Virose, cendrier, amnistie, trafic : 2013 en Tchéquie en quelques mots

Miloš Zeman, photo: YouTube

« Ras-le-bol ! » s’intitulait notre dernière rubrique. C’est pourtant avec beaucoup de plaisir que nous vous retrouvons. Vous vous en souvenez peut-être, nous avions évoqué le ras-le-bol non seulement parce qu’il s’agissait du mot français de l’année 2013, mais aussi et surtout pour découvrir quels pouvaient être ses équivalents en tchèque. Nous allons donc continuer de nous intéresser à quelques-uns des mots-clefs de l’année dernière, mais bien en République tchèque cette fois.

Photo: TV Nova
Vous le savez si vous suivez cette rubrique régulièrement (et nous, nous savons que vous êtes quelques-uns à la suivre, merci !), « le » mot de l’année 2013 en République tchèque a été, et de très loin, « víroza », littéralement « virose », un drôle (dans tous les sens du terme) de virus dont avait souffert le président tchèque, au sortir d’une réception disons « une goutte trop arrosée » à l’ambassade de Russie. Bref, à en croire les sources officielles, Miloš Zeman s’était « senti tout drôle », comme on dit parfois en français, et cela nous avait fait rire (même si, à la vue des images, il y avait aussi de quoi en pleurer, et pas seulement de rire). Bon, mais même si tout cela était amusant, on ne va pas revenir dessus encore une fois. Nous avions déjà consacré une émission à ce mot « víroza » lorsqu’il était d’actualité (et nous nous étions d’ailleurs ensuite fait quelque peu taper sur les doigts par nos supérieurs : « quand même, c’est le président. Y’avait p’t’être pas besoin d’en faire tout un plat », etc. »).

Miloš Zeman,  photo: YouTube
Néanmoins, nous pouvons quand même évoquer un autre mot se rattachant également au président Zeman et à 2013, année de son élection au Château de Prague, le mot « popelníček ». Vous le savez si vous suivez cette rubrique régulièrement (et nous savons que… merci encore !), les Tchèques raffolent dans la pratique de leur langue de l’usage de diminutifs. « Popelníček » est donc le diminutif de « popelník » - « cendrier ». Alors, comment diable « un petit cendrier » a-t-il pu devenir un des mots tchèques de l’année écoulée ? En fait, celui-ci se rapporte au passage resté là aussi dans toutes les mémoires de Miloš Zeman dans les locaux de la Télévision publique tchèque quelques heures à peine après sa victoire à l’élection présidentielle. Le nouveau chef de l’Etat fraîchement élu, qui à l’époque semblait visiblement déjà souffrir de sa drôle de « víroza », s’apprêtait à passer en studio pour se plier à une interview en direct. Mais avant cela, on voit Miloš Zeman d’abord perdre l’équilibre, puis s’installer confortablement dans un fauteuil, croiser les jambes, allumer une cigarette et... demander au directeur de la Télévision tchèque s’il n’y aurait pas un « petit cendrier » - « popelníček », dans les parages…

Photo: Archives de Radio Prague
Or, comme tout le monde le sait, le président se trouve dans un lieu où il est strictement interdit de fumer, ce qui donne donc à penser que les lois, même si elles sont faites pour être transgressées comme dirait l’autre, ne sont pas les mêmes pour tous. Même s’il ne s’agit là que d’un symbole, on est en droit de penser qu’il existe meilleure manière d’entamer un mandat présidentiel. Car derrière cette demande de « petit cendrier » dans un endroit non-fumeur, se trouvent nombre des maux dont souffre la politique tchèque depuis la chute du régime communiste et tout ce que les électeurs tchèques reprochent à leurs responsables politiques : leur supériorité et leur arrogance. Fumer là où c’est interdit, c’est en quelque sorte une façon de dire : il y a moi, le président, et vous, les autres. Et c’est ainsi qu’est née « l’affaire du petit cendrier ».

Mais preuve que ce comportement n’est pas propre seulement au chef de l’Etat, mais s'étend à une grande partie de la classe politique tchèque, deux des autres mots de l’année 2013 ont été « amnestie » et « trafika ». Tout d’abord, concernant le mot « amnestie », il s’agit de l’amnistie très controversée de plusieurs milliers de détenus tchèques déclarée par le prédécesseur de Miloš Zeman, Václav Klaus, lors de son discours du Jour de l’An, le 1er janvier 2013, soit peu de temps avant la fin de son second mandat. A l’époque, on avait surtout reproché à Václav Klaus d’agir dans un intérêt personnel, cette amnistie servant avant tout à libérer les grands escrocs des années 1990, les fameux « tuneláři » de la grande transformation économique et de la privatisation à tout-va, des « tuneláři » que nous avons d’ailleurs déjà évoqués dans une émission précédente (http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/fraudes-escroqueries-ou-comment-les-tcheques-creusent-des-tunnels).

Passons maintenant au second mot « trafika », un mot revenu cette semaine en plein cœur de l’actualité avec l’inculpation de l’ancien Premier ministre Petr Nečas. Au-dessus d’une photo de ce dernier, « Trafikanti »était le titre qu’avait choisi le quotidien Mladá fronta Dnes en une de son édition du 19 juin 2013. « Trafikanti », un mot difficilement traduisible en français, même s’il fait bien entendu penser à des trafiquants. En tchèque cependant, « trafika » désigne non seulement au sens propre un bureau de tabac, mais aussi au sens figuré un poste avantageux dans l’administration ou dans une entreprise publique, poste obtenu en échange de services rendus dans le cadre de luttes de pouvoir dans un parti ou groupement politique. C’est de ce type de« trafika » dont avaient bénéficié trois anciens députés du parti civique démocrate (ODS) à l’automne 2012.

En échange de postes lucratifs dans des entreprises contrôlées par l’Etat, les trois « rebelles », tels qu’ils étaient alors surnommés, avaient accepté de renoncer à leur mandat à la Chambre basse afin de permettre l’adoption d’une réforme vitale pour le fonctionnement de la coalition gouvernementale qui était alors en place et ne disposait que d’une très faible majorité. S’agissait-il d’une forme de corruption ou d’une simple pratique certes moralement condamnable mais néanmoins courante et donc plus ou moins tolérée dans le milieu politique ? C’est la question que beaucoup se posaient et continuent de se poser en République tchèque.Néanmoins, pour la police et la justice, la réponse semble claire : il s’agit bien de corruption et c’est pourquoi Petr Nečas a été inclupé.

C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue »… Et à l’évocation de ces quelques mots qui ont fait l’année politique 2013 en République tchèque, on aurait presque envie de crier, comme les Français l’ont fait, RAS-LE-BOL ! Mais ça ira mieux de nouveau dans quinze jours quand nous ferons de nouvelles découvertes relatives à la langue tchèque. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !