« Un film autiste normal », meilleur documentaire tchèque 2016
C’est un succès confirmé. Déjà récompensé récemment du Lion du meilleur film documentaire tchèque de l’année 2016, « Normální autistický film » (littéralement « Un film autiste normal ») a également décroché le prix du jury dans la catégorie « Section tchèque » dans le cadre de Jeden Svět (Un Monde), le festival international du film documentaire sur les droits de l’homme qui se tient actuellement à Prague. Découverte de ce long-métrage de Miroslav Janek qui entre en profondeur dans les pensées de cinq enfants et adolescents autistes, sans les réduire à leur handicap.
« Normální autistický film », grand gagnant de la « Section tchèque » du festival Jeden Svět
Pour cette 19e édition du plus grand festival du genre en République tchèque organisé par l’ONG Člověk v tísni (L’Homme en détresse), douze films concouraient dans la catégorie « Section tchèque ». Les réfugiés, la maladie, ou encore la guerre… Les sujets traités dans ces documentaires sont variés. Le thème de la différence et de son acceptation est lui aussi bien représenté avec par exemple « Jmenuji se Hladový Bizon » (« Mon nom est le buffle affamé »). Un film étonnant dans lequel Jan, le héros du film, déjà aveugle de naissance, perd peu à peu son audition. Il se lance donc alors avec sa femme dans une expédition aux Etats-Unis pour y rencontrer un chef Navajo qui, comme il l’espère, pourra le sauver de « l’éternel silence ».« Un film autiste normal » peut, lui, se targuer d’être l’héritier d’une importante tradition cinématographique sur l’autisme. Depuis « Un enfant attend », le film de John Cassavetes sorti en 1963, le grand public se souvient de « Rain man » et des prouesses de Dustin Hoffman dans le rôle d’un autiste aux comportements répétitifs. Personne n’a non plus oublié l’immense Tom Hanks dans « Forrest Gump ».
Cette richesse cinématographique est aussi liée à une médecine plus informée sur le sujet. Les explications psychanalytiques ont tout d’abord été abandonnées, avant que l’appellation « troubles envahissants du développement » ne soit adoptée, en 1975, pour désigner l’autisme. Un changement important dans la reconnaissance du handicap.
Cinq enfants atteints du syndrome d'Asperger
Lukáš bavard et cinéphile, Denis un virtuose introverti, ou encore Majda, une poète qui souffre de sa différence… Les cinq enfants et adolescents qui apparaissent dans le documentaire de Miroslav Janek ont pour point commun d’être atteints du syndrome d’Asperger, une des formes les moins sévères de l’autisme. Tous peuvent communiquer plus ou moins normalement et sont dotés de certains talents. Le message du film réside dans la question : « Qu’est-ce qu’être normal ? ». Majda, une protagoniste du film, affirme ainsi : « Pour la société, je suis déficiente, mais pour moi, c’est elle qui l’est. Moi et la société, nous sommes handicapées l’une envers l’autre. » Briser l’antagonisme entre les « neuro-normaux » et les « neuro-différents », voilà l’ambition de Miroslav Janek ; tout comme celle de remettre en question le concept de normalité. C’est aussi un film parfois teinté d’humour, comme lorsque Lukaš tente, en vain à son grand étonnement, d’appeler le président de la République. Le montage aurait pu rendre l’ensemble mélancolique, mais, au contraire, le film est teint d’un relatif optimisme.L’œuvre se concentre sur le syndrome d’Asperger et insiste sur le fait que ce n’est pas une maladie. En effet, c’est un trouble neuro-développemental qui fait partie des « troubles envahissants du développement ». Surtout, l’autisme regroupe des réalités bien différentes. Il y a le syndrome d’Asperger, mais aussi l’autisme infantile, plus classique et souvent accompagné d’un retard mental et d’une incapacité à communiquer. Dans le film, il est uniquement question du syndrome d’Asperger.
Certaines critiques lui ont d’ailleurs reproché ce choix, qui ne reflète pas la réalité de l’autisme. La majorité des autistes possèdent un retard mental, alors que le syndrome d’Asperger est une exception.Face à ces critiques, Miroslav Janek a répondu que son but n’était pas de faire un portrait général de l’autisme. Il voulait davantage souligner les différences de comportement entre des personnes atteintes du même syndrome.
Une ode à la différence
Et il est vrai que les cinq enfants sont très différents. Lukáš, qui ouvre le film, est un enthousiaste extraverti. On le voit suivre une conférence sur l’autisme sur son smartphone. Quelque peu distrait, il grimace lorsqu’il semble en désaccord, fait des blagues et regarde fixement la caméra. Il réalise également des vidéos amateurs sur Youtube avec un ami. Parallèlement, Lukáš souffre d’une anxiété chronique qu’il tente d’atténuer en mâchant un objet, comme lorsqu’on le voit manger du polystyrène.A l’opposé, Majda est une adolescente dont l’autisme a été diagnostiqué tardivement, à l’âge de treize ans. Filmée sur le bord d’une voie ferrée, comme si elle voulait se suicider, elle raconte avec froideur son mal-être et sa rage à la caméra. Sa rédemption, Magda l’a trouvée dans la poésie, plus précisément dans le rap, dont les mélodies accompagnent le documentaire.
Le cas le plus extrême est sans doute celui de Denis, un virtuose qui ne parle jamais face à la caméra. En revanche, sa voix et son piano guident le film du début à la fin.
Le festival Jeden Svět s’achève à Prague ce mercredi. Il se déplacera ensuite dans plus de trente villes tchèques, avant ses désormais traditionnels Echos à Bruxelles du 24 avril au 4 mai prochains (cf. : https://www.oneworld.cz/2017/brussels).
Pour revenir sur les différences, Marjamka a une toute autre personnalité que son frère Ahmed lui aussi autiste. Plutôt introvertie, elle n’est pas très à l’aise devant la caméra. Ahmed, quant à lui, est beaucoup plus bavard et même infatigable, comme lorsqu’il échange avec le réalisateur à propos d’une théorie selon laquelle l’intelligence des extra-terrestres aurait été transférée aux autistes…