Une équipe de cyclistes français traverse la « nouvelle Europe » à vélo pour les enfants de Tchernobyl
Ljubljana, Budapest, Bratislava, Prague, Auschwitz, Cracovie, Vilnius, Riga et enfin Minsk. Traverser huit pays, quelques-unes des plus belles villes et hauts lieux de l'histoire d'Europe et parcourir 3500 kilomètres à vélo pour venir en aide aux enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl. Depuis leur départ de Slovénie le 10 septembre et avant leur arrivée prévue en Biélorussie début octobre, c'est le défi que relèvent actuellement dix cyclistes français, originaires de Normandie. La semaine dernière, cette équipe d'aventuriers a fait étape en République tchèque pour témoigner et présenter son projet sportif et d'entraide baptisé « Tous ensemble ». A l'origine de cette initiative, Lionel Groult, un personnage haut en couleurs et au coeur gros comme ça...
Bien qu'à 44 ans, il ait déjà parcouru sur son vélo des dizaines de milliers de kilomètres dans plus de cent pays du monde, Lionel Groult n'a pas toujours été le fou de sport qu'il est devenu aujourd'hui. Bien au contraire. Pendant sa jeunesse, un dérèglement hormonal fait en effet de lui un obèse, la balance indiquant même jusqu'à 150 kilos alors qu'il est en pleine force de l'âge ! Malgré son handicap, à vingt ans, Lionel se met à la course à pied, une activité qui contribue à lui faire perdre progressivement du poids. Plus fort encore, deux ans plus tard, il achève le marathon de Caen, dans sa Normandie natale, en un peu plus de six heures. Pourtant, l'exploit, car c'en est un, accompli, Lionel abandonne les baskets et c'est en cuissard et sur la selle d'un vélo qu'il décide d'entamer une nouvelle vie, extrême elle aussi à sa manière, comme peut l'être le bonhomme dans sa générosité. Depuis, Lionel Groult a multiplié les raids et kilomètres en Afrique, aux Etats-Unis, avec la Route 66, en Amérique du Sud, dans la Cordillère des Andes, ou encore en Australie. Chacune de ses expéditions a été soutenue par « Les Amis du Monde », une association dont les objectifs sont de soutenir la solidarité, de créer et d'entretenir la cohésion et les liens sociaux. « Tous ensemble », projet auquel ont également pris part neuf jeunes Normands en formation professionnelle, s'inscrit donc dans ce cadre d'entraide à travers le sport et le cyclisme. Et avant de se lancer, jeudi dernier, dans une boucle de la place Venceslas, là où s'est écrite l'histoire tchèque contemporaine, Lionel Groult a expliqué tout cela pour Radio Prague :
« C'est un projet qui comporte quatre défis. Le premier est bien évidemment sportif. Personnellement, je fais 200 à 250 kilomètres par jour pendant les 19 étapes dans les sept « nouveaux » pays européens jusqu'en Biélorussie. Les jeunes qui m'accompagnent ne font du vélo que depuis quelques mois et eux roulent donc avec moi pendant les soixante à soixante-dix premiers kilomètres. Mais au-delà de cela, il y a toute une mécanique, puisqu'il y a également un défi communication. Tous les jours, en effet, ils racontent notre vie de groupe et vont réaliser une interview dans une école, un collège ou avec des gens de différents horizons. Ensuite, tous ces articles et reportages sont disponibles sur notre site Internet ( www.raid-normandie-monde.com ) pour qu'on puisse faire vivre notre projet et faire suivre notre raid à vingt-deux établissements scolaires en Normandie. Le troisième défi, c'est la formation professionnelle. Tous ces jeunes-là suivent une formation en communication, en tourisme, en mécanique, en cuisine, etc. Pendant cette formation, ils vont passer différents examens afin d'obtenir des diplômes et il n'y a donc rien de mieux pour eux que de profiter pendant un mois d'un stage directement au coeur de l'événement. Et le quatrième défi, comme en a parlé François, qui est quand même le plus important, est celui de pouvoir aider les enfants qui ont été contaminés par Tchernobyl. »
François, c'est François Verly, membre de l'équipe et secrétaire de « Paletot », l'autre association à l'origine de « Tous ensemble » :
