Věra Čáslavská, la légende dépoussiérée
La plus grande sportive tchèque de l’histoire, la gymnaste Věra Čáslavská, a fêté ses 70 ans la semaine dernière. Multiple championne olympique, figure de la lutte contre le régime communiste en et après 1968, Věra Čáslavská, longtemps restée emmurée dans le silence suite à un drame familial dans les années 1990, renaît depuis peu à la vie. Pour le plus grand plaisir de tous.
Film de 90 minutes, « Věra 68 – Les envols et les chutes de la plus célèbre des gymnastes tchèques Věra Čáslavská » traite de la carrière, bien entendu, mais aussi du chemin de vie tortueux de cette dernière. Il est le fruit du travail d’Olga Sommerová, une des meilleures réalisatrices tchèques actuelles de documentaires :
« Le destin de Věra est tragique parce qu’il est marqué de deux grandes chutes qui ont toujours fait suite à deux grands envols. Il y a d’abord eu une injustice politique après 1968 puis une injustice judiciaire dans les années 1990. Bien entendu, cette vie tragique, c’est une bonne chose pour une documentariste comme moi. Mais le thème du film, c’est aussi Věra, cette femme qui a représenté et fait connaître ce petit pays qu’était la Tchécoslovaquie dans le monde entier. Surtout, elle a été un modèle pour la nation tchèque. Par ses actes, elle a démontré qu’il était possible de dire ‘non’ au diable, elle a résisté à la tentation du diable communiste en refusant de retirer sa signature du Manifeste des 2 000 mots. » Věra Čáslavská la gymnaste, ce sont d’abord 140 médailles, dont onze olympiques et sept d’or, quatre titres de championne du monde et onze de championne d’Europe, tout cela sans compter l’Ordre du Soleil levant remis par le Japon. C’est aussi une médaille qui brille plus encore que toutes les autres réunies, une médaille obtenue aux Jeux de Mexico qui la fit alors entrer dans le cœur d’un grand nombre de Tchécoslovaques. Vainqueur à égalité du concours à la poutre, c’est en effet le regard détourné que Čáslavská écoute l’hymne soviétique joué en l’honneur de la co-championne olympique :« Dès la première note de l’hymne soviétique, l’hymne du pays dont l’armée occupait notre pays, j’ai tout à fait inconsciemment baissé la tête. C’est un geste qui est venu naturellement, de l’intérieur, du fond de mon âme et de mon cœur. »
Car Věra Čáslavská est aussi une femme qui a eu le courage de ses idées et de ses prises de position. Figure du Printemps de Prague, signataire du Manifeste des 2 000 mots, critique radicale du régime communiste publiée dans la presse qui condamnait l’ingérence soviétique en Tchécoslovaquie, Věra Čáslavská a longtemps souffert, à son retour de Mexico, de la persécution politique. Il fallut attendre la révolution en 1989 pour que la « martyre sportive » ancienne ennemie de la nation, qui apparaît alors au balcon aux côtés de Václav Havel lors des manifestations à Prague, retrouve la lumière. D’abord conseillère du président Havel, présidente du Comité olympique tchécoslovaque puis tchèque, celle qui refuse les postes d’ambassadrice au Japon, de ministre des Sports ou de maire de Prague accumule les fonctions de prestige au début des années 1990.Mais cette époque euphorique est aussi marquée par un drame familial : en 1993, son fils Martin tue son mari, duquel elle avait divorcé quelques années plus tôt, lors d’une bagarre dans une soirée trop arrosée. Trois ans plus tard, Martin est condamné à quatre ans de prison. Malgré la grâce présidentielle accordée par Václav Havel, une décision qui donne lieu à une immense vague de protestations dans tout le pays et à une nauséabonde campagne de presse, Věra Čáslavská plonge dans une profonde dépression et un long silence qu’elle ne brisera que plus de dix ans plus tard. Déjà proche de Čáslavská avant le drame puis de nouveau pendant les deux années qu’a nécessitées la réalisation de son film, Olga Sommerová tente d’expliquer cette inexorable descente aux enfers :
« La dépression est la plus douloureuse des maladies qui existe. Věra n’a donc profité de rien pendant toutes ces longues années, elle était dans un isolement involontaire. Toute sa vie a été extrêmement exigeante nerveusement. La volonté hors du commun que possède Věra a fait qu’elle s’est toujours engagée personnellement. Il y a d’abord eu sa carrière sportive longue de onze ans, les deux Olympiades qui lui ont apporté une gloire mondiale qu’il lui a fallu assumer, puis ses prises de position contre le régime communiste qui lui ont valu d’être mise en marge de la société. Après 1989, Václav Havel l’a invitée à travailler avec lui comme conseillère au Château de Prague, un travail qu’elle a pris très à cœur comme toujours. Puis quand est arrivé quelques années plus tard le procès injuste de son fils, sa condamnation, elle s’est effondrée. Personne n’imaginait alors qu’elle ressortirait de l’ombre un jour. »De cette profonde et longue dépression, Věra Čáslavská en est pourtant sortie. Une première fois en public, en 2009, lors de la cérémonie pour l’élection du meilleur sportif tchèque de l’année. Elle est alors acclamée par la salle debout. Depuis, les apparitions de l’ancienne gymnaste se font de plus en plus fréquentes. Et lors des Jeux olympiques de Londres, Věra Čáslavská jouera même de nouveau le rôle d’ambassadrice sportive qui aurait toujours dû être le sien :
« Je serai là-bas un peu dans le rôle d’un ours ou d’une bête de foire que l’on montre aux autres. Mais cela ne m’empêchera pas d’aller voir les épreuves dont je sais qu’elles seront exceptionnelles, même si le plaisir est aussi de voir certaines disciplines dont on n’a pas l’habitude. Mais ce que je ne veux pas manquer, c’est le concours du javelot féminin, je suis sûre que Barbora Špotáková va gagner et conserver son titre. Mais j’irai voir aussi par exemple les épreuves d’aviron ou de tir, car nous avons de grandes chances de médailles et je porte chance aux autres. »Une chance que les autres n’ont donc pas toujours portée à Věra Čáslavská, ce qui ne l’empêche néanmoins plus aujourd’hui, à 70 ans, alors qu’elle renaît littéralement à la vie, de profiter pleinement de l’instant présent, comme en témoigne son enthousiasme intact pour le sport de son cœur :
« Je supporte une gymnaste japonaise qui s’appelle Rie Tanaka. C’est une très belle fille qui a des allures de vraie femme. C’est un retour à une certaine féminité dans ce sport. Ce n’est plus un cirque de puces, rien que des petits enfants avec des mains et des jambes. Vous savez, les gens me disent souvent ‘à votre époque, vous étiez des femmes. Mais aujourd’hui les gymnastes ne sont plus que des enfants et les regarder ne nous dit plus rien’. »Une gymnaste enfant que Věra Čáslavská, femme de convictions, c’est sûr, n’a jamais été.