Jamais élucidée, l’affaire d’un « meurtre rituel juif » de 1899 pourrait faire l’objet d’un nouveau procès

Leopold Hilsner devant le tribunal

Au cœur de la plus grande affaire à caractère antisémite de l’histoire des Pays tchèques, parfois comparée à l’affaire Dreyfus, se trouve le meurtre d’une jeune catholique perpétré dans un village de la région de Vysočina. Plus de 120 ans après les faits, le dossier pourrait être rouvert par la justice.

Le portrait supposé d’Anežka Hrůzová | Photo: public domain

En avril 1899, le corps inanimé d’Anežka Hrůzová, couturière de 19 ans, est retrouvé dans une forêt des environs de Polná, village à mi-chemin entre Prague et Brno. Jeune vagabond d’origine juive aperçu non loin du lieu du crime, Leopold Hilsner est accusé du meurtre. Encouragées par la presse, des émeutes antisémites éclatent alors dans toute la Bohême.

Leopold Hilsner après 1918 | Photo: public domain

Reconnu coupable, sur la base de preuves indirectes, du meurtre d’Anežka Hrůzová et de l’assassinat d’une autre femme, Marie Klímová, retrouvée morte à peu près au même endroit un an plus tôt, Leopold Hilsner est d’abord condamné à mort avant, finalement, d’être gracié par l’empereur François-Joseph en 1901. Emprisonné, il purge sa peine jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, quand il est libéré grâce à une amnistie prononcée par le dernier empereur austro-hongrois, Charles 1er, et à une intervention du futur président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk.

Depuis plusieurs années, Lubomír Müller, un avocat tchèque spécialisé dans la défense et la réhabilitation des personnes injustement persécutées, fait pression pour rouvrir le dossier. En effet, comme il l’avait expliqué il y a déjà quelques années, il estime que l’affaire concerne personnellement des personnes encore en vie aujourd’hui :

Lubomír Müller | Photo: Archives de Lubomír Müller/Paměť národa

« Hilsner n’a pas eu droit à un procès équitable. L’enquête et le procès devant le tribunal de Písek ont fait l’objet de fortes pressions en dehors du domaine judiciaire. Des pressions à caractère antisémite notamment, ce qui est totalement contraire au principe du droit à un procès équitable. J’ai donc saisi le successeur légal du tribunal qui avait condamné Hilsner, à savoir le tribunal régional de České Budějovice. »

Leopold Hilsner | Source: public domain

À České Budějovice, ville du sud de la Bohême, et à Prague, les autorités judiciaires ont fait savoir qu’elles n’avaient pas trouvé de motifs suffiants pour l’ouverture d’un nouveau procès. En revanche, à Brno, chef-lieu de la Moravie, le bureau du procureur régional a récemment annoncé qu’il allait réexaminer le dossier, et ce suite à la découverte de nouveaux documents dans les archives de la ville de Jihlava. D’après l’avocat Lubomír Müller, ces documents élucideraient non seulement certaines circonstances de l’enquête mais révèleraient aussi l’existence d’un autre suspect.

En 2017, l’historien français Alain Soubigou avait expliqué pourquoi le meurtre d’Anežka Hrůzová était souvent considéré comme « rituel » :

Le dessin antisémite du meurtre d’Anežka Hrůzová | Source: Archives de Klub za starou Prahu

« La victime est catholique. Le supposé meurtrier, lui, est juif et, immédiatement, des journaux catholiques inventent ou ressortent la théorie du meurtre rituel, dont on avait quelques exemples en Allemagne, en Pologne et dans l’espace centre-européen. Le meurtre rituel, ce serait pour la Pâque juive le besoin supposé de sang chrétien pour les Juifs, et ce serait en fait la perpétuation de la trahison par Judas de Jésus, qui est colportée de siècle en siècle, de génération en génération jusqu’au début du XXe siècle. Ce sont des milieux très catholiques qui interviennent dans la lecture, l’interprétation qui est donnée à ce meurtre. »

Le verdict prononcé contre Leopold Hilsner, qui n’a jamais reconnu sa culpabilité, reste à ce jour définitif. Pour en savoir plus sur cette affaire, sur le rôle du président Masaryk, sur le personnage de Leopold Hilsner, ainsi que sur les parallèles avec l’affaire Dreyfus en France, écoutez l’intégralité de l’entretien avec Alain Soubigou sur notre site Internet : https://rozhl.as/5u0.

Le lieu du meurtre d’Anežka Hrůzová | Photo: Irena Šarounová,  ČRo
10
49.487093100000
15.719306800000
default
49.487093100000
15.719306800000