Une soirée au Théâtre national de Prague

'Louskáček', Site officiel du Théâtre national

Que se passe-t-il de l'autre côté du rideau lorsque les spectateurs attendent le début d'un ballet au Théâtre national de Prague ? Qui sont les danseuses et les danseurs qui font vibrer les planches au son du Lac des cygnes et de Casse-noisette chaque fin d'année ? Pour cette émission spéciale du Nouvel An, Radio Prague a suivi Pauline Puicercus, une française qui danse depuis deux ans au Národní divadlo, lors de l'une de ses représentation de Louskáček, le Casse-noisette de Piotr Ilitch Tchaïkovski.

Pauline Puicercuis,  photo: Site officiel du Théâtre national
Rendez-vous à 17h30 derrière le Narodní divadlo, le Théâtre national de Prague. C'est par un hall discret, loin de l'entrée du public, que les artistes investissent les lieux. Ce soir, Pauline Puicercus, qui danse un flocon de neige et une valse, nous attend devant la porte.

« Chaque jour, avant les représentations, nous devons arriver au moins une heure en avance et signer une feuille de présence dans le hall. C'est un acte de présence qui est relevé à heure fixe », explique-t-elle en ouvrant la voie. Les formalités d'usage accomplies, direction les loges.

« Je suis au troisième étage. Les solistes sont en général plus bas, au niveau de la scène, pour avoir moins de chemin à parcourir lors des changements de costumes. Nous (le corps du ballet, NDLR), nous avons plus de temps donc nous avons tous les étages à monter. »

Le Théâtre national,  photo: Kristýna Maková
Le Narodní divadlo est un véritable dédale de couloirs et d'escaliers qu'il faut parcourir avant de rejoindre sa destination. Pour les danseurs, il faut rapidement apprendre à se repérer pour ne pas être en retard sur scène.

« Au début j'étais un peu perdue. J'avais du mal à comprendre où étaient les étages et le niveau de la scène. Maintenant ça va, mais la première année était difficile ! », raconte Pauline en entrant dans l'un des nombreux ascenseurs.

Chaque danseur dispose d'une place attribuée dans les loges du théâtre. Pauline partage la sienne avec cinq autres danseuses qui disposent toutes de leur fauteuil, leurs tiroirs et leur grand miroir pour se préparer avant chaque spectacle.

Photo: Barbora Kmentová
« A chaque fois que je danse au Narodní divadlo, j'ai cette place où je peux installer mon maquillage, mes pointes, de quoi me coiffer, mes 'toy-toy', c'est-à-dire mes porte-bonheurs... Il y a tout un rituel de préparation : on rentre dans la loge et on se met dans la peau du personnage que l'on va interpréter...Je commence par me coiffer pour me dégager le visage. Surtout que ça prend plus de temps avec des cheveux propres ! Ensuite je passe au maquillage. Je m'en occupe souvent toute seule, je trouve que c'est important pour se mettre dans son rôle. J'apprécie ce moment de préparation », détaille-t-elle, pinceau en main, en examinant son fard à paupière.

Pauline a loupé le cours de danse ce matin. Elle doit donc prendre le temps de s'échauffer pendant une demi-heure avant de finir de se préparer.

« Il est 18h02, il reste une heure avant le spectacle. Je vais en 'backstage', derrière la scène, dans une salle d'échauffement pour préparer mon corps à l'intense marathon qui va suivre », dit-elle, très sérieusement. Hors de question de négliger l'échauffement, car un accident est vite arrivé avec des pieds et des jambes non-préparés.

Photo: Barbora Kmentová
D'autres danseurs sont descendus, certains sont sur la scène, dissimulés par les rideaux, et répètent quelques derniers mouvements avant la représentation.

« On prend ses marques et on essaie des difficultés techniques pour s'assurer que tout ira bien, on teste les pointes... ça rassure ! », explique Pauline.

La Compagnie nationale tchèque compte environ 80 danseurs de toutes les nationalités : des Tchèques, bien sûr, mais aussi des Ukrainiens, des Moldaves, des Américains, des Australiens, des Espagnols, des Japonais... Ainsi qu'une petite dizaine de Français.

« C'est ce qui fait l'importance de la compagnie, le fait de réunir plusieurs nationalités, donc plusieurs façons d'appréhender le mouvement et la danse. La compagnie s'enrichit de ces échanges. Les formations d'Europe de l'Est s'ouvrent de plus en plus et les danseurs français commencent à arriver. Il n'y a pas beaucoup de grandes compagnies de classique en France, donc nous nous exportons », analyse-t-elle. Avant de passer une audition pour Prague, Pauline a passé trois ans dans la compagnie de danse de Poznań, en Pologne.

'Louskáček',  photo: Martin Divíšek / Site officiel du Théâtre national
Quinze minutes... dix minutes... puis cinq seulement avant le spectacle... Une voix dans un haut-parleur rappelle les artistes à leur devoir de ponctualité. La pression monte dans les loges où tout le monde s'affaire aux dernières retouches.

« Cinq minutes avant le spectacle, c'est le grand moment : on enlève les bijoux, on vérifie le maquillage et on enfile le collant avant de fixer le diadème et de passer par le rituel des 'toy-toy'. Moi je mets un parfum que je réserve exclusivement aux représentations », détaille Pauline.

A 19h, l'heure du lever de rideau, elle est presque prête. Elle ne danse pas dans la première partie du spectacle et a donc encore un peu de temps devant elle.

