Vysočina inconnue : la cité juive de Polná
A l’occasion d’une nouvelle balade dans la région de Vysočina, nous vous emmenons à Polná, une petite ville charmante de 5000 habitants. Située à quinze kilomètres de Jihlava, Polná a une longue et riche histoire dont témoignent, par exemple, les restes de l’ancien château fort. C’est néanmoins surtout la cité juive qui attire notre attention vers cette ville, fondée au XIIIe siècle sur la route commerciale reliant Prague et Vienne.
La triste histoire des juifs de Polná
L’histoire de la ville de Polná est inséparablement liée à celle de ses habitants juifs. Le développement du commerce et de différentes professions, comme la draperie ou la chapellerie, a attiré les premiers juifs dès la première moitié du XVIe siècle. Eva Boháčková, du Musée juif régional de Polná, présente l’histoire de cette communauté et de ses membres :« Après la bataille de la Montagne Blanche (en 1620, ndlr), Polná est dévolue à la famille Dietrichstein. Une forte recatholicisation a eu lieu dans les pays tchèques à cette époque et le souverain de Polná, le comte Ferdinand de Dietrichstein, a promulgué un ‘ordre pour les juifs’ qui interdisait à ceux-ci de partager la même partie de la ville que les chrétiens et qui leur réservait une rue hors du centre. Cette rue a été construite entre 1680 et 1682, il s’agissait à l'origine de seize maisons en bois, séparées de la ville par la ‘Haute tour’ d’un côté et par la ‘Basse tour’ de l’autre et bornées par des fortifications. Deux ans après, le comte a fait édifier la synagogue à côté de laquelle les juifs ont eux-mêmes construits la maison du rabbin. Les juifs étaient également limités dans les possibilités de travail. N’ayant pas le droit de posséder de la terre, ils se sont consacrés à la finance et au commerce. A Polná, ils ont également loué une tannerie et une distillerie vinicole où était produit un vin de qualité inférieure issu de la région de Mikulov (un grand centre de viniculture en Moravie-du-Sud, ndlr) qui était également en possession des Dietrichstein. »
A la différence d’autres villes où les juifs survivaient dans des conditions de vie souvent difficiles, la communauté juive de Polná pouvait vivre, grâce à ces métiers qui lui étaient attribués, une vie plutôt paisible jusqu’au XIXe siècle et comptait, en 1830, quelque 770 membres. Néanmoins, avec la vague d’agitation antisémite qui est apparue à cette époque, Polná est devenue tristement célèbre pour l’affaire du meurtre d’une jeune fille catholique de 19 ans :
« C’était le 29 mars 1899. Anežka Hrůzová rentrait du travail mais n’est jamais rentrée chez elle. Elle a été trouvée dans la forêt, seulement à quelques pas du chemin. Elle était nue, couchée sur le ventre et égorgée. Les gens ont commencé à chuchoter qu’elle avait été ‘rendue cachère’. A Polná, vivait un jeune juif, Leopold Hilsner, qui ne travaillait qu’occasionnellement, qui flânait souvent dans les alentours de la ville et qui n’avait pas d’alibi pour l’heure du meurtre. Bientôt, tous les soupçons se sont portés sur lui et il a été inculpé malgré le manque de preuves. Même la presse étrangère, en France et en Allemagne, a commencé à parler d’un meurtre rituel. C’était partout dans les journaux. » Un peu comme l’Affaire Dreyfus, ce procès a éveillé l’attention du grand public, ainsi que des autorités, notamment du futur président et cofondateur de la Tchécoslovaquie Tomáš Garrigue Masaryk. Ce dernier prend la défense de Hilsner et demande un nouveau procès. Le juif est néanmoins condamné à la peine de mort, la sentence est commuée un an plus tard en peine de prison à vie. Il n’est gracié qu’en 1918. Cette affaire a gravement marqué la communauté juive de Polná qui ne comptait plus avant la Seconde Guerre mondiale que 37 membres, qui allaient être déportés durant le conflit et n’allaient jamais revenir dans la commune.La création du Musée juif régional
La cité juive se compose d’une place triangulaire avec 32 maisons, reconstruites après un dernier incendie en 1734, la synagogue et la maison du rabbin. Ouvertes au public en juin 2014 avec le soutien de l’Union européen, ces deux dernières bâtisses forment aujourd’hui le Musée juif régional. Fondée en 1684 après la création du ghetto, la première partie du musée, la synagogue, avait besoin d’une rénovation complète :« La synagogue a été construite en pierre et en brique avec un haut plafond voûté. Comme tout le quartier juif, elle a été elle aussi détruite par le feu à plusieurs reprises. Ensuite, elle a été agrandie et dotée d’un plafond en poutres. A l'origine, il s’agissait d’un bâtiment isolé mais au XIXe siècle, elle a été rattachée à la maison du rabbin. Les services se sont tenus dans cette synagogue jusqu’en 1941, puis elle a servi d’entrepôt. Elle a été de nouveau presque détruite et était alors destinée à la démolition. Mais en 1989, le régime a changé et différentes initiatives citoyennes sont nées pour la conservation du patrimoine juif. La synagogue et la maison du rabbin ont ainsi été, en 1994, transmises à la Fédération des communes juives qui s’est occupée de leur restauration. »
