Wontanara ou le parrainage d’enfants guinéens par des Tchèques
Wontanara : c’est le nom d’une ONG tchèque spécialisée dans le parrainage d’enfants. Un système qui permet à des enfants guinéens d’être scolarisés grâce aux dons de particuliers. Táňa Beaoui Bednářová, la directrice de Wontanara, a commencé par nous donner la signification du nom de son association :
« Wontanara dans la langue soussou, cela veut dire ‘Ne t’inquiète pas, ensemble on va s’épauler’ »
Pourquoi la Guinée ?
« C’était un peu un hasard quand on est partis pour la première fois il y a vingt ans. On n’a pas choisi la Guinée précisément mais on a rencontré des étudiants guinéens, ici en République tchèque, et ils nous ont dit qu’il n’y avait pas beaucoup d’organisations. Alors on s’est dit pourquoi pas. »Même si c’était il y a vingt ans, donc dix ans après la révolution de Velours, il faut dire que la Guinée était un ancien pays ami socialiste et des étudiants guinéens allaient étudier dans les pays de l’Est, et même jusqu’à Moscou. Il y a une tradition ici, je pense notamment à l’université de Suchdol, donc c’était peut-être la suite de ces mouvements d’échanges ?
« C’est vrai, c’est à Suchdol qu’on a rencontré ces étudiants. C’est vrai aussi que lorsque nous sommes arrivés en Guinée, et que les gens ont su qu’on venait de République tchèque, ils ont été beaucoup plus accueillants. Ils étaient très contents et honoraient une mémoire de réciprocité. Les Tchèques ont construit des rails, ils ont emmené des camions Tatra… »
Quelle était votre impression quand vous êtes arrivés à Conakry ?
« C’était la première fois que nous venions en Afrique, nous n’avions pas beaucoup d’informations ou du moins pas celles qui correspondaient à la réalité. Donc ma première impression est inoubliable. Je m’attendais à ce que les gens soient malheureux, pauvres, que tout soit gris mais tout le monde riait, venait vers nous et ils nous saluaient avec le cœur. Même s’il n’y avait pas de lumière comme nous sommes arrivés le soir, elle était dans les gens. Les gens étaient souriants, ils n’avaient rien mais ils nous ont offert du coca-cola et se sont privés de boire pour nous. On avait vraiment peur, car ils nous ont emmenés dans un quartier qui ressemblait un peu à un bidonville. Mais quand je regarde rétrospectivement, je me rends compte qu’il n’y avait rien à craindre. »C’était en 1999 ?
« Oui, exactement. En 1999. Ça fera vingt ans dans un mois. »
Après ce voyage, vous avez ensuite commencé à travailler pour des projets humanitaires, fondé votre organisation, … Quelle a été votre première idée ? En voyant, sur place, les besoins d’un des pays les plus pauvres du continent, qu’est-ce que vous vouliez faire et qu’est-ce que vous avez fait ?
« Nous n’avons pas commencé avec les projets humanitaires et ce n’était pas notre idée. Nous avions commencé avec les projets humanistes et on voulait surtout trouver les gens qui voulaient agir sur le terrain, des locaux. Nous avons donc contacté des milliers de personnes, sans mentir, surtout à l’université de Conakry. Quand nous les avons contactés, nous avons fait beaucoup de rencontres et nous leur avons proposé de s’auto-organiser avec la réciprocité. Voyez quels sont vos besoins, dans vos quartiers et si vous avez un peu de temps libre, organisez quelques choses. Les premières activités ont été les cours d’alphabétisation pour les adultes, le nettoyage des quartiers, etc. Tout ce qui ne fonctionnait pas, tout ce qui n’était pas satisfaisant, ils essayaient de l’améliorer, surtout par des activités qui ne nécessitaient pas de moyens financiers. C’est pour cela que nous avons contacté les étudiants. Ils pouvaient nous comprendre, nous pouvions parler français avec eux, car 60% de la population ne le parlait pas. Ce sont eux qui sont partis dans leurs quartiers pour organiser les activités. »
Comment aidiez-vous ?
« Au départ, seulement avec les idées, en emmenant des cahiers, des stylos pour les appuyer, mais surtout avec l’organisation. Nous n’avons pas commencé avec l’argent et ce n’était pas notre idée, mais après deux ou trois ans, nous avons lancé le projet parrainage à distance et cela nous a permis de rassembler des moyens financiers. »C’est ce qu’on appelle en tchèque l’adoption à distance, en tchèque Adopce na dálku ?
« Voilà, on appelle ça adoption à distance mais je sais qu’en français on dit plutôt parrainage. »
Comment fait-on aujourd’hui si on veut parrainer un enfant guinéen ?
