Un entretien avec le général du ciel - Frantisek Perina
Le général du ciel, ancien pilote de guerre en France et en Grande-Bretagne, pendant la seconde Guerre mondiale, citoyen d'honneur de Prague, titulaire de dizaines de hautes distinctions, dont l'Ordre national de la Légion d'honneur et l'Ordre du Chevalier, attribués par l'ancien Président de la France, François Mitterand, en 1995, Frantisek Perina, a été l'un des nombreux pilotes de guerre tchèques ayant risqué sa vie pendant la libération de l'Europe du fascisme. Pour connaître la vie bouleversante de l'un des derniers vétérans de guerre en vie, qui ne cesse de considérer la guerre comme une discipline sportive, je lui ai rendu visite dans une cité de banlieue pragoise où il habite. Entouré de hautes distinctions, trophées d'aviation, médailles, diplômes, photographies et modèles d'avions, il m'a parlé de la guerre, mais pas seulement d'elle.
La carrière militaire de Frantisek Perina commence à Cracovie, en Pologne, où se réunissaient les pilotes de guerre tchèques. Il signe un contrat de cinq ans avec la légion étrangère française.
« Lorsque la guerre a éclaté, j'ai été versé dans l'escadrille où je connaissais presque tous les pilotes. C'était l'élite de l'aviation européenne de l'époque, le général Accart, les pilotes Villeman, Morel ou Pazini, que j'avais rencontré au concours d'aviation de Zurich en 1937. Nous avons formé une unité de combat excellente. Bientôt, nous avons eu l'occasion de participer à la bataille de Paris. Je luttais tout seul contre soixante chasseurs allemands Messerschmitt qui accompagnaient les bombardiers sur Paris. J'étais sûr et certain que je mourrais, mais je devais aider mes collègues à détourner les Allemands. Sinon, ils seraient tous morts. Blessé, j'ai réussi à atterrir à Coulomiers. Mon bras droit a été percé et les médecins ont sorti 18 éclats d'obus de mon pied. L'avion ne se portait pas mieux: quinze fois touché par les obus des canons, soixante-dix-sept percements par balle. J'ai passé quatre jours à l'hôpital. »
Après la bataille de Paris, Frantisek Perina s'est déplacé à Carcassonne, puis à Alger, où il a pris congé de l'unité française pour rejoindre les unités de la RAF, en Grande-Bretagne. Sur le front français, les pilotes tchèques ont abattu 170 avions allemands.
Le chef de bataillon de la RAF, Frantisek Perina revient au pays, le 17 juillet 1945. Il travaille à l'état-major de l'aviation tchécoslovaque, mais pas pour longtemps. Après le putsch communiste, en février 1948, le régime commence à arrêter les pilotes ayant combattu en Angleterre ou en France. En décembre 1948, Frantisek Perina est licencié et il décide de quitter le pays.
« Je me suis dit, il faut partir, mais non pas à pied. Il fallait trouver un avion et on l'a eu, grâce à mon ami qui devait transporter un petit avion sportif de Brno à l'usine aéronautique de Chocen. Sans hésiter, nous avons pris le cap ouest. C'était le vol que je ne voudrais plus jamais répéter. Sans essence, j'ai réussi à atterrir dans un marais dans la zone américaine, à 12 km seulement de la zone russe et non loin de la frontière tchécoslovaque. J'ai eu une veine de cocu, car j'ai dû survoler trois bases militaires avec des chasseurs. Il faisait un temps de chien, il pleuvait et grâce aux nuages j'ai réussi à me débarrasser d'un avion qui nous poursuivait. C'était une expériences très douloureuse que je ne voudrais plus vivre. En Allemagne, j'ai signé un contrat de cinq ans avec les Forces royales. »
Agé de 42 ans, Frantisek Perina quitte l'Angleterre pour s'installer au Canada. Il veut travailler dans l'aviation civile, mais il ne trouve pas d'emploi. Il se verse donc dans l'entreprise, il fonde une petite firme de production de bateau en polyester stratifié, une nouveauté à l'époque. En 1959, les époux Perina fuient le climat rude du Canada pour s'installer en Californie ensoleillée. Dans une usine de Los Angeles, Frantisek Perina fonde un atelier de production de l'équipement des avions. Il propose même les premiers sièges pour les cosmonautes américains et pour les avions Boeing 747. En 1992, le général en retraite revient au pays.
« Lorsque je suis revenu et j'ai vu ce beau paysage tchèque, j'ai eu le sentiment irrésistible de devoir rester. Je me suis dit: tu as déjà 82 ans, tu ne vivras plus longtemps et si tu dois mourir, c'est ici. Je suis là depuis dix ans, et la mort n'arrive toujours pas », rit-il. « Ma vie a été très variée. J'ai toujours réussi à réaliser tout ce que j'ai voulu. Si je devais vivre encore une fois, je ne changerais rien, sauf la fuite du pays en 1948. J'ai aimé la guerre, j'ai voulu lutter contre l'ennemi, car mon pays a été occupé et j'y ai laissé toute ma famille. Même aujourd'hui je n'hésiterais pas à y sacrifier ma vie... »