Vysočina inconnue : un bistrot français au pied de la montagne Javořice

Rémi Decroix du Bistrot de papa, photo: Vojtěch Ruschka

Aujourd’hui, nous vous emmenons près de la montagne Javořice, le sommet le plus haut du Plateau tchéco-morave. Au pied de cette montagne, dans le village de Horní Dubenky, un cuisinier français, Rémi Decroix, originaire de Lille, et sa femme tchèque Eva ont récemment ouvert un bistrot français, le Bistrot de papa. Dans un entretien accordé à Radio Prague, son chef revient sur son arrivée dans ce petit village, situé dans le sud-ouest de la région de Vysočina :

Rémi Decroix,  photo: Vojtěch Ruschka
« Je suis arrivé en 1996 à Prague pour travailler dans le restaurant ‘Bistrot de Marlene’. Je suis resté et reparti plusieurs fois et je suis vraiment tombé amoureux de la République tchèque. Après, j’ai rencontré ma femme. J’ai continué à travailler à Prague mais au bout d’un moment, nous avons eu notre premier enfant et nous nous sommes dits que nous devrions avoir une ‘chalupa’, une maison de campagne dans la Vysočina. En regardant sur internet, j’ai découvert une maison et nous l’avons achetée. Voilà comment je suis tombé amoureux de la Vysočina. Au début, ce n’était que la maison pour la retraite mais à un moment donné j’ai décidé de ne plus retourner à Prague. Je suis donc resté ici, dans le ‘trou du c… du monde’, comme ils disent ici. »

Votre parcours en tant que cuisinier était assez riche. Vous avez travaillé en Suisse, aux Etats-Unis, en Belgique… Pourquoi la République tchèque a-t-elle gagné ?

« Je pense que c’était l’endroit qui me correspondait le mieux au niveau des gens, au niveau de la nature… C’était l’endroit où je me sentais le mieux de tout ce que j’ai fait. Et mon choix, je ne le regrette pas aujourd’hui et je pense que je ne le regretterai jamais. »

Le Bistrot de papa,  photo: Vojtěch Ruschka
Jusqu’au mai dernier, le Bistrot de papa se trouvait à Počátky, la ville voisine, où il jouissait d’une grande popularité. Comment les gens ont-ils réagi à votre départ ? N’était-il pas difficile de recommencer ailleurs ?

« Ils étaient tristes que l’on parte. Quand ils ont entendu la nouvelle, nombre d’entre eux nous ont proposé des locaux à Počátky et dans les environs car ils avaient peur que l’on parte de la Vysočina. Mais moi, je n’avais aucune envie de partir. Nous avons alors réfléchi et l’endroit qui nous correspondait le mieux, c’était chez nous. Il y avait tout ce qui me plaisait… Bref, il n’y avait pas un meilleur endroit pour moi. »

Vous avez alors dû trouver une nouvelle clientèle ou les clients de Počátky vous sont restés fidèles et viennent également à Horní Dubenky ?

Horní Dubenky,  photo: Miloš Hlávka
« C’était très rigolo. On a décidé de prendre le temps avant d’ouvrir un nouveau bistrot parce que j’aime bien prendre le temps pour certaines choses mais il y avait une pression de la part des clients qui nous ‘harcelaient’ sans cesse. Ils posaient sans cesse des questions comme ‘Mais vous n’êtes pas encore ouverts ?’, ‘Où allez-vous être ?’ ou ‘Vous allez ouvrir quand ?’ On voulait ouvrir plutôt l’année prochaine mais au bout de quatre mois, on a dû ouvrir coûte que coûte parce que les gens le demandaient. Mais bien sûr, cela nous faisait le plaisir que l’aventure continuait. Il y avait donc vraiment une demande et tous les ‘habitués’ sont revenus. Et maintenant, une nouvelle clientèle se fait également puisque nous sommes ouverts le soir alors qu’avant, je ne pouvais pas le faire. Alors, on se renouvelle bien. C’était toujours de bons moments avec les anciens et nouveaux clients. »

Ces ‘habitués’ sont donc surtout des gens de la Vysočina ou les gens viennent aussi d’ailleurs ?

