Václav Havel, première manière
Ce lundi 11 mai aura lieu à la Maison d’Europe et d’Orient à Paris le vernissage et la lecture d’extraits du livre « C’est pour demain et autres pièces inédites de Václav Havel ». Le livre, qui paraît aux éditions «L’Espace d’un instant», Maison d’édition de la Maison d’Europe et d’Orient, réunit six pièces moins connues qui ont été écrites par le dramaturge et dissident tchèque entre 1960 et 1989, soit encore avant la Révolution de velours qui le hissa à la présidence de la République. Radio Prague a demandé à la traductrice et metteuse en scène Katia Hala de présenter ce livre.
Quelles pièces de Václav Havel ont été réunies dans ce livre?
«Ce livre réunit six pièces de Václav Havel qui balaient trente ans de création. Ce sont donc toutes des pièces inédites en France. Ca va de ‘Soirée en famille’, sa toute première pièce, écrite en 1960, qui n’a jamais été jouée à l’époque et n’a été donnée qu’au début du XXIe siècle. Ensuite, c’est ‘Auto-stop’, une pièce écrite en 1961 avec Ivan Vyskočil, ‘L’Ange gardien’ écrite en 1963, ‘Un papillon sur l’antenne’ écrite en 1968, une pièce charnière dans l’évolution esthétique de Václav Havel, et ensuite deux pièces des années 1980 – ‘C’est pour demain’, écrite en 1988 et ‘Mouvement perpétuel (Perpetuum mobile)’ écrite en 1989. J’insiste un peu sur cette dernière pièce, car elle n’a jamais été éditée. C’est la première fois qu’elle paraît en français dans ce livre. Elle n’a pas été éditée en tchèque non plus.»
Quelle est aujourd’hui l’opinion de Václav Havel sur ces œuvres ? A-t-il donné sans problèmes l’autorisation à les publier?
«Ah oui, il a été extrêmement coopératif et aimable. Il a été d’accord sur tout, même sur des choses sur lesquelles on pouvait douter. Par exemple il a accepté sans problèmes que soit publiée ‘Autostop’ où sa part est minoritaire par rapport à celle de son coauteur Ivan Vyskočil. Il a été tout à fait d’accord pour qu’on publie ‘Mouvement perpétuel’ et il a répondu à toutes les questions concernant notamment la typographie tout à fait particulière de Havel. C'est-à-dire là ou l’usage mettrait des points ou des virgules, Havel met des tirets. C’est assez typique de son écriture. Vous avez des phrases qui se terminent par des tirets.»
Il ne désavoue donc pas, comme certains auteurs, les oeuvres de la première période de sa création ce que fait par exemple Milan Kundera…
«C’est exactement le contraire. Disons qu’en comparant avec Kundera, Havel n’est pas un auteur dont les premières œuvres posent problème parce qu’elles étaient un peu ‘dissidentes’ dès le début. Kundera peut être comparé plutôt à Pavel Kohout, le dramaturge tchèque. Kundera et Kohout ont eu le même parcours politique mais Kohout assume tout son passé de poète communiste voire stalinien à ses débuts. Tandis que Milan Kundera le désavoue complètement.»
Quelles pièces de ce recueil avez-vous traduites?
«J’ai traduit ‘Autostop’ et ‘L’Ange gardien’ et j’ai participé un peu à la traduction de ‘Soirée en famille’, qui est une traduction collective dirigée par Xavier Galmiche.»
Essayons de présenter les pièces que vous avez traduites à nos auditeurs. Que peut-on dire de leurs sujets ?
