Un nouveau regard sur l’histoire de l’Institut français de Prague (II)
Suite, comme prévu, de l’interview de Jiří Hnilica, historien, enseignant à la faculté de pédagogie de l’Université Charles, et doctorant à La Sorbonne et au Cefres de Prague. Il vient de publier un livre sur l’histoire de l’Institut français de Prague dont nous avons déjà parlé dans Panorama.
Le livre s’achève sur la date de 1951. Pourquoi cette date-là ?
« Les bornes chronologiques sont 1920 et 1951. On peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas eu de rupture pendant la Deuxième guerre mondiale, avec Munich, ou en 1948. On peut dire qu’il y a en fait une certaine continuité. 1938, c’est une rupture politique mais l’Institut poursuit ses activités, et la rentrée 1938-1939 est aussi bonne que les rentrées précédentes. En 1939, malgré l’occupation nazie au mois de mars, puis en août l’interdiction officielle de toutes les activités françaises menées en Tchécoslovaquie, la bibliothèque et les cours continuent à l’Institut, grâce à l’activité de gens comme Mme Zajic ou d’autres personnalités, très courageuses, qui se disent que l’œuvre française n’est plus une œuvre de propagande et de promulgation d’une grande culture française, mais que cela reste une œuvre qu’il faut défendre contre une autre culture, la culture germanique, qui est une culture d’occupation. »
C’est un acte de résistance…
« Exactement, et cette résistance continue jusqu’en 1945. Et ce n’est pas anodin que Mme Zajic ait reçu la légion d’honneur pour ces activités, et ce n’est pas anodin qu’elle ait été expulsée de Tchécoslovaquie en 1948. 1948 n’est cependant pas une rupture pour autant, parce que l’Institut propose et va proposer des cours, la bibliothèque sera ouverte, notamment pour les Tchécoslovaques qui n’auront plus d’autres moyens d’accès à de la littérature étrangère. 1951 représente vraiment une rupture parce que c’est la date de sa fermeture officielle par les autorités tchécoslovaques. »Qu’est-il advenu de l’Institut français pendant toute la période communiste ?
« L’Institut devient un grand lieu de mémoire de ces relations franco-tchécoslovaques, basées non seulement sur l’entre-deux-guerres, puisqu’il s’agit de l’âge d’or de ces relations, mais qui s’enracinent logiquement déjà au cours du XIXe siècle, dans la francophilie d’une nation tchèque qui est en train de se créer. Donc l’Institut devient un terrain français dans la Prague communiste. C’est un terrain à la fois diplomatique et culturel. Ce qui est important, c’est que la bibliothèque commence à fonctionner un peu avant le printemps de Prague et reste en fonction pendant les années 1970 et 1980. Comme si l’accès à la culture des livres devait servir aux Tchécoslovaques comme lien avec l’Occident, comme si l’Institut à nouveau devait jouer un rôle de résistance, de résistance culturelle.
C’est la raison pour laquelle je reviens sur le sous-titre du livre, entre la propagande et l’enseignement ou l’éducation. Est-ce qu’un Institut français à l’étranger est d’abord une place d’une diffusion culturelle, ou c’est un lieu d’enseignement ? Quelle culture peut-on y acquérir ? Dans les années 1950, on parle d’une culture d’espionnage, donc il y a une autre propagande, celle d’un pays occidental vers un pays communiste. L’Institut français de Prague se trouve dans la rue Štepánská, au numéro 37 dans l’entre-deux-guerres, mais au numéro 35 après la guerre, comme si déjà la position de l’institution changeait en même temps que les numéros des bâtiments, comme si ce lieu devait être vraiment une des ancres que Prague disposait pour avoir toujours ces liens avec l’Occident. D’où la légende de l’Institut et de l’âge d’or de l’entre-deux-guerres. »Quels types de sources avez-vous utilisé pour ce travail et avez-vous trouvé des éléments auxquels vous ne vous attendiez pas ?
