Une tradition qui se perpétue

Les crèches de Jarmila Haldová
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Joyeuses fêtes de Noël, chers amis, Radio Prague vous propose de passer cette émission spéciale en compagnie de Jan Roda, amateur et collectionneur de crèches anciennes mais aussi lui-même auteur d’une dizaine de ces petites représentations de la Nativité. Radio Prague l’a rencontré à l’exposition de crèches de Noël qui se tient pour la troisième année consécutive au Château de Prague à l’initiative de l’association tchèque des santonniers, dont Jan Roda est le secrétaire. L’ambiance qui règne à l’exposition confirme que les santons suscitent un intérêt sans cesse renouvelé…

Les crèches de Šluknov
Les salles historiques du burgraviat suprême sont pleines de monde. Une cinquantaine de crèches historiques et contemporaines y sont exposées, toutes matières confondues : bois sculpté, peint et doré, argile, tissu, cire, carton, papier, plâtre, porcelaine et plastique, sont à découvrir dans ces splendides salles historiques richement décorées de fresques de style Renaissance sur les planchers. Cette fois, les organisateurs ont cherché à proposer une collection qui non seulement documente l’évolution ininterrompue de l’art de la crèche en Bohême et en Moravie mais accentue aussi la beauté des locaux où elle est installée.

Quelques-unes des crèches sont exposées pour la toute première fois, comme celle de Šluknov récemment retrouvée dans la région des anciennes Sudètes, dans le nord de la Bohême. Indépendamment de l’âge et de la matière dans laquelle elles ont été fabriquées, les crèches nous transmettent, comme le confie Jan Roda, l’histoire de la croyance, de l’amour et de l’espérance qui revit en elles :

Jan Roda
« Les crèches ont été faites pour réjouir l’âme, pour s’arrêter et réfléchir sur la destinée humaine qui commence par l’arrivée dans ce monde. Le désir éternel de célébrer le miracle de la naissance d’une vie nouvelle et de l’arrivée du sauveur pour les chrétiens se perpétue dans la tradition des crèches. »

Le 25 décembre est, selon la tradition chrétienne, le jour où l’on installe la crèche sous le sapin et chaque jour, on rajoute des personnages : depuis l’enfant Jésus, Marie, Joseph, l’âne, le bœuf, les bergers et les anges, jusqu’aux trois Mages pour finir. La paternité de la crèche telle que nous la connaissons aujourd’hui est attribuée à Saint-François d’Assise, en 1233. Depuis quand parle-t-on de crèche pour la première fois dans les pays tchèques ? On écoute Jan Roda :

« Les crèches ont été introduites dans les pays tchèques à partir de 1560, il s’agit donc d’une longue et célèbre tradition. Si l’Eglise catholique a eu une influence décisive sur l’évolution des crèches, leur installation dans les églises et, plus tard, dans les demeures aristocratiques et les maisons particulières, l’art populaire de la crèche est resté la seule constante qui ait résisté aux influences extérieures : ce sont des santonniers populaires à la campagne qui ont inventé le phénomène de Noël tchèque, et c’est grâce à eux que le message de la bonne volonté et de la paix est transmis de génération en génération. »

Avec notre guide, nous nous arrêtons devant les crèches exposées. La plus ancienne d’entre-elles est une crèche peinte sur des panneaux de bois. A la fin du XIIIe siècle, elle décorait l’église des Franciscains dans la ville de Slaný. Jan Roda nous la présente de plus près :

« Cette crèche est née il y a plus de 200 ans. C’est l’exemple d’une crèche qu’on trouvait autrefois dans les églises. Si elle ressemble à un autel, c’est parce que la représentation de l’adoration des mages sur des panneaux de bois était très fréquente dans les églises. Plus tard, on a commencé à en découper les personnages des trois Mages et à utiliser les figures indépendamment pour la décoration des scènes de la nativité du Christ. Au fur et à mesure, cette pratique religieuse a été abandonnée et la tradition de conserver la crèche chez soi s’est répandue dans les familles. La création populaire a perpétué la tradition exprimant la joie de la naissance de Jésus, et nous devons la remercier pour cela… »

La fabrication de la crèche était répandue dans plusieurs régions de République tchèque : la plus proche de Prague est celle autour de Příbram, d’autres se trouvent en Bohême orientale - à Třebechovice, Ústí nad Orlicí, sans oublier Třešť dans le Plateau tchéco-morave ou encore le nord de la Bohême.

Le modèle d’une crèche conçue pour la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague est le seul témoin à l’exposition de la tentative de créer une grande crèche spécialement pour l’endroit. L’idée a été avancée par l’Unité pour l’achèvement de la construction de la cathédrale Saint-Guy. En 1938, le projet de Crèche tchèque a été adopté, mais les travaux ont été interrompus par la guerre et par l’hostilité du nouveau régime. La vaste œuvre, en grande partie terminée, s’est perdue. Et ce n’est pas un cas isolé. Beaucoup de crèches ont disparu pendant la guerre et lors de l’expulsion des Allemands des Sudètes, pour lesquels la fabrication des crèches avait une longue tradition. L’une des rares crèches sauvegardées de cette région est à voir à la présente exposition au Château de Prague, et comme Jan Roda s’est confié, elle est proche de son cœur :

« C’est une crèche historique de la région de Šluknov – elle a été créée à la fin du XIXe siècle par un tonnelier ambulant, Josef Máj, homme sensible aux beautés subtiles de ce monde. Sur la route, il a vu des crèches sculptées en bois dans le style du romantisme et il a transféré ce style dans sa région natale de Šluknov, à l’extrémité nord de la Bohême. »

L’expression romantique a entièrement influencé la création des santonniers populaires locaux, au point qu’au tournant des XIXe et XXe siècles, Šluknov est devenue une région santonnière autonome.

