Un dissident ouïghour et une initiative pour la réconciliation dans les Balkans récompensés par le prix Václav Havel
Depuis 2013, le prix Václav Havel est remis tous les ans à des personnalités de la société civile qui œuvrent activement pour la défense des droits de l’homme. Lundi, lors d’une cérémonie spéciale au Palais de l’Europe à Strasbourg, jour de l’ouverture de la session plénière d’automne de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), le prix Václav Havel a été décerné conjointement à l’intellectuel ouïghour Ilham Tohti et à l’Initiative des jeunes pour les droits de l'homme.
Après la projection d’un court film rappelant la vie de l’ancien président et ancien dissident tchèque Václav Havel et son engagement pour la défense des droits humains, c’est la présidente de l’APCE, Liliane Maury Pasquier, qui a pris la parole devant les parlementaires du Conseil de l’Europe qui fête par ailleurs ses 70 ans cette année :
« Ce que nous célébrons aujourd’hui ce sont aussi 70 années d’actions concrète, courageuses et déterminées, menées par des femmes et des hommes qui militent tous les jours pour les droits humains. En effet, en plus d’être un idéal auquel nous aspirons ou une conception juridique que nous partageons toutes et tous, les droits humains ont un visage humain. Ils s’incarnent. Ce visage est celui de celles et ceux dont les droits sont bafoués ou qui sont en situation de grande vulnérabilité. Mais c’est aussi le visage de celles et ceux qui leur viennent en aide. »Parmi ceux qui viennent justement en aide aux personnes dont les droits sont bafoués, Ilham Tohti, un intellectuel de la minorité musulmane ouïghoure, persécutée par le régime de Pékin. Accusé de séparatisme, Ilham Tohti a été condamné en 2014 à la prison à vie par la justice chinoise. La simple pré-sélection de ce dissident, également recommandé pour recevoir le prix Nobel de la Paix, a suscité l’ire des autorités chinoises qui ont accusé le Conseil de l’Europe de « soutenir le terrorisme ». Son prix a été remis, lundi, à Enver Can, de la Fondation Ilham Tohti :
« Le prix Václav Havel est une reconnaissance importante par les pays occidentaux du travail d’Ilham Tohti pour les droits humains et la liberté de son peuple. Cela va sans nul doute contribuer à sa survie derrière les barreaux et inciter le peuple ouïghour à continuer de résister contre l’oppression. Aujourd’hui, le prix distingue une personne, mais ce faisant, il reconnaît aussi toute une population et lui donne une voix. »Créée en 2003, l’Initiative des jeunes pour les droits de l’homme est un réseau d’ONG établi entre la Serbie, le Kosovo, la Croatie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine. Visant à établir des liens entre les jeunes de ces pays qui se sont déchirés dans les guerres des Balkans de la fin du XXe siècle, l’Initiative est le second lauréat du prix Václav Havel cette année. Ivan Djuric est un de ses représentants :
« L’objectif de notre initiative est de faire face au passé, ce qui, nous le croyons, est la seule garantie d’une paix viable. Notre devise est : trop jeunes pour nous souvenir, déterminés à ne jamais oublier. Nous essayons de rectifier les erreurs du passé afin que les victimes puissent bénéficier d’une certaine justice. Nous voulons aussi créer un futur pour les Balkans, sous le signe de la paix. Ce futur que nous voulons, c’est un futur qui ne soit pas bâti sur des préjugés et des mensonges, mais sur des expériences authentiques et des faits. Nous sommes profondément fiers, reconnaissants et honorés de recevoir ce prix. Nous voulons remercions l’APCE, la Fondation de la Charte 77 et la Bibliothèque Václav Havel d’avoir reconnu les valeurs que nous défendons. »Devant l’Assemblée parlementaire réunie, sa présidente Liliane Maury Pasquier a tenu à souligner la filiation des combats des activistes actuels avec celui de Václav Havel en son temps :
« Il est toujours difficile de faire un choix quand nous avons devant nous des personnalités et des organisations aux parcours exceptionnels. Mais nous nous devions de prendre une décision et nous avons essayé de rester le plus fidèles possible à l’héritage de Václav Havel. Les lauréats du prix sont sans nul doute à la hauteur de cet héritage. Leur engagement en faveur des droits humains est exemplaire. Alors qu’ils n’ont pas hésité à prendre la défense de causes qui ne font pas l’unanimité dans la société, le message qu’ils portent est celui du dialogue et du respect. Le courage admirable dont ils font preuve leur permet de résister à l’incompréhension et au rejet ainsi qu’aux pressions politiques, qui dans le cas de M. Tohti ont donné lieu à une condamnation pénale pour avoir exprimé librement ses opinions. Enfin, leur action porte un message d’espoir pour toutes celles et ceux qui aspirent à un monde meilleur où la dignité, les droits et les libertés fondamentales de toutes et tous sont respectées et garanties. »Doté de 60 000 euros, le prix Václav Havel a distingué depuis sa création plusieurs personnalités qui, dans leur pays ou en exil, luttent pour la défense des droits de l’homme. L’an dernier, il avait été décerné à Oïoub Titiev, responsable de l’ONG russe Memorial, emprisonné au moment de la remise du prix en 2018, mais en liberté conditionnelle depuis juin dernier après dix-huit mois passés derrière les barreaux.