Une œuvre de la peintre tchèque Toyen adjugée pour une somme record
La Dame de Pique, une toile de la peintre Toyen (1902-1980), a été adjugée, dimanche, à Prague, pour 3 millions d’euros. Un nouveau montant record pour une vente aux enchères d’un tableau organisée en République tchèque. Cette vente montre également l’intérêt croissant des collectionneurs pour l’œuvre de cette artiste surréaliste tchèque exilée à Paris peu avant le Coup de Prague de 1948.
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De son vrai nom, Marie Čermínová, Toyen est née dans le quartier de Smíchov, à Prague en 1902. Elle est l’une des rares femmes, sinon la seule, associée au grand mouvement de l’avant-garde tchèque de l’entre-deux-guerres, incarnée dans le mouvement Devětsil.
Dans cette génération d’artistes, poètes, graphistes, illustrateurs, peintres, écrivains, se côtoient Jaroslav Seifert, Karel Teige, Vitězslav Nezval, Adolf Hoffmeister ou encore Jindřich Štyrský qui sera le complice artistique de Toyen pendant de longues années. Cette génération est également celle qui gravite à Paris, capitale des arts et des avant-gardes et qui y puise son énergie créatrice. Et c’est précisément à Paris que Toyen a peint La Dame de Pique, en 1926, soit un an après son arrivée dans la capitale.
Vladimír Lekeš est galeriste et directeur de l’Adolf Loos Apartment and Gallery à l’origine de la vente de l’œuvre. Il nous en dit plus :
« A la fin de l’année 1925, le travail de Toyen a changé de caractère. Ses peintures sont devenues plus abstraites et avec une présence de plus en plus claire de formes géométriques. Il y a là, manifestement, l’influence de l’avant-garde parisienne. Cette peinture, La Dame de Pique, est déterminante pour la suite de l’œuvre de Toyen parce qu’elle marque le début de son intérêt pour les formes abstraites, clairement délimitées par des lignes nettes. »
Toyen – dont le pseudonyme au genre neutre est tiré du mot français « citoyen » et a été imaginé par le poète Jaroslav Seifert – est à l’origine d’un nouveau style artistique appelé « l’artificialisme » qu’elle a développé avec Jindřich Štyrský. La Dame de Pique est une œuvre qui s’inscrit à la charnière de ce tournant créatif :
« Il n’y a pas tant d’œuvres de Toyen pour cette période. Cette peinture est située justement entre les styles surréaliste et artificialiste. Le sujet du tableau, La Dame de Pique, est très intéressant car il est tiré de la nouvelle éponyme de Pouchkine, de 1833. Il est très probable que le célèbre poète tchèque Vitězslav Nezval ait contribué à trouver le titre de la peinture. »
Un coup d’œil rapide sur les plus importantes ventes d’œuvres d’art de ces dernières années montre une tendance de fond : d’abord, le nombre croissant de ventes aux enchères en République tchèque qui voient des œuvres d’artistes tchèques – ou autres d’ailleurs – adjugées pour des sommes de plus en plus importantes, comme cela a été le cas dans le passé avec des œuvres de František Kupka par exemple. Mais aussi l’intérêt grandissant pour l’œuvre de Toyen dans son ensemble :
« Je pense que les collectionneurs et les musées ont vraiment commencé à s’intéresser aux œuvres de Toyen ces cinq dernières années. L’an prochain, une grande rétrospective de Toyen doit se tenir, à Paris, Prague et Hambourg, et je pense que cet intérêt va continuer à l’avenir. C’est à mon avis une des raisons pour lesquelles cette peinture a été vendue pour une somme aussi incroyable. Avec František Kupka, Toyen est une des plus grandes artistes européennes du XXe siècle. Elle est tout à fait comparable à des peintres surréalistes comme René Magritte, Salvador Dalí ou Óscar Domínguez. Donc c’est un prix de vente très élevé, mais juste par rapport au marché. »