La synagogue sert aujourd’hui de lieu culturel et abrite une grande exposition consacrée au meurtre d’Anežka Hrůzová à travers le prisme de la presse de l’époque. La maison du rabbin présente notamment le mode de vie des juifs de Polná. Le public peut donc découvrir un magasin juif, l’ancienne cuisine, l’appartement avec le bureau du rabbin, un bain rituel – le mikvé ou encore un oratoire du XIXe siècle :« Cet oratoire a servi également comme école juive. Puis, pendant la Première Guerre mondiale, quand les armées ont traversé la Pologne, et plus précisément la Galicie, la communauté juive de Polná a offert l'asile aux réfugiés juifs de cette région. Ceux-ci étaient néanmoins très orthodoxes, ils avaient leur propre rabbin et leur propre torah. Ils se réunissaient donc dans cet oratoire et ils ne fréquentaient pas la synagogue ensemble avec les juifs de Polná. »
Un peu plus loin, à environ 700 mètres de la cité, se trouve également le cimetière juif qui date de la fin du XVIe siècle. Le cimetière, qui a été élargi à plusieurs reprises, a été utilisé jusqu’au XXe siècle et on y trouve donc des inscriptions en hébreu, ainsi qu’en allemand et en tchèque.L’ancienne gloire de la ville de Polná
L’histoire des juifs à Polná ne représente pourtant qu’une part du passé glorieux de la ville. La présence de l’homme sur ce territoire précède de longtemps la fondation de la ville, comme en témoignent des découvertes datant du IIIe siècle. Au cours de temps, la ville a également été liée aux noms de grandes familles nobles des pays tchèques, tels que les seigneurs de Lípa, les Wallenstein ou les seigneurs Žejdlic de Šenfeld et a été, jusqu’à la moitié du XIXe siècle, la troisième ville de la région.
Le centre-ville de Polná est dominé par la cathédrale de l’Assomption de la Vierge Marie et par l’étang « Peklo » (l’Enfer en français) d’une superficie de 15 hectares, qui, grâce à un centre de loisirs situé sur ses bords, propose de nombreux activités en été comme en hiver.Une attraction populaire, « la vielle école de Polná », est une exposition détachée du Musée municipal. Située dans la maison de Brož, elle présente notamment l’intérieur complètement équipé de l’ancienne classe de l’école des garçons, qui a été ouverte à Polná en 1866. Denisa Blažková du Musée municipal poursuit en présentant d’autres salles qui se trouvent dans ce bâtiment :
« L’exposition présente également par exemple l’appartement d’un professeur de l’époque ou deux cabinets de sciences naturelles. Dans ceux-ci, il y a toutes sortes d’objets exotiques comme des coquilles, des noix, des œufs ou même des animaux. Tout cela a été donné à l’école par des drapiers de Polná. Ces cabinets présentent également deux curiosités – un veau à deux têtes et un écureuil terrestre à six pattes. L’école de Polná est néanmoins devenue célèbre notamment grâce à une collection de coléoptères qui a été présentée à l’Exposition internationale à Paris et puis à Prague et à Pardubice. »
Le siège principal du Musée municipal se trouve dans le complexe du château datant du XIIIe siècle. Il propose de visiter, outre les bâtiments du château fort, par exemple, une ancienne pharmacie du XIXe siècle, le lapidarium ou une exposition permanente consacrée à l’horlogerie. Sur la cour du château ont également lieu en été de nombreux événements culturels.Néanmoins, pour découvrir cette ville dans toute sa beauté, il ne faut surtout pas oublier de visiter la grande fête qui se tient au mois de septembre. Les débuts du traditionnel pèlerinage en l’honneur du patron de la ville, Saint Ligorius, un martyr grec du IIIe siècle dont les dépouilles mortelles ont été données à Ferdinand de Dietrichstein par le pape Innocent X et reposent désormais dans la cathédrale de l’Assomption de la Vierge Marie, remontent au XVIIe siècle. Même si la forme du pèlerinage a changé et son caractère est aujourd’hui plutôt commercial, l’ancienne tradition reste respectée des habitants de cette ville.
Pour célébrer la récolte de la carotte, un produit fortement répandu dans la région avant l’arrivée de la culture de la pomme de terre, les habitants de Polná pendent, lors de la fête de leur saint patron, un bouquet composé avec ce légume, décorée de rubans aux couleurs nationales, sur la porte de la maison. Cette tradition est également accompagnée de la fabrication d’une spécialité culinaire. Chaque année, les visiteurs de Polná peuvent donc goûter aux traditionnels gâteaux appelés « mrkvance » en tchèque et bien évidemment fourrés à la carotte rappée.