Version revue et corrigée du roman « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre »
La récente première du film « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » a propulsé au premier plan de l'actualité le roman de Bohumil Hrabal sur lequel est basée cette adaptation à l'écran signée Jiri Menzel. L`éditeur Kristian Suda a profité de ce regain d'intérêt pour procéder à une nouvelle édition du chef- d'oeuvre de Hrabal. Le roman illustré par Ivan Machat a été publié aux éditions Prostor dans le cadre d'une collection d'ouvrages classiques tchèques.
Jan Dite, héros du roman « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre est un homme de petite taille, presque inculte, un garçon de café qui fait bien son travail, un homme ordinaire qui vit une existence hors du commun, un coeur plein d'espoir qui va de déception en déception. Il vit plutôt en marge des événements qui ébranlent le monde au milieu du XXe siècle, mais il ne s'en heurte pas moins aux avatars de l'histoire. Cent fois écrasé, piétiné, il se relève toujours pour pousser sa charrette, pour poursuivre sa petite destinée individuelle et pour parvenir finalement à une certaine sérénité, à la sagesse.
On ne saurait pas dire que Bohumil Hrabal en créant ce récit riche en épisodes quasi incroyables, ait écrit un roman autobiographique. Sa vie diffère beaucoup de celle de Jan Dite. Et pourtant, c'est sans doute dans sa vie et dans ses souvenirs que prend source cette histoire magnifiée par le génie du plus grand affabulateur de la littérature tchèque.
« Ma préoccupation essentielle a toujours été le souvenir, a dit Hrabal sur sa méthode littéraire. C'est la condition sine qua non de mon écriture. En ce sens, l'autobiographie est toujours première mais transformée par la fiction, par la mystification. Ma manière de travailler mélange le reportage et la mystification. Mon écriture est une sorte de processus psychanalytique. »
Le roman « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » est une oeuvre exceptionnelle et courageuse. Il était évident dès le début qu'elle devait se heurter à la censure communiste et compliquer la vie de son auteur. Son premier éditeur Karel Srp évoque la situation dans laquelle la Section de Jazz, une association illégale a publié le chef-d'oeuvre de Bohumil Hrabal :
« Il a achevé le roman en 1971 et l'a mis dans un tiroir. Les communistes tenaient Hrabal en bride, concrètement le secrétaire du Comité central du Parti communiste de Tchécoslovaquie, Müller. Ils lui permettaient certaines choses. Certains livres pouvaient paraître, il n'y avait pas de problèmes. Mais il voulait surtout publier « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre », son chef-d'oeuvre. Et c'est là où ils se sont mis à faire pression sur lui, parce qu'ils voulaient le faire collaborer un peu avec le régime. En 1980, la Section de jazz était depuis longtemps dans l'illégalité. A ce moment-là, nous avons reçu trois manuscrits intéressants - c'était un livre de Seifert, un ouvrage de Rippellino et « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » de Hrabal. Je l'ai lu en une seule nuit et j'ai dit : 'On va publier ça.' Nous attendions la mort de Brejnev, parce que sa disparition allait changer les conditions et le climat politiques. Le roman a été publié illégalement à un tirage de 5000 exemplaires. Nous l'avons préparé directement avec Hrabal, il a subi de nombreux interrogatoires, et nous avons été souvent interpellés par la police. C'était un martyre, mais tout cela a mis en relief le caractère de Hrabal que personne n'a encore décrit comme il faut. Nous connaissons Hrabal comme ce buveur de l'auberge du Tigre d'or, mais à ce moment-là, il s'est retrouvé dans une situation extrême. Hrabal avait encore une autre dimension qui reste à décrire. »
La dernière édition du roman que nous devons aux éditions Prostor et Mlada fronta s'est réalisée dans des conditions bien différentes. Le roman est richement illustré par Michal Machat et le livre est complété d'un enregistrement du texte de Hrabal par le comédien Miroslav Masopust. L`éditeur Kristian Suda a été obligé de décider laquelle des versions disponibles du roman est la bonne.
« Quand on compare toutes les éditions du roman, on y trouve toute une série de différences, d'erreurs et de fautes qui passent d'une édition à l'autre. C'est pourquoi nous avons choisi une approche du texte plus radicale. Je me rends compte, néanmoins, qu'un jour il faudra procéder à une édition critique et annotée du roman. Notre édition est basée sur le texte conservé au Musée de la littérature nationale, qui est une des premières transcriptions du roman. Nous avons utilisé aussi le texte qui se trouve dans les archives de la Bibliothèque nationale ainsi que l'édition du livre par la Section de Jazz. Et nous avons constaté, dans toutes les versions, une tendance évidente : les différentes transcriptions du manuscrit conservaient certaines erreurs et certaines fautes qui à force d'être répétées se fixaient dans le texte. »
Ceux qui ont vu « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre » au cinéma et qui aimeraient prolonger leur plaisir du film par la lecture du roman ont désormais la possibilité de lire cette nouvelle version du livre qui se veut plus authentique que les éditions précédentes.
(Les propos de Karel Srp et de Kristian Suda ont été recueillis par Vilem Faltynek.)