« Ils viennent de la Vysočina mais aussi de Prague, de Brno et de tous les environs. Des fois, ils font juste une pause sur leur route. Et comme dans la Vysočina, il y a beaucoup de ‘chalupa’ dans tous les villages, il y en a qui ont leurs habitudes de réserver leurs places et de venir chez nous. »

Et les Français ?

« Les expatriés de la région connaissent notre bistrot. Il est néanmoins plus dur de faire sortir les expatriés qui vivent à Prague parce que pour eux il n’y a que Prague qui est belle. Et en ce qui concerne les touristes, ils sont surtout amenés par des Tchèques. Donc, j’arrive à avoir des contacts avec des Français qui viennent en vacances chez des Tchèques dans la région. »

Un bistrot où on se sent comme entre amis

Le Bistrot de papa est situé dans votre maison. De plus, pour atteindre le salon, l’endroit où l’on mange, on doit passer par la cuisine. Vous êtes donc toujours en contact direct avec les clients. Cet agencement était-il voulu ? Y a-t-il également des côtés négatifs ?

Počátky,  photo: Packa,  CC BY-SA 3.0 Unported
« Il n’y a pas de côtés négatifs. Bien au contraire. Quand j’étais à Počátky, j’avais déjà une cuisine un peu ouverte même si un peu moins que maintenant. On pouvait déjà passer me voir ou je pouvais passer voir des clients. Et à Dubenky, l’espace faisait que cela s’est fait tout naturellement. Les clients passent donc et disent bonjour. Les nouveaux sont plutôt surpris et les ‘anciens’ sont contents de me voir et de voir le fonctionnement de la cuisine. Je pense que c’est aussi notre facette que l’on ne peut pas se cacher. Voilà, les clients sont accueillis chez moi, donc on tend à les accueillir comme on accueille les gens à la maison. Ils passent à la cuisine… On a l’impression que l’on se connaît depuis vingt ans. C’est vraiment agréable. On a rien à cacher donc pourquoi on ne le montrerait pas ? »

En ce moment, il y a beaucoup de réservations, donc vous avez beaucoup de travail… Quel plat préparez-vous le plus aujourd’hui ?

« Les Tchèques aiment bien le porc, donc quand il y a un filet mignon au porc à la carte, ils mangent du porc. Mais dans l’ensemble, c’est assez varié et tout se vend. »

Et en général ? Quel type de cuisine on peut goûter ici ? Est-ce plutôt de l’art culinaire ou préférez-vous des plats simples ?

Le Bistrot de papa,  photo: Vojtěch Ruschka
« Je préfère faire ce que j’aime. J’aime les plats qui sont simples, qui ne prennent pas la tête aux clients avec un nom de ‘quarante-deux pages’. J’aime faire les classiques, aussi bien un bœuf bourguignon, un bar en papillote ou une quiche lorraine. Des fois, je m’autorise à faire des choses un peu plus spéciales qui m’amusent. Voilà, chaque plat, il faut que j’aie du plaisir à le faire ou à le concevoir. Il faut qu’il me fasse rigoler ou j’aime bien donner des choses à goûter. Il y a trois ans, on m’a dit : ‘Ah, il n’y a pas de cuisses de grenouille !’. En ce moment, je fais donc de cuisses de grenouille. Je trouve ça drôle. De plus, les Tchèques sont maintenant ouverts à les goûter. Ils peuvent trouver ça bizarre, ils peuvent en rigoler mais pour finir, ils disent que ce n’est pas mauvais. C’est la même chose pour les escargots, les gens savent qu’ils vont toujours trouver des escargots ou la soupe à l’oignon ici parce que ce sont des plats traditionnels français. Et peut-être dans les mois et les années à venir, les clients voudront toujours des cuisses de grenouille, il y en aura donc peut-être toujours. »

Et vous personnellement, vous restez fidèle uniquement à la cuisine française ou vous appréciez également la cuisine tchèque ?

