Marché de l'emploi dans l'UE : une Europe à deux vitesses ?

Photo: Commission europeénne
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Face aux conditions de plus en plus strictes imposées en Europe de l'ouest aux candidats à l'embauche des nouveaux pays membres, le 1er ministre tchèque, Jiri Paroubek, a déclaré vouloir adapter les mêmes limitations à l'égard des ressortissants étrangers installés sur le territoire tchèque. Après l'Europe politique, l'Europe économique menace-t-elle de tomber en panne ? Est-il actuellement plus difficile pour un Tchèque de travailler en France que pour un Français en République tchèque ? Cela ne surprendra personne : oui. Force est donc de constater qu'il existe bien aujourd'hui une Europe à deux vitesses : celle du marché de l'emploi.

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En réaction contre la politique de discriminiation pour les travailleurs tchèques dans les pays de l'UE, le Premier ministre, Jiri Paroubek, veut appliquer la loi du talion. Il préconise de durcir les lois relatives au travail des étrangers en République Tchèque. Rétablir la parité dans les politiques d'emploi en Europe constitue, selon lui, le seul moyen d'obliger les pays membres à adoucir les leurs. En écho à ce mécontentement, Vaclav Matyas, à la tête de l'Association des Entrepreneurs de la Construction s'est également plaint de l'étroitesse d'accès au marché du travail occidental pour les Tchèques. Il est vrai que près d'un an après leur entrée dans l'UE, les ressortissants tchèques rencontrent les plus grandes difficultés pour trouver un emploi en Europe de l'ouest. Conséquence : la majorité des Tchèques vivant à l'étranger travaille aux Etats-Unis. A croire que le phénomène de la fuite des cerveaux a encore de beaux jours devant lui !

Pour le journaliste Karel Bartak, cette restriction du marché de l'emploi occidental prendrait son origine dans les désaccords sur l'intervention en Irak. On se rappelle la phrase de Jacques Chirac après l'approbation de l'action américaine par les pays d'Europe centrale : "Ils ont manqué une bonne occasion de se taire". Au-delà du message politique, les nouveaux venus n'auraient pas perçu la menace économique.

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Mais la véritable raison n'est-elle pas plus terre à terre ? Après la campagne sur le référendum du 29 mai qui vit naître la peur d'un afflux de « plombiers polonais », le gouvernement français hésite à lever les restrictions imposées aux travailleurs originaires des pays d'Europe centrale. Si la France n'est pas prête à renoncer définitivement à l'attribution de permis de travail aux migrants originaires des PECO, la raison invoquée par la ministre déléguée aux affaires européennes Catherine Colonna pour une avancée très progressive, est assez claire : "Il ne servirait à rien de prendre une décision qui ne soit pas comprise par la population".

La France préfère pour l'instant la formule des accords bilatéraux avec les nouveaux membres, afin d'autoriser l'entrée de professions spécifiques, en fonction des besoins du marché du travail. Une manière de contrôler et de réguler l'arrivée des candidats. Le phénomène dépasse le cadre hexagonal puisque douze pays de l'Union européenne ont pris des mesures pour limiter l'accès à leur marché du travail aux Polonais, aux Tchèques ou aux Hongrois.

Premier ministre Jiri Paroubek
Une clause européenne prévoit le réexamen de ces mesures en avril 2006 mais la Hongrie, la Pologne et la Slovénie, furieuses de ces restrictions, ont déjà imposé des mesures similaires. Aujourd'hui, ces trois pays exigent que leurs actifs ne soient plus considérés comme des citoyens de "seconde zone". Reste le bastion libérale tchèque et les faits sont là : il est actuellement plus facile pour un Français ou un Anglais de travailler en République tchèque que l'inverse.

Avant le premier ministre, Vladimir Spidla, le commissaire européen aux affaires sociales, avait déjà exprimé le refus de cette Europe de l'emploi à deux vitesses : le 16 septembre dernier, il incitait les Etats membres à envisager la suppression des mesures transitoires. Faut-il pour autant évoquer la justesse voire la justice de la mesure de durcissement préconisée par le Premier ministre, Jiri Paroubek ?

Zdenek Skromach
Les chiffres ne vont pas en ce sens. 250 000 étrangers de 180 pays différents travaillent aujourd'hui en République tchèque, parmi lesquels 173 000 ne disposent pas d'un permis de résidence. La majorité sont Slovaques ou Polonais et viennent donc de pays dans la même situation que la République tchèque. En outre, les travailleurs étrangers n'ont pas influé sur le taux de chômage car ils occupent des postes non convoités par les Tchèques.

Pour Zdenek Skromach, le ministre du Travail et des Affaires sociales, le faible taux de fécondité dans le pays va entraîner, pour les années à venir, un besoin important de main d'oeuvre étrangère. Depuis juin, le gouvernement met d'ailleurs en place un programme de recrutement de travailleurs qualifiés de nationalités diverses : Kazakhs, Croates, Biéorusses, Serbes et même Canadiens. Les Ukrainiens devraient être inclus l'année prochaine. 300 personnes seraient déjà concernées et le ministre table sur 1000 autres pour 2006.

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A l'ouest également, les prévisions alarmistes d'une invasion des travailleurs de l'est n'est pas vérifiée. Une étude de l'ECAS (European Citizen Action Service), sur laquelle s'appuie notamment la Commission européenne, montre que les flux d'immigration en provenance d'Europe centrale ont été modestes dans les trois pays la Grande-Bretagne, l'Irlande et la Suède qui ont ouvert leurs portes aux citoyens de la "nouvelle Europe". La Grande-Bretagne aurait enregistré 175 000 travailleurs des pays d'Europe centrale et orientale (PECO) depuis mai 2004, l'Irlande, 85 000, et la Suède, 22 000.

Raisons électoralistes d'un côté et esprit de revanche de l'autre, la solution ne se débloquera pas tout de suite. Pourtant, comme le souligne Vladimir Spidla, "la libre circulation des travailleurs est l'une des quatre libertés fondamentales de l'Union européenne et chacun doit en bénéficier".