Un nouveau regard sur l’histoire de l’Institut français de Prague (I)

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Panorama aujourd’hui sur une époque phare des relations franco-tchèques, ou plutôt franco-tchécoslovaques, l’entre-deux-guerres, grâce à Jiří Hnilica. Jiří Hnilica est historien, enseignant à la faculté de pédagogie de l’Université Charles, et doctorant à La Sorbonne et au Cefres de Prague. Il vient de publier un livre sur l’histoire de l’Institut français de Prague, qu’il retrace aujourd’hui pour Radio Prague.

C’est lui qui donne la direction à l’Institut, c’est lui qui fait de cet Institut un centre actif, très ouvert, tout à fait particulier pour la ‘propagande’ et l’enseignement. Sa politique est vraiment de s’enraciner, de s’intégrer dans le système universitaire. Donc en plus de la littérature, on propose des cours assez techniques, c’est-à-dire du vocabulaire scientifique pour des étudiants des grandes écoles techniques de la Tchécoslovaquie et pour les médecins. L’Institut devient un partenaire du système universitaire tchécoslovaque et on voit son importance dans le fait qu’il arrive à attirer, à la veille de Munich, en 1938, à peu près 1 000 étudiants inscrits régulièrement dans ses cours. Donc c’est vraiment un centre très actif pour tout ce qui est la coopération culturelle entre les deux pays. »

C’est la pointe de la pyramide des activités culturelles françaises en Tchécoslovaquie. D’abord, cet Institut français est un lieu où l’on propose des conférences en français adressées à un public large tchécoslovaque. On y enseigne la littérature, la civilisation française, l’histoire. On propose des cours au grand public. Mais au fur et à mesure, et c’est ce qui est important pour l’histoire de cet Institut et ça en fait sa particularité parmi d’autres Instituts français d’Europe centrale, on y propose des études de droit, des études techniques, des études de médecine. Si on met des dates précises qui marquent l’évolution de cet Institut, on a 1920, qui est la création de l’Institut. On a ensuite la première période d’André Tibal, le premier directeur, jusqu’en 1925. Après, Louis Eisenmann arrive en 1925 et reste directeur jusqu’en 1937. Et c’est lui le personnage clé de la coopération franco-tchécoslovaque à un moment donné.

On s’enorgueillit souvent que l’Institut français de Prague a accueilli des personnalités comme Hubert Beuve-Méry, futur fondateur du journal Le Monde. Pourquoi Prague ? Et mis à part le travail d’Eisenmann, y-a-t-il une volonté politique derrière ?

« Il y a deux choses. Il y a une volonté politique française de s’intégrer dans ce pays, nouvellement créé après la Première Guerre mondiale. Mais il y a aussi une demande tchécoslovaque, de l’Université Charles, et de l’école technique. Et la raison de cette coopération avec l’Institut, du point de vue tchécoslovaque, est parce que le français devrait remplacer l’allemand comme langue de communication internationale. On choisit donc le terrain de l’Institut comme base de communication avec l’étranger. »

Y avait-il une concurrence ? L’anglais n’était-il pas déjà la langue internationale ?

« Evidemment, il y avait une concurrence, mais dans l’entre-deux-guerres, la France a une conception politique culturelle à l’étranger qui est de loin la plus précise et la mieux conçue. Il y a bien sûr l’Institut italien, l’Institut américain, anglais aussi mais ils n’ont pas du tout la même place, parce que ce sont plutôt des activités personnelles, individuelles, de quelques personnalités qui sont amateurs d’une langue ou de l’autre. Mais il n’y a pas derrière une vraie politique culturelle, une vraie subvention officielle. »

Les gens qui travaillaient pour les Instituts français, que ce soit à Prague, Varsovie ou Saint-Pétersbourg, étaient des universitaires. Ils faisaient partie de cette nouvelle diplomatie culturelle qui était planifiée, pensée de façon stratégique. Est-ce que ces universitaires avaient l’impression ou se rendaient-ils compte qu’ils étaient les instruments de cette politique ? Etaient-ils d’accord, ou énonçaient-ils des critiques sur leur propre rôle ?

« Je pense que du point de vue français, il y a deux positions. Il y a ceux qui enseignent et qui vivent à Prague. Ils font partie du corps des professeurs réguliers. Et il y a ceux qui viennent pour des missions scientifiques. Ceux qui restent à Prague sont en général de jeunes docteurs, de jeunes agrégés, de jeunes gens qui commencent leur carrière. Pour eux, enseigner à l’Institut n’est qu’un passage pour une autre carrière, soit à l’étranger, soit en France. D’ailleurs, Beuve-Méry a construit sa réputation après en France en créant le journal Le Monde. Son rôle à Prague était assez important pour la formation des jeunes juristes, souvent sortis des sections tchécoslovaques de Dijon ou de Nîmes, mais en même temps, toute sa réputation vient après de tout ce qu’il devient après la guerre.

Photo: Institut français de Prague
De l’autre côté, et c’est ce qui est intéressant, il y a ceux qu’on appelle les missionnaires. Comme si la France devait avoir une mission culturelle dans les pays slaves. C’est vraiment le terme de l’époque. Comme si cette mission devait être culturelle, devait être une propagation d’une culture contre une autre culture, celle qui est la culture germanique. Et il est vrai que l’Institut dans ce cas sert de centre d’organisation de séjours de scientifiques français en Tchécoslovaquie. Grâce aux soins de l’Institut, on voit à Prague dans l’entre-deux-guerres, tous les grands noms de la science française. Et on peut dire que l’Institut a vraiment une position centrale dans l’organisation de la coopération scientifique, et pas seulement culturelle, dans l’entre-deux-guerres, entre la France et la Tchécoslovaquie. »

Retrouvez la deuxième partie de cet entretien dimanche, dans Culture sans frontières.