Yasmina Khadra : « L’Europe a obligé les écrivains algériens à s’ériger en victimes expiatoires. »
L’écrivain algérien Yasmina Khadra a été invité d’honneur du Festival des écrivains qui s’est tenu du 17 au 19 avril 2013 à Prague. Dans un entretien que ce romancier célèbre a accordé à Radio Prague, il a parlé de sa vie, de sa famille et de ses romans qui reflètent les problèmes brûlants du monde actuel. Il a cherché également à rectifier l’image que la littérature actuelle nous donne de son Algérie natale. Voici la seconde partie de cet entretien :
« D’abord, je n’ai pas écrit que des romans policiers. J’ai écrit vingt-quatre romans dont seulement six romans policiers qui sont traduits aux Etats-Unis. Il est très rare de voir un roman européen traduit aux Etats-Unis et il est absolument impossible qu’un roman arabe soit traduit aux Etats-Unis. Cela veut dire que mes oeuvres apportent quelque chose, ce ne sont pas des romans policiers ordinaires, ce sont d’abord des œuvres littéraires qui parlent de choses très sérieuses mais comme le sujet était traumatisant, j’ai préféré, pour préserver le lecteur, adoucir un peu ma façon d’écrire.
Mais le roman policier n’a aucune espèce d’importance comme ‘la littérature blanche’ n’a aucune importance, si l’écrivain lui-même n’est pas important. Il ne suffit pas d’écrire ce qu’on appelle vulgairement ‘la littérature blanche’, il faut que l’auteur soit important. Et s’il l’est, il peut essayer tous les genres et intéresser un public très large. Ce ne sont pas les genres qui font la littérature mais les écrivains. »Pendant quelques années vous avez publié vos écrits sous le nom de votre femme. Puis vous avez révélé votre véritable identité mais vous vous appelez toujours Yasmina Khadra. Pourquoi ?
« Vous savez je n’ai pas la chance d’évoluer dans un pays démocratique où chacun peut écrire ce qu’il veut et assume ce qu’il écrit. J’étais dans un pays où l’écrivain n’était pas très encouragé. D’ailleurs jusqu’à aujourd’hui l’écrivain est un martyre, une espèce de forçat parce qu’il est obligé de faire tout un chemin de croix. Ce qui aggravait ma situation, c’est que j’étais dans l’armée. J’étais très surveillé. Et c’est ma femme qui m’a donné le courage d’opter pour un pseudonyme. J’ai choisi donc ses prénoms pour un pseudonyme pour ne jamais oublier l’apport, le soutien qu’elle m’a prodigué. Donc c’est par gratitude et par reconnaissance que je garde ses prénoms. Maintenant je suis très content que ce pseudonyme ait déjà son audience dans le monde et pour rien au monde je ne pourrais le changer. »
Vous aimez beaucoup votre patrie mais vous vivez et travaillez en France Vous êtes actuellement directeur du Centre culturel algérien à Paris. Récemment j'ai fait un entretien avec un autre écrivain algérien, Boualem Sansal, qui est censuré en Algérie. Le regard que vous portez sur l'Algérie est également critique ...
« Vous savez, l’Europe a toujours voulu incarner une espèce de conscience. Donc d’un seul coup, ils ont obligé les écrivains arabes à s’ériger en victimes expiatoires, parce que l’Europe ne s’intéresse pas au talent. Elle s’intéresse à la souffrance, aux difficultés que rencontre un écrivain, et aujourd’hui tous les écrivains disent qu’ils sont censurés dans leur pays pour se donner une espèce d’envergure. Moi, je trouve ça malhonnête parce qu’on se fiche éperdument qu’un écrivain soit massacré ou pas, ce qu’on veut, c’est un texte, une oeuvre capable de nous transporter. L’écrivain dont vous parlez n’est pas censuré en Algérie et je l’ai vu et j’ai vu ses livres dernièrement au Salon du livre d’Alger. Le problème, c’est qu’il n’est pas lu en Algérie, on ne le lit pas beaucoup. Donc voilà, le rapport que j’ai à l’Algérie, c’est le rapport filial. J’adore mon pays, et je crois que ce pays a assez souffert pour que je sois assez fort pour le défendre et lui faire recouvrer une certaine fierté de ses enfants, que ce soit dans le cinéma, dans la littérature, dans la musique. C’est ça notre combat contre le régime algérien : prouver que nous sommes meilleurs que lui, que nous sommes plus nobles que lui, que nous sommes plus généreux que lui. »Quels sont vos rapports avec les autorités algériennes ?
