Un petit-déjeuner à l’ambassade de France 26 ans après
Nous reviendrons d’abord sur certains aspects abordés dans la presse locale de la récente visite du Premier ministre français Manuel Valls à Prague. La décision du gouvernement tchèque de refuser la mise en place de quotas pour les femmes contrairement à ce que réclame la directive européenne n’a pas fait l’unanimité des éditorialistes. Nous vous en donnerons deux exemples. Quelques mots seront également consacrés à l’importante communauté vietnamienne établie en République tchèque. Enfin, la situation des SDF, auxquels une attention accrue est vouée dans les médias avec l’arrivée de l’hiver, sera le dernier sujet de cette revue de presse.
« M. Valls nous a ainsi fait savoir que le petit-déjeuner entre le président Mitterrand et les dissidents locaux, un an avant la chute du régime communiste, avait toujours une certaine importance pour la France. On serait même tenté de dire que cet événement compte plus pour la France officielle que pour la Tchéquie officielle. Non pas parce que nos représentants politiques auraient voulu boycotter cette commémoration –le chef du gouvernement Bohuslav Sobotka et le chef de la diplomatie Lubomír Zaoralek étaient d’ailleurs bien présents – mais en raison du changement de cours de la politique étrangère tchèque qui est désormais mis en valeur. »
L’auteur de l’article rappelle que la rencontre entre François Miterrand et les dissidents tchécoslovaques a constitué un grand encouragement pour tous ceux qui étaient opposés au régime communiste. Ce dernier a d’ailleurs été contraint à autoriser le lendemain une première manifestation à Prague, devenue dès lors légendaire. En conclusion, Zbyněk Petráček écrit :
« Il semble que Prague réévalue sa place et son ancrage au sein du monde occidental, qu’elle cherche de nouvelles voies et de nouvelles positions de ponts entre l’Ouest et l’Est. Le Premier ministre Valls n’a rien dit dans ce sens. Mais son geste nous le rappelle de façon éloquente. »
Les quotas pour les femmes – une concurrence dangereuse
« La volonté de renforcer l’égalité entre hommes et femmes est un des points figurant dans le programme de l’actuelle coalition gouvernementale. Pour autant, celle-ci refuse les démarches pratiques pour y parvenir. » C’est ce que constate Petr Fischer, du quotidien économique Hospodářské noviny, qui réagissait ainsi au fait que le gouvernement tchèque ait dit non à la directive européenne stipulant que 40% de femmes devraient diriger les entreprises publiques et les grandes sociétés. Petr Fischer explique pourquoi :« Le Parti social-démocrate (ČSSD), qui s’est manifesté comme un parti libéral et pro-féminin, n’est pas parvenu à imposer cette revendication au sein de la coalition gouvernementale, car les deux autres formations qui la composent, les chrétiens-démocrates et le mouvement ANO d’Andrej Babiš, y sont opposés. On peut estimer qu’ANO a refusé les quotas pour des raisons stratégiques et populistes, sachant que la majorité de la société tchèque est contre également. L’attitude des chrétiens-démocrate paraît plus compréhensible, compte tenu de l’accent qu’ils mettent sur le modèle d’une famille traditionnelle dans laquelle la femme s’occupe plus de ce qui se passe à l’intérieur du foyer qu’à l’extérieur de celui-ci. »
En conclusion, Petr Fischer constate :
« Mais il n’en va pas seulement de ces quotas. Plus important peut-être encore est ce que ce refus dévoile sur nos mentalités. Beaucoup sont convaincus que les femmes dans la société moderne peuvent tout faire et qu’il faut seulement qu’elles reçoivent une approbation masculine. Dans cette logique, les quotas pour les femmes, c’est avant tout une concurrence dangereuse. »
Pour Petr Pešek du quotidien Lidové noviny, cette décision gouvernementale est en revanche un signe que l’on a su raison garder. Il note :
« Les quotas qui, paraît-il, devraient améliorer la situation des femmes, ne sont rien d’autre qu’une attaque à leur égalité. Faire accéder les femmes à la direction des entreprises sur la base de quotas, c’est reconnaître leur infériorité et non pas leur capacité... Imposer cet objectif en vertu de dispositions, qu’elles soient européennes ou nationales, signifierait céder à la dictature du Bien. »
La communauté vietnamienne en Tchéquie
