Une madone médiévale aux origines floues rejoint les collections de la Galerie nationale
La Galerie nationale a annoncé récemment avoir fait l’acquisition, via le financement du ministère de la Culture, d’une Madone de la seconde moitié du XIVe siècle, pour une somme de 4,5 millions de couronnes. Cette statue en cours de restauration, qui va rejoindre les collections médiévales du couvent Sainte-Agnès à Prague, est entourée d’un voile de mystère quant à ses origines.
Elle a eu droit à certains des honneurs dus aux stars : conférence de presse, cliquetis des photographes et petite foule de journalistes réunie dans l’ancien réfectoire du couvent Sainte-Agnès à Prague. La Madone de Havraň (Bohême du Nord), œuvre datée des années 1360-1370, est une œuvre rare – tant en raison des circonstances de son acquisition que par ses origines la plaçant, historiquement, à l’époque du règne du roi et empereur Charles IV, comme le détaille Olga Kotková, responsable de la collection des Maîtres anciens à la Galerie nationale :
« Nous pensons que cette œuvre est née dans l’atelier du maître de la Madone de Bečov, voire même qu’il ait pu en être le créateur en personne. Elle est donc issue d’un atelier exceptionnel qui était basé à Prague mais qui pouvait prendre des commandes, par exemple pour des églises de Bohême du Nord. Il se peut que l’atelier ait également été actif dans la région. »
Cette Vierge à l’enfant est présentée par l’artiste comme planant au-dessus d’un trône composé de plusieurs anges qui la soutiennent, certains d’entre eux étant pourvus d’un instrument de musique. Ce type de découverte étant rarissime, les équipes d’experts de la Galerie nationale ont d’abord dû s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un faux extrêmement bien fait. Mais les historiens de l’art se sont accordés sur le fait qu’il s’agissait là bel et bien d’une madone médiévale, sur laquelle l’empreinte du temps a laissé sa trace. Olga Kotková souligne le caractère exceptionnel de cette acquisition :
« Les œuvres d’art tchèques anciennes sont une vraie rareté sur le marché de l’art. Si des œuvres apparaissent ainsi à l’étranger, elles sont vendues aux enchères. Donc il est souvent impossible de les étudier correctement avant une acquisition. Cela était donc d’autant plus précieux de pouvoir étudier en détail cette statue avant de l’acheter. D’autre part, si d’aventure une œuvre d’art tchèque médiévale de cette période précise apparaît sur le marché, en général, les sommes sont astronomiques. Rappelons-nous qu’en 2019, une œuvre d’art attribué au maître de Vyšší Brod s’est vendue en France pour une somme de 5 millions d’euros… Cet engouement à l’étranger pourrait s’expliquer par le fait que les acheteurs apprécient particulièrement la Tchéquie, mais c’est bien plus probable du fait du caractère exceptionnel de ces œuvres. »
La Galerie nationale indique que le dernier lieu officiel connu de dépôt de cette madone était jusqu’à encore récemment, l’église Saint-Laurent à Havraň près de la ville de Most. Après la fin du XIXe siècle, sa trace se perd, sans que l’on sache ce qu’elle est devenue avant qu’elle ne réapparaisse aujourd’hui, vendue par un propriétaire qui souhaite rester anonyme.
C’est que cette région de Bohême du Nord est aussi celle des anciens Allemands des Sudètes, en grande partie expropriés et expulsés après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cette question des origines de la statue dans le patrimoine des vendeurs actuels n’a été que partiellement éclairée par la Galerie nationale qui préfère s’en tenir à la rareté de l’acquisition. Olga Kotková :
« Après la guerre, la famille des propriétaires a fait l’acquisition d’une maison de campagne dans la région. Selon eux, la madone était tout ce temps conservée au grenier. En tout cas, c’est ainsi que nous l’ont dit les propriétaires. Une de nos historiennes nous a montré des documents concernant cette famille allemande dont les membres avait fait partie du NSDAP. Il est donc possible qu’à l’origine il se soit agi de biens appartenant à des Allemands des Sudètes expulsés et expropriés en vertu des décrets Beneš. »
Comme le note toutefois une journaliste du serveur Novinky.cz, ces quelques informations parcellaires soulèvent davantage de questions qu’elles ne donnent des réponses, le fond réel de l’histoire de cette madone au cours du siècle écoulé étant éclipsé par le caractère exceptionnel de – sans jeu de mots – son apparition soudaine sur le marché.
Il faudra en tout cas attendre encore la fin du long processus de restauration avant de pouvoir aller admirer le travail de sculpture minutieux qui a donné naissance à cette Vierge à l’enfant entourée d’anges qui sera présentée, à terme, dans le cadre de l’exposition permanente d’art médiéval du lieu tout aussi remarquable qu’est le couvent Sainte-Agnès.