« Je n’ai pas besoin d’avoir de rapports avec le régime algérien parce que je suis au-dessus de ce régime. Moi je suis complètement autonome, je vis grâce à mes lecteurs, et puis je suis un bédouin, nous avons un sens de la liberté qui est inégalé dans le monde. Pour nous, la seule façon d’être digne est de ne jamais perdre la face, de rester toujours droit, de rester toujours honnête. Si vous perdez cette qualité, vous n’êtes plus rien. Je n’ai pas besoin de pleurer pour attendrir les gens. Je suis un écrivain, j’écris. Si mes livres sont importants, s’ils intéressent les gens, tant mieux. S’ils n’intéressent personne, tant pis pour moi. Moi j’ai horreur d’entendre les gens essayer de se donner une aura en incriminant un système. Un système, il faut le combattre, il faut le combattre en Algérie. Il faut aller là-bas pour prouver aux Algériens qui a encore de la valeur dans ce pays, qui a du talent, du génie. Et c’est exactement, ce que je fais. Et que font aujourd’hui les écrivains ? Ils écrivent des choses tellement abominables que personne ne les réédite dans le pays. Ils disent qu’ils sont censurés, c’est faux. Beaucoup de gens disent que c’est une dictature. Est-ce qu’on peut appeler dictateur quelqu’un qui peut lire dans un livre des monstruosités sur lui, et vous pouvez pourtant rentrer en Algérie sans avoir de problèmes ? Ce sont des gens qui vivent en Algérie, qui passent leur temps à insulter le régime et qui ne vont jamais en prison. Donc voilà, il faut arrêter ça et moi je demande qu’on arrête d’encourager ce genre de paranoïa. Un écrivain, c’est d’abord une oeuvre. Ou elle est valable, ou elle n’est pas valable. Point barre. »Vous constatez quand même que l´Algérie souffre de beaucoup de maux dont la corruption, le crime organisé, etc. Et pourtant vous croyez fermement à l'avenir de votre pays. D'ou vient cet optimisme ?
« Ça vient de la souffrance des Algériens qui sont morts pour moi. On a eu une guerre de libération qui nous a coûté un million et demi de morts. Ils sont morts pour moi, pour nous, les Algériens d’aujourd’hui. Comment voulez-vous que je n’œuvre pas pour essayer d’aider le pays à se relever ? Moi, je suis un combattant, un guerrier, et je crois en mon pays, en la jeunesse de mon pays. Je suis absolument certain qu’une poignée d’hommes honnêtes pourrait faire de ce pays une merveille. C’est pourquoi je ne l’abandonne pas, et mon rôle c’est ça, justement. C’est trop facile de venir pleurer et récolter de petites tendresses, mais ça ne m’intéresse pas, parce que je trouve qu’un pays est immortel et notre devoir est d’être dignes de tous les sacrifices consentis. Nous sommes un pays qui a souffert pendant 4000 ans, 4000 ans d’histoire, 4000 ans de colonisation. Jamais le peuple algérien n’a été libre. Cela n’est arrivé qu’en 1962. Et ce n’est pas parce qu’il y a un régime qui est complètement absurde, qui est autiste, qui est malade, que je vais renoncer à un pays. Pour moi c’est le régime qui va s’effacer, mais il faut préparer la jeunesse de demain, les générations de demain. Voilà pourquoi je ne peux pas ne pas être optimiste. J’aime ce pays comme ce n’est pas possible, je l’ai défendu par les armes pendant huit ans contre le terrorisme islamique et maintenant je suis l’écrivain algérien le plus traduit et le plus lu au monde, donc je suis quelque chose qui pourrait lui servir. «Aimeriez-vous retourner un jour en Algérie pour y vivre ?
« La preuve est que j’ai construit une maison en Algérie. Je rentre en Algérie au moins trois ou quatre fois par an. C’est mon pays. Je suis resté en France pour deux raisons : d’abord parce que je dirige le Centre culturel algérien, et deuxièmement parce que mes enfants y sont scolarisés. Ils sont à l’université. Mais dès qu’ils auront fini leurs études, je rentrerai. C’est mon projet de rentrer dans mon pays parce que je ne suis chez moi que dans ma maison, parmi les miens, dans ma famille et parmi les Algériens. »