« Notre association est née il y a un peu plus d'un an suite à un voyage professionnel au Belarus que j'ai effectué en tant que journaliste pour France 3 Normandie pour y suivre une compétition de hockey sur glace, à Gomel, la deuxième ville du pays. Durant notre séjour, nous avons été amenés à visiter un orphelinat à Rechytsa (dans le sud-est du pays), à une grosse centaine de kilomètres de Tchernobyl. Nous avons alors été sensibilisés aux conséquences sanitaires de la catastrophe et à l'ampleur de la catastrophe. Ensuite, j'ai fait un travail de journaliste, j'ai investigué, je me suis rapproché d'associations qui connaissaient bien le problème et nous avons été amenés à rencontrer un grand monsieur, le professeur Vassili Nesterenko, directeur de l'Institut Belrat (Institut de radioprotection indépendant qui s'efforce de venir en aide aux enfants des territoires touchés par les retombées radioactives) et qui, il y a vingt ans, était le n° 2 du nucléaire en Union soviétique. Très tôt, il a été amené à se pencher « au chevet » des enfants victimes de Tchernobyl. Il faut savoir qu'il y a 500 000 enfants au Belarus qui sont touchés directement ou indirectement et qui ont leur défense immunitaire totalement affaiblie du fait de la nourriture contaminée qu'ils ingèrent. »
« Le but de ce raid est donc de témoigner à travers les conférences de presse et les gens que l'on rencontre. Pour nous, sur un plan humain, il s'agit aussi de vivre quelque chose de très fort. Notre équipe est intergénérationnelle, nous venons de tous les milieux et nous vivons dans des conditions parfois un peu délicates. C'est l'esprit du raid : nous sommes en totale autonomie sur le plan de la nourriture et du bivouac. En plus, nous fournissons un effort physique important. Pour nous qui ne sommes pas des sportifs de haut niveau, faire 60 à 70 kilomètres par jour n'est pas évident, surtout en République tchèque où nous avons eu le loisir de goûter aux collines. Je peux vous garantir que c'est assez compliqué. Mais nous vivons quelque chose de formidable. Et puis je n'ai qu'une envie : arriver à Minsk début octobre et nous rendre à l'Institut pour voir à quoi vont servir nos dons. Nous avons récolté 22 000 euros grâce à la solidarité et à la générosité des Normands qui permettront de soigner 300 à 500 enfants. Nous allons ainsi pouvoir financer des cures à base de pectine de pomme qui a la caractéristique de fixer les métaux lourds dans l'organisme, de les absorber et de diminuer la contamination de 50 à 80 %. L'argent permet aussi de diagnostiquer, c'est-à-dire que le professeur Nesterenko se rend dans les villages du pays avec des fauteuils spectrométriques qui mesurent le taux de becquerel par kilo. Enfin, l'argent permet de faire de l'information. »
-Quel accueil votre message a-t-il reçu dans les pays que vous avez traversés avant d'arriver en République tchèque ? Comment votre projet a-t-il été perçu en Slovénie, Hongrie et Slovaquie ?
« Nous avons été vraiment surpris par la mobilisation que ce raid suscite. Effectivement, les journalistes sont un peu décontenancés au départ, car c'est un projet assez dense avec deux associations « Les Amis du Monde » et « Paletot » qui travaillent en corrélation. C'est donc un projet touffu, un raid un peu difficile à comprendre. Mais c'est vrai que lorsque nous arrivons quelque part avec par exemple Babacar, ce jeune homme handisports, black de surcroît, et j'insiste là-dessus, qui débarque dans ces pays d'Europe centrale où on ne voit pratiquement pas d'Africains, nous provoquons un vrai choc. Ensuite, quand nous prenons le temps d'expliquer notre démarche, l'aspect sportif et le raid d'entraide, il me semble que les journalistes ont une oreille très attentive à tout ce que nous pouvons leur dire. Et puis je crois aussi que le vélo est un très bon sésame. Si nous avions fait un raid en 4x4, nous aurions sans doute été accueillis différemment. Avec le vélo, c'est la voie royale dans toutes les villes et campagnes que nous traversons. »