« Il s’agit tout d’abord d’un travail d’historien et méthodologiquement, on peut se demander si aujourd’hui on peut étudier l’histoire d’une institution en soi. Est-ce qu’étudier l’institution est assez représentative des relations culturelles qui ont été tissées entre ces deux pays ? Est-ce que c’est une institution qui les représente ? Je pense que oui. Si on y introduit les parties chronologiques, dans lesquelles on étudie la vision française et la vision tchécoslovaque, donc une sorte de croisement des intérêts politiques et diplomatiques, et en même temps, on y ajoute quelques chapitres culturels. Dans ce livre-là, je parle aussi des Allemands de Tchécoslovaquie. Dans les sources françaises, ils sont considérés comme des Tchécoslovaques de langue allemande. Est-ce que ces Allemands de Prague sont considérés comme de vrais élèves de l’Institut, coopère-t-on avec eux et quelle est leur place dans ce cadre d’échanges entre les deux Etats. Il y a un autre chapitre qui essaie de replacer la position de l’Institut dans la géographie culturelle de Prague. Qui vient à l’Institut ? Combien sont ces étudiants, quelles sont leurs motivations ? Dans cette optique, je pense qu’étudier une institution apporte aussi des explications pour tout ce qui est relations entre les nations et culturelles. Ce travail est essentiellement basé sur les sources françaises, qui ne sont pas à Paris mais à Nantes où se trouvent les archives diplomatiques. C’est un lieu rattaché au Quai d’Orsay, mais en même temps, pour des chercheurs tchèques et slovaques, c’est éloigné de Paris et s’y trouvent donc les archives rapatriées de Prague qui sont accessibles depuis la fin des années 1990, et depuis début 2002. On peut dire que j’ai été un des premiers chercheurs tchèques à s’y rendre, même s’il y a des chercheurs français comme Antoine Marès ou Stéphane Reznikow qui ont déjà travaillé avec ces sources. C’est donc essentiellement basé sur ces sources parce qu’à Nantes on a vraiment tout ce que l’Institut a produit en tant qu’institution, tout ce que l’ambassade a produit en tant qu’institution culturelle, tout ce que la mission militaire française à Prague a produit également et enfin tout ce qui concerne le service des œuvres françaises à l’étranger. A Prague, on dispose de sources au Palais Černín, qui est le ministère des Affaires étrangères, au ministère de l’Instruction publique, et dans les archives de l’Université Charles. Mais ces sources sont très limitées, ce qui montre à nouveau que l’Institut est d’abord un lieu de la politique étrangère française menée en Tchécoslovaquie. »L’Institut français a rouvert en 1990. C’est François Mitterand et Václav Havel qui ont inauguré ce bâtiment. Peut-on faire un parallèle entre le fonctionnement de l’Institut français depuis le début des années 1990 et la façon dont il fonctionnait dans l’entre-deux-guerres ?
« Tout a changé. La France n’a plus la même image que celle qu’elle avait dans l’entre-deux-guerres. Le terrain a subi beaucoup plus de concurrence. L’Institut doit presque quotidiennement se battre, se positionner pour conquérir du terrain en République tchèque. Le cadre géopolitique a complètement été modifié mais aussi la politique étrangère menée par la France en Europe centrale a changé. L’Institut n’est plus considéré comme un centre de diffusion d’une culture qui devrait conquérir et vaincre quelqu’un, notamment son ennemi allemand. Mais l’Institut est d’abord et naturellement un lieu de l’enseignement de la langue et un lieu culturel, avec le cinéma, des expositions, des concerts. Tous ces points sont vraiment différents par rapport à la période de l’entre-deux-guerres que retrace ce livre. Parce que pendant l’entre-deux-guerres, l’Institut était vraiment conçu un lieu d’enseignement, un lieu semi-universitaire, une université en miniature, une petite université française en Tchécoslovaquie. Je pense que l’Institut suit tous ces changements d’une diplomatie culturelle menée à l’étranger et aussi la position de la France en Europe centrale. »Le livre a été écrit en tchèque, mais une traduction en français est-elle prévue ?
« Elle n’est pas prévue pour l’instant, mais je pense qu’une traduction d’un livre de ce genre en la complétant avec des monographies sur l’Institut de Varsovie et de Belgrade remplirait une lacune de tout ce qu’était la France dans l’entre-deux-guerres en Europe centrale. On dispose de monographies sur l’Institut de Budapest, de Bucarest. Il y a aussi un livre du début des années 1990 sur l’Institut français. Mais si je peux me permettre, il s’agissait de retrouvailles. C’étaient les retrouvailles entre deux cultures, c’était la chute du mur, c’était une réouverture de quelque chose de très fécond qui avait existé.
Mais il nous manquait une vision critique, une vision d’historien, avec du recul, sur ce sujet. Donc je pense qu’une traduction pour le public français pourrait éclaircir plein de sujets sur cette légende de la francophilie des élites tchécoslovaques ou centre-européennes de l’entre-deux-guerres. »