Vladimir Jankélévitch, philosophe épris de la musique
"Seulement la musique peut exprimer l'inexprimable: elle est le "logos" du Silence," dit Vladimir Jankélévitch, homme ayant marqué la philosophie du XXème siècle par ses variations autour de quelques thèmes majeurs: le temps et la mort, la pureté et l'équivoque, la musique et l'ineffable. "Je creuse mon sillon dans un monde fort étroit, disait-il, et je marche obstinément, soucieusement dans mes propres traces. J'envie les créateurs généreux, débraillés, insouciants, qui gaspillent tous leurs trésors et jettent leurs idées à tous les vents, par la fenêtre ..." Une partie de l'existence de Vladimir Jankélévitch, né il y un siècle, est liée à Prague.
La musique était pour lui un phénomène de première importance. Quelle était le rôle de la musique dans sa philosophie?
"Vous savez il a écrit un livre, je vais essayer d'être simple, un livre qui s'appelle "Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien". C'est ce qu'on ne peut pas dire de la vie, l'ineffable de la vie, le trou qu'il y a à dire d'elle, le trou qu'il y a à vivre, la musique le dit et en témoigne, perpétuellement. Et donc toute la philosophie de Jankélévitch est une sorte d'approche de cet impondérable, qui nous fait plus vivants que vivants, qui nous permet chaque jour de combattre ce qui est le contraire de la musique et le contraire de la vie, qui est l'indicible, et c'est la mort."
Est-ce que le public de l'époque savait apprécier ce philosophe musicien?
"En tout cas il raconte dans une de ses lettres à ses amis limougeauds qui était son collègue à l'Ecole normale supérieure, il fait état d'une centaine de personnes qui suivait ses cours de musique alors qu'ils étaient à peine une vingtaine dans ses cours de métaphysique. Lui-même attribue son succès au piano, qu'il avait fait acheter par l'Institut et qu'il avait fait installer dans l'amphithéâtre. Moi, je pense que, dans cette lettre, il y a un petit peu de bravade et beaucoup d'humour comme toujours chez Jankélévitch. Je pense qu'il pouvait être magnifique parce qu'il pouvait alterner les phrases d'une éloquence incroyable avec aussi une très grande virtuosité au piano, puisqu'on sait que c'était un bon pianiste, un très bon pianiste. Chez lui, à Paris, il avait trois pianos et pour lui, par demi-heures, il appelait cela "ses demi-heures enchantées", il jouait du piano. Donc le public présent ne s'y trompait pas, il l'avait devant lui, et il pouvait entendre une sorte de paroles très affables et très éloquentes sur la musique, très justes, et puis aussi quelqu'un qui donnait des exemples musicaux de manière tout à fait magnifique."