notre participation aux chaînes globales de production. C’est clair mais c’est un problème structurel de l’économie tchèque et pas forcément le problème de certains groupes d’entreprises ou de certaines entreprises concrètes. C’est un problème économique tchèque. »
Uniformiser les niveaux de vie à l’échelle européenne
Depuis le début du mandat du gouvernement de Bohuslav Sobotka, il y a un effort fait pour augmenter le salaire minimum qui va passer de 9 900 couronnes à 11 000 couronnes au premier janvier. Le salaire minimum sera ainsi légèrement supérieur au seuil de pauvreté. Quelle est la logique de la politique gouvernementale vis-à-vis des bas salaires ?
« On voit très bien en regardant la structure macroéconomique de l’économie tchèque que notre volume destiné aux salaires est fortement moins élevé par rapport à la production générale du PIB que dans d’autres pays européens. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est aussi un autre aspect de cette fuite des profits. Finalement notre économie génère de grands profits et des salaires moins élevés que ce à quoi on s’attendrait en regardant l’état de l’économie. L’équilibre actuellement est un équilibre de marché qui est un équilibre sous-optimal du point de vue de l’économie entière. Cette pression à l’augmentation des salaires, non seulement des bas salaires mais aussi dans le secteur public est un moyen d’arriver à un équilibre plus optimal, qui distribuerait les profits de la production de la valeur ajoutée dans l’économie de manière plus équitable et plus efficace du point de vue économique. »Il y a encore un problème d’uniformisation des niveaux de vie au niveau européen. Les revenus en République tchèque sont à hauteur de 38% du revenu moyen à l’échelle européenne. Comment peut-on faire pour aller vers une uniformisation des niveaux de richesse dans cette Union européenne ?
« C’est une question bien sûr très compliquée. On a en ce moment des moyens qui sont la politique de cohésion européenne, qui contribue d’une grande manière au développement et aux investissements en République tchèque. Notre gouvernement pense que l’absorption de ses fonds et leur utilisation efficace est une des priorités. C’est seulement un aspect. L’autre côté, c’est aussi notre capacité structurelle à créer de la valeur à l’intérieur du marché intérieur. Et il faut parfois se demander si le marché intérieur est d’une certaine manière neutre, si notre position dans ce marché correspond à notre efficacité économique et s’il n’y a pas de déséquilibre de pouvoir sur le marché intérieur ou des obstacles qui mettraient la République tchèque dans une position inférieure. »
Quel équilibre pour le marché intérieur ?
Ces différentiels de niveau de vie ont des manifestations conflictuelles en Europe, par exemple avec la question des travailleurs détachés. Pour ce qui est des chauffeurs routiers, l’Allemagne et la France imposent désormais aux transporteurs circulant sur leur territoire d’être payés au niveau de leurs salaires minimums. Comment voyez-vous cette problématique ?
« Bien sûr, des débats politiques ont lieu à beaucoup de niveaux. Mais du point de vue analytique, il est clair que ce conflit peut être résumé par le fait que, en Europe centrale et orientale, nous avons un certain scepticisme par rapport à notre capacité à fonctionner efficacement dans le marché intérieur, ce qui se manifeste aussi par cette fuite des profits, que la population prend souvent comme un élément d’injustice dans le marché intérieur. D’un autre côté, les pays qui contribuent plus au budget européen pensent qu’ils envoient de l’argent à ces pays ‘gratuitement’ ou en termes d’une solidarité qui n’est peut-être pas réciproque.On a vraiment un malentendu qui est grave. Il faut comprendre que ce n’est pas un conflit entre les pays mais c’est un conflit, disons, dans la distribution de la richesse au niveau européen. Nous savons très bien que les fonds européens sont payés par tous les contribuables de toute l’Union européenne, y compris des travailleurs, y compris des petites et moyennes entreprises, alors que souvent les plus grands fruits du marché intérieur sont récoltés par les plus grandes entreprises.
Finalement quand on regarde ce conflit, il ne devrait pas s’agir d’un conflit entre la France et les Pays-Bas d’un côté disons, et la Roumanie, la Hongrie ou la République tchèque de l’autre. Mais c’est plutôt un débat sur la justice ou sur l’équilibre à l’intérieur du marché intérieur et aussi un débat sur la taxation efficace et juste des entreprises qui profitent le plus du fonctionnement du marché intérieur et sur leur capacité à vraiment contribuer à diminuer les différences et les conflits sociaux et sociaux-économiques engendrés par les effets du marché intérieur. »
Au niveau européen, il y a aussi un débat entre les partisans de la rigueur budgétaire et ceux qui privilégient la relance par l’investissement public. En République tchèque, le déficit du budget de l’Etat et la dette publique sont relativement faibles. N’y aurait-il pas la place pour plus d’investissements publics ?
« Certainement, mais en ce moment c’est ce que nous faisons dans le sens où l’économie mondiale et globale est dans une situation où le prix de l’argent est très bas, irrationnellement très bas, proportionnellement au taux d’investissement. Le taux d’investissement devrait décidément être plus important et il n’y a pas d’autre autorité que l’autorité publique qui pourrait en ce moment engendrer une certaine politique d’investissement. Vu que les ménages et les entreprises sont sceptiques, il faut une certaine politique de relance.
Mais en République tchèque, nous sommes vraiment au maximum de notre capacité en termes des projets des administrations. Car depuis des années, peut-être des dizaines d’années, nous avons sous-estimé notre capacité à faire des projets, par exemple d’infrastructures, ainsi qu’à redémarrer ces processus. C’est long et cela demande beaucoup vu notre capacité. »
Vers la fin de l’intervention monétaire de la Banque centrale tchèque
Depuis novembre 2013, la Banque nationale tchèque (ČNB) mène une politique de dévaluation de la couronne tchèque. Cette intervention monétaire pourrait prendre fin à partir de la mi-2017. Quels seront les conséquences de cette fin de la politique de dévaluation ?« Le gouvernement, sans être impliqué dans la décision exacte des modalités de la fin de l’intervention, doit prendre en considération ce qu’il faudra faire pour réagir à la hausse attendue assez abrupte du prix des exportations tchèques, ce qui va probablement amener à une certaine baisse de notre capacité à exporter et à être compétitif au niveau des prix dans le marché intérieur. En plus de bien observer la situation, nous devons préparer certaines mesures qui sont normalement liées à la réaction du gouvernement sous forme des politiques de crise. Nous avons par exemple un outil qui s’appelle ‘kurzarbeit’, qui devrait aider à financer temporairement les entreprises faisant face à une baisse de la demande, pour qu’elles puissent survivre. Le gouvernement va être actif dans ce cadre et nous espérons bien sûr que la fin de l’intervention va être la plus paisible possible. »