Un enfant dans les rouages de l’histoire

Christophe Donner

C’est un enfant qui est le héros du roman «Un roi sans lendemain» de Christophe Donner, un enfant incommode qu’on a laissé mourir en prison. Les révolutionnaires ont guillotiné son père Louis XVI et sa mère Marie-Antoinette, et il a été pendant une courte période roi de France, roi sans couronne et sans lendemain. Dans son roman, Christophe Donner évoque la vie et le martyre de cet enfant et aussi la vie de l’homme qui devait devenir son bourreau, la vie de Jacques-René Hébert, fondateur du journal satirique «Le Père Duchesne». Parallèlement le romancier raconte une tentative avortée de tourner, au début du XXIe siècle, un film sur Louis XVII. C’est de tout cela qu’il a été question dans la seconde partie de l’entretien accordé par Christophe Donner à Radio Prague.

Christophe Donner
C’est quand même un roman, une œuvre de fiction. En lisant ce livre, on se demande dans quelle mesure les faits que vous décrivez correspondent à la réalité, aux faits historiques…

«Il n’y a pas grand-chose de non historique. Il y a quelques fabrications de scènes que je n’ai pas vécues, mais qu’aucun historien n’a vécues. Par exemple, si l’on prend la chose la plus troublante pour les gens qui est la rencontre du jeune roi et de Robespierre, chef de la Révolution, c’est avéré par les historiens, par les espions du premier ministre anglais de l’époque, William Pitt, par des rapports d’époque qui ont déterminé que Robespierre avait kidnappé l’enfant-roi, l’avait sorti du Temple. Et là, il y a un mystère total. On ne sait pas ce qu’il en a fait. Il l’a ramené au bout de trois jours. J’invente, je recrée cette scène qui a eu lieu, mais dont on n’a aucun témoignage, évidemment. Curieusement, aucun romancier, aucun historien n’a essayé d’imaginer ce qui a pu se passer entre ces deux êtres si dissemblables et qui avaient l’intérêt commun de restaurer la royauté et de remettre l’enfant sur le trône. Aujourd’hui on sait, et on l’a toujours su mais on l’a caché longtemps en France, que Robespierre était en fait tout à fait royaliste et qu’il voulait devenir régent. On a l’idée que Robespierre était un révolutionnaire républicain, mais il était tout sauf un républicain dévoué à la cause du peuple. Il n’était dévoué qu’à sa propre cause. Il voulait régenter et pensait que l’enfant pourrait lui servir d’instrument à ça. Je pense qu’il a découvert que l’enfant était dans un tel état physique de délabrement qu’il y a renoncé. C’est ma théorie.»

Louis XVII,  'l'Enfant du Temple'
Le sort tragique de l’enfant-roi jette donc une nouvelle lumière sur les coulisses de la Révolution française ? Quelle leçon peut-on en tirer?

«Oui, ce qui est significatif, c’est le silence autour de cet enfant. L’existence de cet enfant est connue, son drame est connu, même si au début du XIXe siècle beaucoup ont prétendu être ‘l’Enfant du Temple’. Mais toute cette stratégie des faux Louis XVII a entretenu en fait le silence sur son meurtre. Ce qui est significatif, c’est comment la République française a fait silence sur cette affaire. Elle mettait en cause non seulement la République mais aussi les royalistes parce que finalement ça arrangeait Louis XVIII de voir cet enfant partir. Le fait de laisser cet enfant mourir et de l’avoir abandonné est une honte même pour la famille royale et pour toute la monarchie française. Pourtant, le peuple a entretenu la mémoire de cet enfant, une légende même sourde, même sous-jacente.»

Jacques-René Hébert
L’homme que vous considérez comme le principal responsable du martyre du jeune Louis XVII est un journaliste, Jacques-René Hébert. Pourquoi les livres d’histoire parlent si peu de lui, par rapport par exemple aux autres personnalités de la Révolution, Danton, Marat, Robespierre?

«Parce qu’il n’a pas eu non plus le pouvoir. A un certain moment, il faut être déterminant. Alors, il a été déterminant de manière sous-jacente, mais il n’a jamais eu la fonction qui lui aurait permis d’apparaître à la lumière comme Danton, comme Robespierre. Cela dit, il a eu un rôle très important, aussi important, à mes yeux, que Robespierre, et également un rôle littéraire, un rôle journalistique, il a participé à la fondation du journalisme moderne. Il a introduit ce qui est aujourd’hui le pamphlet journalistique. L’idée du pamphlet journalistique c’est vraiment lui qui l’a créée avec cet humour, avec ce langage populaire, avec cette introduction de la fiction dans le journalisme qui me passionne beaucoup. J’adore cette façon d’introduire de la fiction dans le récit journalistique, et c’est lui qui a inventé ça avec son journal ‘Le Père Duchesne’. Il a eu deux postes. Il était directeur de son journal, ‘Le Père Duchesne’ qui avait une diffusion énorme, un journal du peuple, la voix du peuple, avec tout ce qu’il a de plus vulgaire et de plus incendiaire, et il était aussi procureur. Et c’est quelque chose qui, je crois, ne s’est jamais vue dans l’histoire de toutes les révolutions, un type qui accuse les gens dans son journal le matin et qui, l’après-midi, va les juger dans un tribunal populaire. Même les Chinois n’ont pas osé le faire.»

Vous brossez un portrait très antipathique, très repoussant de Hébert. Pourtant on a décelé dans votre livre aussi quelques brins de sympathie pour lui. Peut-on trouver quelques circonstances atténuantes pour ses activités ?

«Oui, c’est le talent. Le problème c’est que c’est une crapule qui a du génie. Et cela pose un problème à tous les créateurs. Des gens comme Céline, des écrivains fascistes, ils sont écrivains, ils ont du talent, ils ont du génie et ce sont des fascistes et des salopards. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on arrête de les lire pour autant, alors qu’ils peuvent apporter beaucoup de choses à leur art, ou est-ce qu’on essaie de comprendre comment un homme qui a ce genre d’opinions peut avoir la grâce divine, malgré out. Donc Hébert est quelqu’un qui va chopper dans le peuple une vérité littéraire et qui la ramène pour l’imprimer. Il a sa place dans la littérature.»

Votre livre est un roman qui marie, en contrepoint, deux récits. C’est l’histoire de Louis XVII, mais aussi le récit de la création d’un film, un film qui finalement n’est pas réalisé. N’avez-vous pas envie de réaliser quand même un film sur Louis XVII?

Le guillotinement de Marie-Antoinette
«Oui, oui, évidement, j’ai toujours eu envie de faire un film. J’ai envie de faire ce film aujourd’hui, c’est-à-dire avec la présence des gens d’aujourd’hui parce que les lieux sont les mêmes, la place de la Concorde, endroit qu’on appelle aujourd’hui place de la Concorde, c’est là où on a guillotiné Marie-Antoinette. J’ai envie de rejouer la scène à la guillotine, sur cette place de la Concorde. Ca me paraissait une idée intéressante, avec les flics d’aujourd’hui, avec les barrières métalliques qu’on met aujourd’hui autour des tournages de films, et de voir les réactions des gens massés devant les stars: ‘Ils vont la guillotiner?’ Faire une espèce de happening. Voilà, c’est le genre de film que j’aimerais faire. Mais je vois bien à votre sourire que c’est une utopie pour un producteur. C’est une chose infaisable. C’est un film rêvé.»