«Alors, je vais commencer par ‘L’Ange gardien’, qui est la plus courte. Je la trouve particulièrement intéressante. En plus elle a été réécrite deux fois. Une première fois en 1963, c’est vraiment la version la plus courte, et après elle a été un peu élargie et éditée en 1968. Elle est extrêmement intéressante parce qu’il y a déjà en prémisse tous les thèmes de Havel, qu’il va développer dans une forme extrêmement condensée, raccourcie. Il n’ y a que deux personnages, ils s’appellent A et B et elle est d’une précision tout à fait chirurgicale. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’elle a été écrite et éditée en même temps qu’un essai qui s’appelle ‘L’Anatomie du gag’, qui a d’ailleurs été traduit et publié en français, et l’on voit comment cette pièce est une défense et une illustration du gag. Dans cet essai Havel montre déjà la portée subversive que peut avoir le gag. Il n’est pas encore question du théâtre de l’absurde. Il s’inspire de Charlie Chaplin et de Buster Keaton. Dans cette pièce, pour faire un petit résumé, au début un personnage B est assis à une table, et un autre personnage A vient le voir. Un dialogue se noue peu à peu entre les deux et on comprend que le personnage A est un censeur et que le personnage B est un écrivain. C’est déjà le double de Havel et à la fin du discours, qui est de plus en plus absurde, le censeur finit par couper les oreilles du personnage B, donc de l’écrivain, car le censeur pense que les écrivains de l’époque ont des oreilles trop grandes et écoutent trop bien ce qui se passe. »
Parmi les pièces du livre, il y a aussi celle intitulé «C’est pour demain», qui a donné le titre à tout le livre et qui est la seule pièce historique de Václav Havel. Quelle étape historique est évoquée dans la pièce ?
«Cette pièce est située exactement le 27 octobre 1918. Havel mélange les faits réels et les faits inventés. Et le 27 octobre 1918, c’est, bien sûr, le jour précédent la création de l’Etat tchécoslovaque. Elle met en scène le personnage de l’homme politique Alois Rašín, qui a joué un rôle dans la rédaction de la première constitution du pays. Et la pièce devient pratiquement prémonitoire parce qu’elle est écrite peu avant la Révolution de velours, et à travers le personnage de Rašín on peut déjà sentir le rôle que va jouer Havel durant cette révolution. »
Ces pièces ont-elle déjà été mises en scène et jouées ou c’étaient plutôt des œuvres écrites pour le tiroir, comme on dit?
«En Tchéquie, elles ont toutes été jouées. ‘Soirée en famille’ par exemple est une pièce qui a été jouée dans une mise en scène de Jan Burian au Théâtre de Vinohrady (Vinohradské divadlo). Elles ont toutes été jouées mais certaines assez tardivement, après la Révolution de velours.»
Et en France? Ces pièces y ont-elles aussi été jouées?
«Non, pas du tout. Elles n’ont pas été jouées en France sauf, et c’est un peu de l’autoréférence, ‘L’Ange gardien’, que j’ai mise en scène.»Joue-t-on donc aujourd’hui les pièces de Václav Havel en France? Comment le théâtre de Havel est reçu par le public français ?
«La réception est éminemment politique et problématique. Les pièces des années soixante, par exemple, pas celles que nous publions mais les plus connues, qui ont été mises en scène par Jan Grossmann, c’est-à-dire ‘Fête en plein air’, ‘Le rapport dont vous êtes l’objet’, ‘Plus moyen de se concentrer’, ces pièces de théâtre de l’absurde (qu’on a regroupées sous le générique du théâtre de l’absurde) ont été traduites assez rapidement mais n’ont pas été jouées en France dans les années soixante parce qu’elles étaient jugées trop anticommunistes par les metteurs en scène français. Par contre, avec l’invasion du pays en 1968, il y a eu un énorme intérêt, il faut dire assez ponctuel et compassionnel, pour tout ce qui touchait la culture tchèque. Et là, les pièces de Havel ont été mises en scène. C’était la première phase de ces mises en scène très nombreuses. Ensuite, quand il a été dissident, ses pièces ont également été mises en scène. Mais chaque fois, c’était ponctuel et toujours lié à des événements politiques. »