« Puis la Deuxième Guerre mondiale est venue, avec toutes ses conséquences pour les régions des Sudètes. Je n’exagère pas en disant que plusieurs centaines de crèches ont été anéanties dans la saillie de Šluknov. Je me suis permis d’évoquer cette période de triste mémoire avec la ferme conviction que les temps noirs de la destruction des œuvres culturelles de valeur, même plus petites que ne le sont les crèches, ne se répètent plus. »

L’exposition documente la tradition ininterrompue de la fabrication des crèches en pays tchèques, à l’exception de quelques périodes dont justement la guerre ou, en remontant plus loin dans le passé, le siècle des Lumières. Sous l’empereur Joseph II, en effet, les crèches ont été bannies des églises pour entrer dans les maisons. C’est alors qu’une grande tradition populaire est née, tradition avec laquelle l’association des santonniers tchèques renoue, souligne Jan Roda :

« Notre association est l’une des quatre qui œuvrent en République tchèque. Elle réunit plus d’une centaine de personnes qui fabriquent des crèches ou les collectionnent. Ce rite a un côté magique énorme, il nous ramène jusqu’à nos racines, à notre enfance… Chaque crèche, même la plus modeste, porte en soi une beauté et une force spirituelles. »

A noter que Jan Roda est l’auteur d’une grande crèche sculptée en bois de tilleul et colorée qu’on peut admirer à l’exposition au burgraviat. Cette crèche compte parmi la dizaine qu’il a créée. Les santons sont une passion pour lui depuis déjà 30 ans. Ces derniers temps, il s’y consacre notamment à un niveau théorique, en recherchant de la documentation et en collaborant avec le diocèse de České Budějovice sur l’historique des crèches dans la région de Bohême du Sud.

Côté humoristique de l’exposition, le calendrier vendu est à première vue surprenant : les images des santons sont accompagnées de slogans de publicité. Nous demandons des explications à Jan Roda :

« Sous la Première République, les producteurs de café, de savons, de pâtisseries et d’autres produits faisaient imprimer des calendriers de promotion qu’ils glissaient dans leurs paquets et qui servaient à améliorer leur chiffre d’affaires. C’est ainsi qu’ils ont fait imprimer, par exemple, les rois mages apportant au petit Jésus le café de la marque en question… On connaît une dizaine de ces calendriers qui constituent une véritable curiosité pour les collectionneurs. Cette année, notre association a décidé d’imprimer un calendrier reproduisant ces anciens outils de publicité. On peut s’amuser en découpant les différents personnages et animaux et en composant avec eux des crèches semblables à celles qui étaient imprimées sous la Première République. »

Une des crèches qui suscite beaucoup de curiosité est celle représentant la Vierge Marie allaitant l’enfant Jésus. Elle été créée dans l’atelier d’une santonnière contemporaine qui a dédié la crèche à son mari, raconte Jan :

« Oeuvre de Jarmila Haldová, de cette crèche émane la joie de la naissance d’une vie nouvelle, et bien qu’elle ne soit pas travaillée rigoureusement dans l’esprit de l’Evangile, elle ne contredit aucunement l’idée de la glorification du miracle de la naissance. »

Une autre véritable curiosité de l’exposition devant laquelle les visiteurs s’arrêtent longuement est intitulée : ‘La crèche à voir.’ Au XIXe siècle, ‘La Crèche à voir’ était l’intitulé d’un panneau publicitaire invitant les Pragois à visiter un spectacle de marionnettes racontant la naissance du petit Jésus. La reconstitution de ‘La crèche à voir’, y compris les marionnettes, a été incluse dans le programme de l’exposition pour évoquer l’atmosphère de Prague autrefois et le passe-temps favori de ses habitants durant la période de Noël :

« Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on ne connaissait pas le cinéma, les possibilités de divertissement étaient limitées et on s’amusait en donnant des spectacles de marionnettes à différents niveaux, à la maison, dans les théâtres, mais aussi dans les auberges, les boutiques et les bureaux de tabac… On jouait des pièces de la naissance de Jésus qui, parfois, finissaient par se transformer en plaisanterie effrénées, mal vues par l’Eglise, après que la marionnette du guignol soit apparue sur la scène… »

Les recettes de l’exposition qui se poursuit au palais du burgraviat du Château de Prague jusqu’au 6 janvier seront reversées au profit de la Fondation Livia et Václav Klaus. Ladislav Petrásek, du conseil d’administration de la fondation, assure qu’elles seront consacrées aux bonnes œuvres :

« Nous apprécions hautement le fait d’être invités pour la troisième fois déjà à cette manifestation dont les recettes sont destinées aux activités et aux projets menés par la fondation des époux Klaus. Je peux vous assurer que ces moyens seront utilisés pour les plus nécessiteux, ceux qui ont le plus besoin de notre aide. »