Vers l'Europe des travailleurs ?
Nous reprenons, aujourd'hui, le volet de l'ouverture du marché du travail en Europe. Une actualité brûlante puisque le 13 mars prochain, le gouvernement français décidera de maintenir ou non les dérogations à l'entrée sur le territoire des travailleurs des nouveaux pays membres de l'UE. Des voix unanimes se sont d'ores et déjà élevées chez les syndicats français pour une ouverture totale. Une poussée qui, tout en influençant le gouvernement, ne devrait rien changer à sa politique d'ouverture par étape. Mais au-delà du principe, défendu par les Tchèques, ceux-ci rêvent-ils vraiment de travailler à l'ouest ?
Le Royaume-Uni, la Suède et l'Irlande ont déjà ouvert leurs marchés du travail. Près de 350 000 Européens de l'Est - dont 60 % de Polonais - se sont installés officiellement en Grande-Bretagne pour y travailler depuis mai 2004. La Finlande a, quant à elle, annoncé qu'elle allait lever les restrictions à partir du 1er mai 2006. L'Espagne et le Portugal pourraient bien suivre cet exemple.
Toujours dans le Monde, Marcel Grignard, de la CFDT explique qu'"on ne peut pas considérer que l'ouverture de l'Europe, c'était pour la libre circulation des entreprises et des capitaux et pas pour les travailleurs". La Confédération européenne des syndicats (CES) s'est également déclarée favorable à l'ouverture totale. Il faut dire qu'un récent rapport de la Commission européenne a clairement confirmé l'absence de conséquences néfastes des travailleurs de l'Est dans les pays ayant ouvert leur marché du travail. Même tonalité du côté des organisations patronales, l'Union professionnelle artisanale (UPA) et la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).Les syndicats se sont exprimés, lors d'une réunion du Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales (CDSEI) présidée par le ministre délégué à l'emploi, Gérard Larcher. Malgré une influence certaine des syndicats, le gouvernement ne devrait en rien modifier son approche progressive. Les autorités françaises comptent ouvrir le marché national du travail par secteurs, par métiers et par régions. Ce n'est de toute façon que partie remise puisque l'ouverture totale est prévue dans tous les pays de l'UE en 2011.
Les Tchèques souhaitant travailler en France trouveraient-ils leur place dans un système d'admission sélective, sur le modèle français. Tout dépent bien sûr des besoins du marché du travail, mais un constat s'impose : la République tchèque dispose d'une main-d'oeuvre qualifiée importante. D'après l'OCDE, le pays possède l'un des plus hauts pourcentages d'étudiants en sciences et techniques. Les hautes technologies représentent aussi un pôle important de l'emploi en République tchèque, favorisant l'innovation dans le pays.
Mais la véritable question est plutôt : les Tchèques souhaitent-il vraiment aller travailler à l'Ouest ? Les études du ministère tchèque du Travail ne vont dans ce sens : 1,5 % seulement des actifs tchèques se disent prêts à partir travailler à l'étranger, mais seulement 1 % essaie vraiment.A la différence des Polonais qui s'inquiètent d'une fuite des cerveaux, les Tchèques ne sont guère tentés par l'émigration. Parmi les dix nouveaux membres de l'Union européenne, le pays est en deuxième position pour le niveau de vie, derrière la Slovénie. Pour Pavel Svoboda, président du comité pour l'intégration européenne à la Chambre des députés, «c'est avant tout une question politique : comment vanter l'Europe auprès de notre population alors que l'on nous prive d'une liberté essentielle, celle de travailler où l'on veut ?(...) Les gens veulent pouvoir choisir».
Cestmir Sajda, vice-ministre du Travail chargé des questions européennes, s'inscrit dans la même ligne. Pour lui, les Français et les Allemands se fondent sur des craintes irrationnelles. Et d'ajouter avec ironie : «Récemment, j'étais en France et j'ai appris que vous manquiez de plombiers !»Réunis sur la question de principe, les Tchèques s'apprêtent déjà à donner l'exemple. Ils se disent décidés à ouvrir leur marché du travail sans aucune restriction à la Roumanie et à la Bulgarie, attendus le 1er janvier 2007 dans l'UE. «Pourtant, l'écart économique entre nous et la Roumanie est bien plus grand qu'entre nous et l'Espagne, souligne Svoboda. Mais nous n'avons pas peur. Nous accueillons déjà des dizaines de milliers d'Ukrainiens.»