Une nuit à la houblonnière

La bière va de paire avec le houblon. Il est bien connu que les cônes ou les inflorescences femelles sont utilisées pour aromatiser la bière. En République tchèque, la culture de cette plante grimpante jouit d'une grande tradition qui remonte bien avant l'époque de Charles IV, roi de Bohême et empereur germanique. Mais ce fut au cours de son règne que la culture du houblon a vécu un véritable essor. Charles IV prononça même une interdiction formelle d'exporter les plants de houblon sous peine de mort. Par contre, il est à noter qu'en République tchèque on ne cultive que les inflorescences femelles de cette plante indispensable à la production de la boisson dorée à la mousse blanche. Les régions des villes de Zatec et de Louny, dans le nord-ouest de la Bohême, sont les plus renommées pour la culture du houblon. C'est une très jolie région, non loin des montagnes Krusne Hory et de Ceské Stredohori. Voici maintenant une petite histoire extraordinaire..

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Dans le temps, on faisait déjà venir des ouvriers saisonniers pour cueillir le houblon. La préférence était au plus âgés, estimés être plus expérimentés. Evidemment, il arrivait parfois que parmi les cueilleurs il y avait également quelques jeunes. Ainsi, débarqua un jour dans les houblonnières entourant Zatec, un jeune cueilleur du nom de Jiri. Il passait la journée à cueillir le houblon, et le soir il faisait un saut à l'auberge du coin pour se rafraîchir un peu en buvant quelques bières bien fraîches. Un soir, Jiri bu quelques bières de trop. En rentrant, le jeune homme se sentit fatigué et s'arrêta entre les rangées de houblon. Il s'assit et soupira : "Oh, que je suis fatigué ! J'ai les jambes toutes molles. Ouf ! Je vais me reposer un peu avant de reprendre la route." Et effectivement, Jiri s'allongea par terre et s'endormit. A peine ferma-t-il les yeux, que le jeune homme sentit une forte odeur de résine et de tanin, substances qui donnent à la bière un goût incomparable. Puis il vit les inflorescences femelles se balancer légèrement. Il trouva cela étrange, car il n'y avait pas de vent. Puis, tout à coup, les inflorescences éclatèrent et Jiri tout ébahit en vit sauter de fragiles créatures, fines et gracieuses. Elles étaient vêtues de tuniques légères assorties à leurs cheveux et chaussées d'escarpins en toile d'araignée lamés de fils d'argent. Les adorables créatures entourèrent Jiri et tout en dansant une ronde chantèrent :

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"Danse, danse, ce n'est que le vent qui chante,

danse, danse, la ronde de l'amour.

Viens pour danser, pour faire le coeur chavirer,

Viens donc pour tout oublier."

L'une des créatures s'approcha du jeune homme. Elle était belle avec des cheveux roux et des yeux verts : "Viens danser avec moi, toute la nuit. Ce sera un souvenir éternel, pour la vie. Vol d'oiseau, aile brisée, tu ne pourras jamais m'oublier". Elle le prit par la main et le fit danser. Légère comme une plume, elle faisait ondoyer sa tunique autour de son corps mince. Jiri était sidéré par sa beauté. Il dansait avec la belle créature au son d'une musique douce et enveloppante.

Soudain, une lumière éblouissante le fit vaciller. Il ouvrit les yeux et s'assit lentement. Jiri regarda autour de lui. Tout était pareil à la veille, aucune trace des belles créatures. Les rangées de houblons étaient silencieuses et désertes car il était très tôt le matin. "J'ai du rêver, mais c'était un très joli rêve", soupira-t-il. C'est alors qu'il regarda sa main crispée. Entre ses doigts, Jiri tenait un escarpin en toile d'araignée lamé de fils d'argent.

Jusqu'à la fin de sa vie, et même une fois marié, père de cinq enfants, Jiri n'oublia pas cette nuit pendant laquelle il avait dansé avec une créature de rêve. D'ailleurs, il n'a plus jamais vécu une pareille sensation à celle qu'il avait ressentie, lorsqu'il plongeait son regard dans les yeux verts de la jeune fille irréelle, rencontrée une nuit d'été dans les rangées de la houblonnière.