Une reconquête de l'association

Václav Havel et Pavel Landovský, photo: Ivan Kyncl
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Nous restons cette semaine sur les années 60, tant l'année 2008 appelle l'évocation de 1968. Vous le savez si vous êtes fidèles auditeurs, c'est toute la décennie qui a servi de ferment culturel à l'année 1968, propulsant celle-ci comme un bout d'iceberg hors de l'eau. Retour sur un phénomène passé inaperçu : la reconquête de l'association en plein régime communiste.

On a déjà évoqué sur nos ondes la ligne de rupture qui sépare, pendant les années 60, les artistes et intellectuels évoluant hors du Parti et ceux des différentes Unions. Chacun à son niveau participe à la libéralisation de la société. Le clivage entre organe officiel et culture quotidienne a effacé un constat : des artistes de tous bords commencent à se rassembler durant la décennie. Groupes d'amis aux affinités communes ? Rassemblement d'artistes de différentes disciplines en vue d'un art plus global ?

En fait, cette interpénétration des arts est à l'image de celle des idées. Droit, économie et même sciences sociales tentent de s'épauler pour ébaucher un « socialisme à visage humain ». Certains réformistes proposent même de fondre l'Union des Ecrivains et l'Union des Journalistes en un seul organisme.

En plein régime communiste, les forces vives du pays ont reconquis, sans même le demander et non officiellement, un droit qui avait été oublié depuis le coup de Prague : celui d'association. Depuis 1948, le régime contrôle artistes et intellectuels par le biais de ses organismes officiels (Union des Ecrivains, des Artistes, etc.) et voici que des artistes se regroupent en unions informelles et hors du Parti !

Le célèbre journaliste tchèque de l'entre-deux-guerres Ferdinand Peroutka parlait de « pluralisme des groupes » en évoquant la situation des artistes et intellectuels tchécoslovaques durant les années 60. Un pluralisme qui s'exerce à différents niveaux.

'La plaisanterie'
Celui d'artistes venus de différentes disciplines tout d'abord. La littérature et le cinéma font alors un heureux ménage. Evoquons l'adaptation cinématographique, par Jaromil Jireš, en 1967, de « La Plaisanterie » de Milan Kundera, ou encore celle des « Trains étroitement surveillés » de Bohumil Hrabal par Jiří Menzel en 1965. Citons également ces groupes plus loufoques mêlant happening et musique, comme les Primitives. Le mouvement américain Jazz and Poetry, qui tend à effacer les frontières artistiques, eut d'ailleurs une grande répercussion en Bohême.

C'est aussi le lien entre les générations qui est assuré par l'héritage assumé. Les jeunes artistes des années 60, hors du Parti - Václav Havel, Miloš Forman, Zdeněk Urbánek - revendiquent haut et fort leur filiation avec leurs aînés des années 50. Enfin, certains d'entre eux, comme le peintre Jiří Kolář ou l'écrivain Josef Škvorecký qui s'étaient toujours tenus à l'écart du Parti. Comment d'ailleurs ne pas voir l'influence de Kolář dans les Anti-codes qu'Havel réalise entre 1963 et 1968, sortes de calligrammes dénonçant souvent les aspects les plus absurdes de la vie culturelle ?

Certaines collaborations sont assez insolites : dans son Théâtre de la Balustrade, Václav Havel met en scène une adaptation moderne d'Antigone, dirigée par Otomar Krejča, pourtant habitué à un répertoire plus classique, celui du Théâtre National. On verra le même Krejča assurer la mise en scène de la « Fête en plein air », toujours de Havel.

Un esprit de solidarité, plus ou moins flou, plus ou moins conscient, se forme donc sans conteste entre artistes tchèques évoluant hors du PCT. L'enthousiasme de l'époque, malgré les pesanteurs du régime, a bien été exprimé par une amie de Václav Havel : « Nous fréquentions le Sémaphore, le Rokoko, la Reduta, le Théâtre Za Branou - Derrière la Porte et les soirées poétiques du café Viola. Nous n'avions pas assez de temps pour tout voir ! ».

En rétablissant ce pluralisme des groupes, artistes et intellectuels tchèques ont permis à la société un retour sur elle-même et par elle-même. Au final, ils auront également eu un rôle insoupçonné : en multipliant liens, collaborations et rencontres, artistes et intellectuels ont su briser la structure verticale, celle des organismes officiels qui permettaient au Parti de contrôler le pays.