Une exposition à Bruxelles honore la mémoire des soldats tchèques tombés pour l’Autriche-Hongrie

Le front de Soca

« Le front de Soca 1915 – 1917 » est le titre d’une exposition à voir ces jours-ci dans les locaux du Parlement européen à Bruxelles. L’occasion, pour ses auteurs, de réhabiliter, 90 ans après, la mémoire des dizaines de milliers de soldats tchèques qui ont combattu pendant le premier conflit mondial sous le drapeau de l’Autriche-Hongrie, et donc, de l’avis de certains, du mauvais côté…

Le front de Soca
Soca – Isonzio en italien, est un fleuve de Slovénie qui longe l’actuelle frontière italo-slovène et qui, dans le passé, constituait la frontière entre l’Italie et la monarchie austro-hongroise dont les pays de la couronne de Bohême faisaient partie jusqu’en 1918. Entre 1915 et 1917, plus d’une dizaine de batailles sanglantes opposant les armées des deux pays ont été livrées dans la vallée de cette rivière et dans la région des Alpes Juliennes. Après l’entrée de l’Italie dans la guerre, aux cotés des puissances de l’Entente, un nouveau front s’est, en effet, ouvert en Italie, le long de la rivière Isonzio - Soca, depuis les Alpes au nord jusqu’à la mer Adriatique, au sud. Il s’est inscrit dans l’histoire, aussi, par une nouvelle doctrine militaire, dite Blitzkrieg – guerre éclair, élaborée et appliquée pour la première fois dans les batailles de Soca et utilisée plus tard par Hitler. Les combats sur ce front ont culminé par deux grandes batailles – la dixième, se déroulant entre mai et juin 1917 et la onzième ayant eu lieu entre août et septembre de la même année. Soutenue par les Britanniques et les Français, l’armée italienne a essayé de pénétrer à l’intérieur de l’Autriche-Hongrie, sans y parvenir. Son offensive a fait 370 000 morts. L’armée d’Autriche-Hongrie a payé cher son succès : ses pertes ont dépassé 180 000 hommes. « Parmi eux, beaucoup de soldats des pays de la couronne de Bohême ayant combattu ‘du mauvais côté’ » dit l’historien et co-auteur de l’exposition Josef Fucik. Selon lui, ils étaient 45 000 Tchèques à avoir pris part aux batailles de Soca, dans l’uniforme austro-hongrois. Beaucoup ne sont pas revenus. Leurs tombes sont aujourd’hui inexistantes en Slovénie et on n’en trouve qu’une vingtaine en Italie.

Le front de Soca
Pas d’hommages non plus, pour les survivants, après la guerre. Le jeune Etat tchécoslovaque créé en 1918 sur les ruines de l’Autriche-Hongrie honorait la mémoire des légionnaires ayant combattu pour son indépendance en Russie. « Les soldats tombés pour la monarchie ont mérité l’oubli, ce n’était pas des héros dans la conscience générale, mais des anti-héros, une espèce de Chveïk » estime l’eurodéputée Jana Hybaskova. L’historien Fucik explique que les soldats tchèques n’ont pas été nombreux à déserter les drapeaux autrichiens, ayant été loyaux envers la monarchie et obéissant aux lois en vigueur dans le pays où ils étaient nés et dont ils étaient les citoyens. Pourtant, il n’y a pas la moindre raison pour qu’ils soient effacés de la mémoire historique du pays, souligne-t-il. D’autant que les combats à Soca peuvent être considérés comme le plus grand engagement militaire des soldats tchèques dans l’histoire de notre pays. On peut l’illustrer par le fait que la plupart des unités revenaient des combats avec un tiers de leurs effectifs de départ. Le champ de bataille de Soca a été l’un des plus rudes de la Grande guerre. Si les soldats tchèques ne mourraient pas sous les balles, ils mouraient des suites du grand froid, du manque d’eau et de la sécheresse en été.

L’exposition de Bruxelles consacrée aux soldats des pays de la couronne de Bohême sur le front italo-slovène nous familiarise avec les destins de deux survivants qui sont, tous deux, des artistes connus : le photographe Jan Sudek qui a perdu sa main droite sur le front, et le peintre et romancier Josef Vachal que la guerre a privé, selon ses propres paroles, de sa foi chrétienne. Josef Sudek, photographe légendaire de la première moitié du XXe siècle, est connu notamment pour ses photos en noir et blanc. Son handicap n’a nullement influencé la qualité de sa création. Les objets et les endroits discrets et ordinaires devaient romantiques et magiques sous le feu de ses projecteurs. Le souvenir de la guerre a trouvé un reflet notamment dans ses paysages qu’il aimait faire tristes…

Le front de Soca
Quand à Josef Vachal, il a orné de ses fresques une église à Soca, avant de revenir chez soi. Ses souvenirs de guerre au service de l’armée austro-hongroise, il les a rassemblés dans son livre « Le peintre sur le front. » On y apprend par exemple qu’il était en première ligne, qu’il a été blessé au pied et opéré à l’hôpital de campagne de Soca, et après sa guérison il a reçu l’ordre de décorer de fresques l’église Saint-Joseph local. Le proverbe qui dit que les muses se taisent quand les armes parlent n’était pas vrai pour Josef Vachal : sur le front, il a rédigé son journal, un recueil de poèmes grotesques, un livre de petites prières militaires qu’il a illustré et relié en bois, en créant plus de 150 dessins en couleurs. Les souvenirs du front de Soca trouvent leur expression dans sa création d’après-guerre, mais pas tout de suite. Il n’était pas facile pour lui de revenir en arrière… Il s’est confié que la contradiction évidente et absurde entre la beauté surnaturelle des Alpes Juliennes par lesquelles passe le fleuve Soca et les événements atroces dont il était témoin l’a marqué pour toute sa vie…

Un autre message de l’exposition présentée au Parlement européen à Bruxelles est de montrer que les anciens adversaires aux temps du premier conflit mondial sont aujourd’hui des pays amis unis en une seule et même Europe…