Le dernier supplément Orientace du quotidien Lidové noviny prête attention à la communauté vietnamienne établie en République tchèque et composée de près de 60 000 membres. Il s’agit de la trosième plus importante minorité dans le pays après celles des Slovaques et des Ukrainiens et, en même temps, de la troisième communauté vietnamienne à l’échelle mondiale par rapport à la taille de la population locale (après celles vivant en Australie et au Canada). En se référant à une récente étude consacrée au sujet, Petr Zídek, écrit :« La communauté vietnamienne en Tchéquie est répartie en trois groupes. Dans le premier, on trouve les Vietnamiens qui sont arrivés dans le pays dans les années 1980 dans le cadre des séjours de travail organisés officiellement par l’Etat tchécoslovaque, ainsi que ceux qui sont venus, sous telle ou telle forme, au début des années 1990. Comme de nouveaux arrivants sont ensuite perçus tous ceux qui se sont installés en Tchéquie ces dix à vingt dernières années. La plupart d’entre eux ont été engagés pas des agences de travail. Le taux d’intégration dans la société majoritaire au sein de ce deuxième groupe est très faible. »
C’est le troisième groupe constitué des enfants des premiers Vietnamiens établis dans le pays qui, pour l’auteur du texte, est le plus intéressant. Il s’agit de personnes qui sont arrivées en bas âge ou qui sont nées en Tchécoslovaquie ou en République tchèque et qui sont donc parfaitement intégrées à la société tchèque. Elles parlent même souvent mieux le tchèque que le vietnamien. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne sont pas confrontées à des problèmes en raison de leur double identité. Nous citons Petr Zídek :
« Un assez grand nombre de Vietnamiens souhaitent retourner vivre dans leur pays d’origine. Ce sont souvent les Vietnamins de la deuxième génération qui se sentent frustrés sur le marché de travail et par la prétendue xénophobie locale. D’un autre côté, on voit pas mal de jeunes qui déclarent se sentir beaucoup plus tchèques que vietnamiens et avoir du mal à s’adapter aux conditions de vie dans le pays de leurs ancêtres. »
Le nombre de jeunes sans domicile fixe augmente
C’est également dans les pages du supplément Orientace que l’on a pu lire un texte qui porte un regard détaillé sur la situation des SDF dans les grandes villes tchèques. Le constat établi est que leur nombre ne cesse d’augmenter. Cette tendance concerne notamment les jeunes, dont le nombre représente actuellement près du cinquième de la population totale des SDF. Selon les dernières évaluations, leur nombre à l’échelle nationale se situe entre 30 et 40 000. Rien qu’à Prague le nombre de sans-abris augmente chaque année de quelques centaines. Le journal donne la parole à des travailleurs sociaux sur le terrain qui s’occupent notamment des jeunes et qui démentent l’idée reçue selon laquelle une majorité de sans-abris auraient choisi cette situation de leur propre gré, en plaçant la liberté au-dessus des autres valeurs. Pour ces travailleurs sociaux, les choses sont claires :« Cette façon de vivre n’est bien sûr pas un choix volontaire. La question de savoir si l’on est coupable de cet état ou bien si l’on est la victime des circonstances n’a aucun sens. La seule chose qui compte, c’est qu’une personne dans cette situation a besoin d’aide. »
Les anciens prisonniers, les handicapés, les retraités dans l’incapacité de payer le loyer, les malades mentaux, les divorcés et les sans-emploi sont les catégories de gens les plus vulnérables et se retrouvent le plus souvent dans la rue. S’y ajoutent des jeunes, en particulier ceux qui quittent les centres d’accueil et qui n’arrivent pas à s’adapter à une vie « normale », ou tout simplement ceux qui ne veulent plus vivre dans le cocon familial, préférant essayer un autre mode de vie. Le texte rappelle également les principales formes d’aide aux sans-abris qui existent à Prague :
« C’est suite à l’arrivée dans le pays, en 1990, de réfugiés de Roumanie qu’une première aide spontanée s’est organisée à Prague. Elle a donné une impulsion à la naissance de Naděje (Espoir), la première organisation caritative dans la nouvelle Tchécoslovaquie. Un an plus tard, le président Václav Havel a invité l’Armée du salut. Le bateau Hermes, qui dispose de 250 lits, complète le trio de principaux fournisseurs de soins aux SDF à Prague. »