« C’est facile. Vous pouvez visiter notre page internet www.wontanara.cz. Il y a des informations de base en français et en anglais qu’on complète petit à petit. Il y a aussi la liste des enfants, donc si quelqu’un veut, il peut choisir l’enfant qu’il veut parrainer. »
Dans plusieurs régions de Guinée ou c’est concentré sur une région en particulier ?
« Non, dans plusieurs régions. Nous nous trouvons à Conakry, Dubréka, Kindia et Kankan. Nous avons d’autres projets ailleurs mais l’adoption à distance se fait dans ces quatre endroits. »
Sur un de vos dépliants, vous évoquez le nombre de sept écoles que vous avez aidé à faire bâtir grâce à vos fonds et de plusieurs centaines d’écoliers, d’étudiants, que vous sponsorisez ?
« Voilà, il y avait environ 1200 inscrits dans le programme de parrainage depuis ses débuts mais plus de la moitié a déjà terminée ses études c’est-à-dire terminé l’université, appris un métier ou reçu l’éducation de base. Actuellement, nous avons à peu près 500 enfants dans le programme, qui fréquentent, soit nos écoles que nous avons construites, soit d’autres, si nous n’avons pas assez de possibilités. Nous essayons toujours de choisir la meilleure école pour eux. »Est-ce que vous avez de belles expériences à nous raconter de familles tchèques ayant parrainé des enfants guinéens ?
« Oui, beaucoup ! Nous ne voulons pas tout garder pour nous donc nous avons créé une nouvelle page qui s’appelle ‘Mon enfant en Afrique’ (en tchèque http://mojeditevafrice.cz), où il y a beaucoup d’histoires, soit des enfants qui ont participé à ce programme, soit des parents adoptifs qui ont sponsorisé un enfant, soit des bénévoles qui ont visité la Guinée et qui ont pu voir nos projets. Je ne sais que choisir. Ce ne sont que de bonnes expériences car les enfants, au départ, étaient les enfants des plus pauvres, qui n’avaient aucune chance d’étudier dont parents n’ont jamais étudié non plus.
Donc la base n’était pas facile à la maison, car, ici, on aide souvent les enfants. Là-bas il faut être vraiment motivé. Il y avait un garçon qui venait d’une famille nombreuse et qui a commencé en bas âge avec nous, en première ou deuxième année. Il a terminé l’université, il a lui-même appris l’allemand et a demandé la bourse pour étudier à l’université en Allemagne. Maintenant, il étudie là-bas et réussit très bien. Il est en contact avec ses parrains qui l’ont appuyé depuis qu’il est tout petit. »
Ils se sont rencontrés déjà ?
« Ils se préparent pour se voir car le monsieur a quand même plus de 80 ans. On attend également que l’étudiant ait un peu de temps pour venir nous voir en République tchèque car ce n’est pas loin. »Vous indiquez aussi sur vos documents, vouloir, grâce à vos actions, lutter contre le racisme et la xénophobie. La République tchèque n’a pas la réputation d’être un pays particulièrement ouvert. Est-ce que c’est une tâche difficile ici ? Plus difficile qu’ailleurs ?
« C’est un peu triste, c’est vrai. Je sens beaucoup que les gens ont peur de l’étranger mais aussi que cette peur est non-fondée. C’est venu surtout avec la vague des premiers réfugiés qui ne sont jamais arrivés en République tchèque en fait. »
« Malheureusement les voix de la minorité sont fortes et les gens se laissent manipuler un peu. Cela nous a touché aussi puisqu’on a assisté à une baisse des adoptions à distance, pas seulement chez nous, mais dans d’autres organisations aussi, car les gens ont peur qu’ils viennent ensuite ici. On essaie donc de faire des activités qui puissent remettre en question ces préjugés chez les gens. »
Combien de fois êtes-vous allée en Guinée et quand comptez-vous y retourner pour la prochaine fois ?
« J’ai cessé de compter à un moment donné mais peut-être trente fois. Au départ c’était fréquent, pour trouver une bonne base là-bas car c’est vrai qu’ils ont beaucoup de préjugés sur les blancs, qu’ils sont tous riches et qu’ils viennent pour distribuer de l’argent. Mais il y a des gens qui n’ont pas ces préjugés et nous avons rencontré de très belles personnes qui s’occupent de nos projets depuis presque vingt ans, avec passion et sans être payés. On a un seul employé là-bas pour l’administration. Sinon tous les autres sont des bénévoles qui donnent de leur temps libre. J’aimerais bien y aller chaque année mais comme moi aussi j’ai des enfants, je fais une pause et ma collègue me remplace une fois par an. Mais on reste en contact à travers les réseaux sociaux, c’est beaucoup moins cher. Néanmoins, les rencontres personnelles sont irremplaçables. »