Un projet d’union européenne au XVème siècle

L'Europe au 15e siècle

Le 3 novembre dernier, le traité de Lisbonne pour réformer les institutions européennes était enfin ratifié par le président tchèque Václav Klaus. La presse étrangère aura surtout retenu les fortes réticences de la présidence, favorisant une image eurosceptique du pays. C’est oublier que c’est en Bohême que naquit dans les années 1460 ce qui fut peut-être le premier projet politique d’union en Europe.

En 1464, le roi tchèque Georges de Poděbrady et son conseiller Antoine Marini rédigent un projet d’union des puissances chrétiennes d’Occident. Anticipant à bien des égards l’actuelle ONU, le traité instaure un principe absolument nouveau à l’époque : celui d’égalité entre les Etats et de droit international.

Georges de Poděbrady souhaite stabiliser le royaume de Bohême après des décennies de guerre civile mais aussi ramarrer le pays à l’Occident chrétien. Prétexte plus que projet, la croisade anti-turque doit rassembler sous une bannière commune les puissances chrétiennes. Pour cela, il prévoit, entre autres, de créer en Europe tout un réseau de gîtes destinés aux soldats.

Martin Nejedlý
Martin Nejedlý enseigne l’histoire médiévale à l’Université Charles à Prague et a effectué de précieuses recherches sur le projet d’union du roi tchèque :

« Le but premier de ces réseaux d’hébergement était d’aider les armées en déplacement mais il est clair qu’il devait aussi faciliter d’autres types d’échanges, commerciaux par exemple. Des auberges étaient ainsi prévues dans différents pays pour les ressortissants des Etats de l’union. Si le but militaire était le premier avancé, le projet avait nécessairement une portée à long terme. Car à partir du moment où l’on arrivait à harmoniser le prix des aliments ou à introduire la monnaie unique, l’amitié entre les Etats membres pouvait être scellée en temps de paix. »

Georges de Poděbrady
Le traité prévoit, on l’a entendu, une intégration européenne plus forte par certains aspects que dans l’actuelle Union européenne, avec l’harmonisation des prix alimentaires par exemple. L‘article 22 du traité quant à lui instaure un véritable droit d’intervention : ainsi les États membres s’engagent à empêcher l’instauration d’un gouvernement qui irait contre les règles de la Charte.

D’ailleurs, le traité accorde un rôle important au procureur fiscal, véritable gardien de la légalité et garde-fou, qui rappellerait presque l’esprit du Conseil Constitutionnel de la Vème République en France. Si le traité est d’abord une ébauche, il trace quand même les contours institutionnels de l’union : un Conseil des souverains, une Assemblée générale, une Cour de Justice... L’un des aspects les plus notables réside dans le rôle dévolu à l’Assemblée.

« Le Conseil des souverains était plutôt prévu pour représenter de temps en temps l’union mais on ne prévoyait pas que les rois et princes y siègent régulièrement. L’Assemblée devait réunir les représentants les plus éminents des différents pays, eux-mêmes élus par des personnalités de haut rang. Il n’est pas précisé qui mais ce devait être sûrement un corps de nobles et d’universitaires, qui auraient été chargés d’élire les représentants. »

Système d’assemblée (une assemblée rassemblant l’oligarchie européenne), séparation des pouvoirs, contrôle constitutionnel, le traité élaboré au XVe siècle par Georges de Poděbrady et son conseiller Marini est très en avance sur son temps. Est-il le premier projet de ce type en Europe ?

« Même si ça et là on retrouve des éléments d’unité européenne au XIIIe ou au XIVe siècle, cela émanait toujours d’idées un peu utopiques d’universitaires mais il n’y avait jamais eu cette initiative d’un chef de l’Etat. »

Sully
Et cette initiative, on la retrouve en France environ un siècle et demi plus tard, vers 1620. Même configuration que pour Georges de Poděbrady et Marini : un roi et son conseiller, Henri IV et Sully, et un projet d’union des puissances d’Europe. Sully a-t-il été inspiré par le projet tchèque ?

« Oui je pense qu’il était au courant mais la situation politique et le contexte sont différents. Il a sûrement pris connaissance du projet mais il n’y a pas d’influence directe. »

Mentionnons enfin l’avant-gardisme du projet sur le plan économique. On le doit au conseiller du roi et co-auteur du projet, le Français Antoine Marini, qui arrive en Bohême vers 1459. Il rédige, à l’intention du roi tchèque, les « Livres sur le monnayage », aujourd’hui perdus. Il réfléchira aussi au moyen de développer l’économie du pays, insistant sur l’importance de l’investissement financier :

Un document de paix de Georges de Poděbrady
« Les pays tchèques sortent alors des guerres hussites, l’économie est ravagée. Marini, qui est à la fois ingénieur, inventeur et économiste, insistait beaucoup, dans ses conseils au roi, pour prêter de l’argent aux bourgeois afin de développer le commerce, pour attirer des artisans étrangers... »

De Georges de Poděbrady à Václav Klaus, l’héritage n’est pas évident mais il existe bel et bien et reste mal connu. En tout cas, l’avancée de l’Union Européenne saura gré au président tchèque de ne pas avoir appliqué ce proverbe tchèque du XVe siècle : mieux vaut négocier deux ans que guerroyer deux semaines.