'Louskáček',  photo: Site officiel du Théâtre national
« C'est l'heure... L'orchestre fait ses dernières gammes avant de commencer à jouer. On descend au niveau de la scène. Je vais aller m'échauffer encore un peu, échauffer mes pieds, faire mon 'casting de pointes', c'est-à-dire choisir la bonne paire... Les ballets ont toujours une atmosphère particulière, même quand on les a déjà dansés de nombreuses fois. C'est de la magie... Surtout Casse-noisette qui est un ballet très particulier, avec une atmosphère et un contexte à part. Ça veut dire 'ça y est ! Noël arrive !' Il y a les enfants, et la musique est superbe », poursuit-elle dans le couloir, en attendant, une fois de plus, l'ascenseur.

Elle profite des dernières minutes avant son entrée en scène pour prendre le temps de se concentrer. Elle revêt son costume blanc à paillettes de flocon de neige et entre en scène avec la fée, au milieu de danseurs qui jouent une bataille de boules de neige...

'Louskáček',  photo: Martin Divíšek / Site officiel du Théâtre national
Les pointes claquent sur la scène, les pieds nus grincent... Le Louskáček de Prague mêle habilement le ballet de Prokofiev à l'un des « contes de Noël » de Charles Dickens : un Scrooge rabougri, agressif et pingre, qui n'hésite pas à briser le casse-noisette d'une enfant, évite l'enfer et retrouve le chemin du partage et de la générosité grâce à l'intervention d'une fée. Quand le rideau tombe, les danseuses poussent un soupir de soulagement en relâchant leur position.

« Je pense que ça s'est bien passé, nous étions ensemble et concentrées. On verra le débriefing ce soir ou demain, car il y a toujours des corrections à apporter, mais je pense que tout s'est bien passé », analyse Pauline en reprenant son souffle.

'Louskáček',  photo: Martin Divíšek / Site officiel du Théâtre national
Depuis les coulisses, on pouvait voir les visages des danseurs tendus dans l'effort, la concentration des corps et des esprits. Et puis les grimaces et les blagues qu'ils s'envoient d'un côté des coulisses à l'autre, par-dessus la scène, invisibles des spectateurs concentrés sur la féérie du ballet.

« On voit toute la magie du spectacle depuis l'arrière de la scène, tout ce que les gens ne voient pas mais qui fait partie de notre quotidien. Le public voit des tableaux qui défilent, alors que pour nous c'est tout un monde. Souvent on s'attend les uns les autres, on s'encourage, on se dit des 'toy-toy' pour se souhaiter bonne chance... Quand quelqu'un présente pour la première fois un rôle on est tous en coulisse pour le regarder. Il y a un vrai esprit de famille, une osmose nécessaire au bon fonctionnement de la compagnie », assure Pauline.

'Louskáček',  photo: Martin Divíšek / Site officiel du Théâtre national
A Prague, la compagnie est loin de renvoyer l'image stéréotypée du ballet comme un univers impitoyable où chacun doit lutter pour se faire sa place. Au contraire, les danseurs discutent, rient beaucoup... Derrière le rideau refermé pour l'entracte, ils respirent et plaisantent entre eux dans les couloirs.

« Ce sont des idées reçues véhiculées par des films comme Black Swan par exemple. Il fût un temps où c'était très difficile, particulièrement à l'Est, comme en Russie. Là-bas c'est toujours compliqué car les structures sont beaucoup plus grosses : il peut y avoir 230 danseurs et un rôle peut-être attribué cinq fois, six fois... ça veut dire que pour le sixième danseur, les chances de passer sur scène sont infimes. Ici il y a vraiment une bonne ambiance. Tout le monde est content quand quelqu'un obtient un rôle. Bien sûr, quand il y a une première nous avons tous envie de prouver ce que nous savons faire au chorégraphe. La danse c'est aussi ça : toujours prouver à soi-même et au chorégraphe ce qu'on sait faire, se remettre en question... On parle rarement des points positifs de nos prestations. Par exemple nous venons de danser les flocons, personne ne nous dira jamais ce que nous avons fait de bien, ou alors il y aura un 'mais', et des critiques ensuite. C'est l'art qui veut ça : la recherche de la perfection qui n'arrive jamais ! », poursuit-elle.

'Louskáček',  photo: Site officiel du Théâtre national
Le deuxième acte commence et Pauline entre sur scène dans « un beau costume bleu ; je l'adore ! C'est un rêve de petite fille ».

Le spectacle terminé et les applaudissements taris, Pauline regagne sa loge une dernière fois pour ranger enfin ses pointes et quitter son costume.

« Le programme maintenant, c'est rentrer à la maison, prendre un bon bain, bien manger et se divertir un peu... et demain ça recommence ! Décembre-janvier est toujours une période très chargée pour nous, avec beaucoup de représentations. On peut avoir jusqu'à dix-neuf spectacles dans le mois ! », dit-elle en remballant ses affaires.

'Louskáček',  photo: Site officiel du Théâtre national
Parfois, les danseurs sortent manger ou boire un verre derrière le théâtre, tous ensembles. Mais Pauline préfère rentrer chez elle pour souffler, sans perdre de vue les prochaines représentations. Au risque de ne jamais vraiment quitter le ballet pour souffler.

« Il n'y a pas vraiment de façon de se détacher. Ça fait partie de notre vie. Nos répétitions sont là pour qu'il y ait des spectacles, c'est notre but, donc on fait avec », conclut-elle avant de quitter les lieux.