Xavier Galmiche : « Il faut un peu se noyer dans Holan. »

« Vladimír Holan, le bibliothécaire de Dieu » : tel est le titre d'une monographie de l'homme qui domine la poésie tchèque du XXe siècle. Publiée en 2013 aux éditions Akropolis, la traduction tchèque de ce livre a été présentée aux Pragois par son auteur Xavier Galmiche, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la littérature tchèque. Nous avons profité de sa visite pour lui demander de présenter son livre et de parler de Vladimír Holan aussi aux auditeurs de Radio Prague. Voici la seconde partie de cet entretien.

Vous constatez que les historiens de la littérature ont une tâche difficile car Holan n’a laissé que très peu de documents sur la genèse de son oeuvre. Et comme cette approche génétique de son oeuvre est quasi impossible, vous proposez une approche générique. Qu’entendez-vous par là ?

« Peut-être le jeu de mot fonctionne mieux en français qu’en tchèque, mais en tout cas il a très systématiquement détruit les premières versions, des notes de ses textes et on ne peut pour reconstituer son travail que se fier finalement aux témoignages de ceux qui l’ont vu travailler. Et je propose donc d’analyser les genres par lesquels Holan passe. Sa carrière est très longue. Il commence dans les années 20 et finit dans les années 70, plus ou moins. C’est donc cinquante années de poésie, il passe à travers des genres, il se cherche aussi. Ce sont des genres mais aussi des courants littéraires. Il y a une poésie d’avant-garde, je l’ai dit, la poésie symboliste ou néo-symboliste qui se rapproche fort, à mon avis, de la poésie de Rilke et que j’appelle dans mon bouquin l’orphisme. Et puis à cause de ce besoin de retourner à l’existence (je crois que Holan est sinon un poète existentialiste au moins un poète existentiel), il y a le retour vers des formes de poésie qui raconte, retour à ce qu’on appelle en tchèque et en allemand aussi la poésie épique qu’il vaut mieux peut-être appeler la poésie narrative. Et je pense que cette traversée des genres m’a permis de reconstituer la trajectoire de Holan. Parce que quand on l’aborde, c’est au début tellement difficile, on cherche le chemin, on a l’impression d’être dans un labyrinthe. Et pour finir cette histoire de genre, cela l’amène finalement à inventer un genre que j’appelle le grand format qui sont des textes un peu fleuve dont le mieux connu et finalement le meilleur pour comprendre Holan, et aussi le plus traduit dans le monde, est ‘La nuit avec Hamlet’ qu’il fait mûrir pendant des années, sans doute pendant toutes les années 50, et qu’il publie au début des années 60. »

Peut-on dire donc que Holan est un des rares poètes épiques du XXe siècle ?

« Dans l’histoire de la littérature d’Europe centrale et orientale il y a un fort retour dans les années trente et quarante à une poésie qui raconte. On peut penser par exemple à Achmatova chez les Russes. S’il y a ce besoin de raconter, c’est parce que tout simplement il y a beaucoup de douleur à dire. Mais il est vrai que ça déroge un peu à l’image d’une poésie purement lyrique qui soit simplement l’expression du moi. Je pense que cela reflète finalement le besoin de donner à la poésie cette tâche de parler de l’histoire, de se confronter à l’histoire, ce que Holan finalement a bien fait. »

Quelle a été la réception de l’oeuvre de Vladimír Holan en France ? A-t-il été traduit et bien traduit ?

Xavier Galmiche,  photo: Archives de Radio Prague
« Alors, c’est le paradoxe. C’est un auteur quand même assez compliqué et finalement c’est l’auteur le plus traduit. J’ai fait un peu par curiosité la bibliographie la plus exhaustive possible de ces traductions innombrables à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui en français mais on pourrait le faire dans les différentes littératures au moins européennes. Et on peut dire qu’il a été aussi traduit qu’il est incompréhensible. Donc il y a effectivement quelque chose qui attire l’attention. Il y a plusieurs dimensions. Il y a la dimension clairement d’histoire culturelle et d’histoire idéologique, c’est-à-dire, bizarrement, il est bien tombé. Il est bien tombé parce qu’après la Seconde Guerre mondiale et à cause de l’histoire politique et en particulier l’histoire culturelle du communisme, on parle dans le monde des créations des pays de l’Union soviétique et du glacis soviétique. Et même s’il était l’opposant, il a profité de cela et, il faut le dire, c’est Aragon, donc un des penseurs du Parti communiste français, qui l’a poussé à la publication de ses textes comme il a poussé à la publication d’œuvres de Soljenitsyne. C’est un paradoxe, il faut dire. Par ailleurs cette réception est importante mais elle me parait partielle. C’est-à-dire qu’on s’est plutôt penché vers les grandes périodes disons archi-sombres de son œuvre, surtout les années 1950, ensuite ‘La nuit avec Hamlet’, aux dépens en particulier des textes du début. Donc ce que j’ai essayé de faire, c’était de jeter un coup de projecteur sur les textes qui me paraissent d’abord beaux et qui sont importants aussi pour comprendre ce qui vient après, donc les textes à partir des années 1920. »

Que signifie la poésie de Holan pour vous ? Quelle partie de son oeuvre, quels poèmes de Holan appréciez-vous particulièrement ?

« Difficile de répondre, j’aime ce que j’ai identifié comme un exercice rhétorique, c’est-à-dire ce dont j’ai parlé tout à l’heure, la poésie du court-circuit, la poésie de l’éclair, tous ces poèmes où il met un peu en vrac des éléments qui ne se ressemblent pas et dont il fait jaillir une étincelle. On peut citer ‘La nuit avec Hamlet’. On s’est amusé avec les étudiants à retraduire ce texte qui avait été traduit il y a longtemps par Dominique Grandmont aussi pour ce plaisir-là de faire naître à nouveaux l’étincelle. On peut citer aussi un poème qui s’appelle ‘La mère’ du recueil qu’on peut traduire ‘En marche’ qui est un tout petit poème. Mais ça marche aussi. Il y a un tout petit portrait d’une mère qui fait le lit, voilà. Par ailleurs il met ça en rapport l’incendie de Persépolis avec la mer de Chine. Cela n’a rien à voir, mais ça marche. Ce sont des images à la fois de la paix et de la guerre. Voilà. Il les met ensemble en quelques lignes et je trouve que ça marche formidablement. »

Vladimír Holan est mort en 1980 donc il y plus de trente ans. Comment vieillit son œuvre. Ne perd-t-elle pas sa force poétique ?

Photo: THYRSUS
« Il me semble que c’est toujours un poète qu’on recommande, même si l’on ne le lit pas tous les jours parce qu’il faut un peu se noyer dans Holan et on n’a pas envie de se noyer tous les jours. Il a été peut-être un peu oublié dans les années 1980-90. Mais c’est aussi pour ça que je suis venu pour le centenaire de sa naissance, on en a beaucoup parlé dans les années 2000. Et en fait, il y a eu pas mal de livres sur lui qui sont sortis, il y a eu une grande exposition, une première série de publications, et puis surtout le livre de Jiří Opelík qui, c’est intéressant, a été aussi destiné à un public étranger. On peut traduire son titre (Holanovské nápovědy) comme ‘Holan, le souffleur’, Holan qui souffle des vérités à l’humanité comme un souffleur de théâtre. C’est un texte qui a été écrit par Opelík, un grand critique de littérature tchèque, pour le public allemand, pour servir de préface à l’édition complète bilingue tchéco-allemande de l’œuvre de Holan. Voilà, c’est aussi bien de voir que cette redécouverte passe peut-être par une présentation aux lecteurs étrangers. »