Le Bistrot de papa,  photo: Vojtěch Ruschka
« C’est toujours la question que l’on me pose ! Avec le temps, on s’habitue à la cuisine tchèque. Depuis vingt ans, elle a quand même évolué, dans le bon sens évidemment. Maintenant, on arrive à trouver d’autres restaurants ‘sympas’ ou traditionnels, de bonne qualité. Hélas, comme en France ou comme ailleurs, il y a des restaurants qui n’utilisent pas des produits de bonne qualité ou qui utilisent des produits congelés ou surgelés. Mais comme j’ai dit, le même problème se retrouve France. Il est vrai que dans la cuisine tchèque, il y a de bons plats et il y en a de moins bons, autant qu’en France, autant qu’en Thaïlande ou ailleurs. J’arrive à manger de la ‘svíčková’ mais pour l’instant, je ne peux pas encore manger de la carpe. Je l’ai essayée beaucoup de fois mais je ne peux pas. J’ai essayé de trouver une recette, je l’ai essayée encore hier mais finalement je me suis dit que ce ne serait pas encore pour cette année que je vais mettre la carpe au menu. Mais j’y arriverai. Je ne sais pas dans combien d’années, peut-être demain ou dans dix ans, mais un jour, on y arrivera. C’est promis, on va l’essayer. Peut-être pour la retraite. »

A Počátky, vous avez également organisé des marchés français. Cette tradition va-t-elle poursuivre ?

Le Bistrot de papa,  photo: Vojtěch Ruschka
« La première année, on l’a fait avec des amis qui l’avaient déjà organisé à Prague. On a dit qu’il serait rigolo de faire des marchés dans la ville de Počátky. Le premier soir quand on a fait l’ouverture à 18 heures, il n’y avait personne sur la place encore à 17 heures alors que l’on installait les stands. Les vendeurs faisaient donc un peu la tête. Mais le soir même, le sourire des vendeurs était revenu, il y a eu une affluence absolument géniale. Je n’avais plus de marchandise le premier soir. On a fait ces marchés pendant trois ans. La première fois, on a prévu que si on faisait quelque 500 personnes pendant le week-end, ce serait génial. Mais finalement, on a dû en faire quelque 4000 ou 5000. Et la dernière année, il y avait environ 10 000 personnes. Alors, cette tradition va-t-elle perdurer ? Je pense que le marché français dans le style de celui de Počátky ne se fera plus parce que je trouve que maintenant, il y a trop de marchés – des marchés français, fermiers, de vins, italiens, russe, polonais, extraterrestres… Je n’aurais plus le même plaisir parce qu’il y en a trop et je voudrais toujours faire différent. Donc, si on arrive à trouver une autre façon de faire les choses, on y réfléchira. Mais il y aura sûrement quelque chose. Quoi, comment, quand ? A une nouvelle émission certainement ! »

Quelques « tuyaux » dans la région

Le village de Horní Dubenky est néanmoins connu aussi grâce à une autre spécialité, cette fois-ci typiquement tchèque, la bière. Ce n’est qu’à quelques pas du bistrot que se trouve la petite brasserie artisanale appelée d’après son propriétaire Kozlíček. Même si fondée assez récemment, la brasserie jouit déjà d’une grande renommée qui a dépassé les frontières de la région, comme en témoigne le fait que l’on peut goûter sa bière également dans quelques restaurants à Prague et à Brno.

Fondée au XIIe siècle sur la route qui reliait le monastère de Želiv à l’Autriche, la ville de Počátky est aussi le lieu de naissance du fameux poète tchèque Otokar Březina. De passage dans la ville, les touristes peuvent y visiter sa maison natale. En République tchèque, Počátky est néanmoins célèbre notamment pour être le lieu de tournage d’ « Une blonde émoustillante », un film de Jiří Menzel, réalisé d’après le livre « La chevelure sacrifiée » de Bohumil Hrabal.

Enfin, pour les amateurs d’histoire et de nature, le château-fort de Roštejn se trouve à quinze kilomètres seulement du village de Horní Dubenky. Ce château gothique, connu pour son atypique tour heptagonale et qui se classe parmi l’un des châteaux les mieux conservés dans le pays, est ouvert au public d’avril jusqu’à octobre. Une belle promenade s’impose notamment dans sa grande réserve de chasse fondée au XVIe siècle et destinée à l’élevage de mouflons et de cerfs. Aujourd’hui, un beau sentier éducatif y propose de découvrir l’histoire et les principes de la cynégétique, tout en observant des animaux.

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