Žižkov et sa diversité mis à l’honneur par l’artiste français Klez Brandar
‘Bydlíte tady na Žižkově?’ ou ‘Habitez-vous à Žižkov ?’ en français. C’est la question que le photographe français installé à Prague, Klez Brandar, a posée à de nombreux passants du quartier de Žižkov. Mais c’est aussi le nom de sa série de photos qui rend hommage à ce quartier de Prague, et surtout à ses habitants. Partons avec lui à la rencontre du IIIe arrondissement de la capitale tchèque et de toutes ses personnes aux origines et horizons multiples.
Un, deux, trois, cheese ! Si c’est ainsi que vous avez l’habitude de prendre vos photos, Klez Brandar a, pour sa part, une façon un peu plus originale de tirer le portrait de quelqu’un. Arrêter dans la rue des inconnu(e)s pour les photographier, c’est ainsi qu’il a procédé à Žižkov pour l’un de ses derniers projets. Il nous le raconte plus en détail :
« Le principe, c’est une photo par personne uniquement à la pellicule. C’est donc un processus lent. Personne n’est prévenu en avance. Cela signifie que je crée une interaction. Moi, je sais que l’interaction va se passer mais la personne qui est prise en photo se balade dans la rue, revient de son travail, vaque à ses occupations, et quelqu’un va la voir et lui dit : ‘Bonjour, habitez-vous à Žižkov ? Dobrý den, bydlíte tady na Žižkově?’. La personne répond ‘Ano, ne, proč? Oui, non, pourquoi ?’ »
C’est cette simple interaction qui se cache derrière chacun des portraits que l’on retrouve ensuite sur papier glacé. Des portraits, qui servent à représenter la diversité du quartier et qui se font les témoins d’une époque. Klez Brandar a arpenté les rues de Žižkov pendant quatre ans, entre 2017 et 2021, avec pour but de réaliser un tableau sociologique du quartier dans lequel il vivait. Tel un photojournaliste – profession qu’il rêvait d’ailleurs d’exercer étant enfant -, Klez rend compte de la mixité qui existe en ces lieux. Il revient pour nous sur son choix de Žižkov comme lieu de recherche et de création :
« Žižkov est un quartier que j’aime beaucoup. C’est un quartier de Prague historique, qui a été rattaché à Prague dans les années 1920. Avant, c’était un village avec Vítkov, là où il y avait la vigne. C’est un quartier qui a un peu une réputation sulfureuse. Il y a des gens qui aiment bien l’appeler le ‘Bronx’ de Prague. C’est évidemment assez rigolo pour moi qui ai habité en Amérique Latine, ou même pour les Français en général car nous avons des endroits beaucoup plus malfamés. Cela reste en réalité très bon enfant. Il y a une architecture plutôt bourgeoise en fait, même si c’est varié. Donc ce n’est pas vraiment le Bronx. Mais il y quand même une mixité qui m’intéressait beaucoup. Au-delà de l’aspect photographique, ce qui me paraît toujours intéressant, c’est quand il y a un mélange de gens, tout simplement, parce que je pense que quand les gens sont mélangés, quand il n’y a pas une trop grande concentration de gens de la même catégorie socio-professionnelle, il y a plus de compréhension entre les personnes. »
« Ce qui m’intéressait, c’était de prendre des photos à un moment où il y avait encore ça, en me disant, que dans quelques années – dans 10 ou 20 ans -, ce quartier sera sans doute un quartier plutôt riche avec uniquement des endroits, des restaurants, des bars pour des gens plutôt fortunés du centre-ville ou du très proche centre-ville. Je voulais donc prendre une série documentaire sur ce quartier quand il est encore avec ce mélange. Il n’y a pas que des gens pauvres, il n’y a pas que des gens riches. Il y a un peu de tout. Il y a des gens de classes moyennes, des étrangers, beaucoup d’Ukrainiens, des Français comme moi, ou des Espagnols, des Azerbaïdjanais, des Russes, des Tchèques… Il y a une espèce de mixité, un pot-pourri qui m’intéresse. »
Prague est depuis la fin de l’ère communiste le théâtre d’une gentrification grandissante. La ville s’embourgeoise, entraînant une hausse des prix, contraignant les ménages les plus populaires à quitter la capitale ou du moins à s’éloigner du centre. C’est une tendance qui depuis quelques années s’est accentuée. Arrivé à Prague il y a sept ans, Klez Brandar nous livre son témoignage :
« Je me fais souvent la réflexion dernièrement que près de la rivière, où j’habite désormais, je vois beaucoup de gens avec des grosses bagnoles. Mais, il y a sept ans, on voyait beaucoup moins ce côté grosse voiture, ultra capitaliste. »
C’est donc pour garder une trace du Prague, et plus particulièrement du Žižkov actuel que le Breton d’origine a entrepris cette série de photos. Au total, c’est un peu plus de 200 personnes qui auront été photographiées, érigés ainsi en véritables symboles d’une époque. Pour autant, il n’a pas toujours été aisé pour Klez d’obtenir l’accord des passants. Il nous raconte les différents cas de figure quand il aborde quelqu’un :
« Déjà je crée l’interaction. Je suscite la curiosité de la personne. Après ça, la personne peut ne pas répondre. C’est déjà arrivé. Elle se dit : ‘Mais qui est ce type qui vient me voir et que je ne connais pas’. Soit la personne répond : ‘Pourquoi ? Qu’est-ce que vous voulez ?’. Soit la personne dit oui tout de suite. Elle ne pose pas de question. Il y a en fait tous les cas de figure. Souvent, les personnes acceptent suite à une conversation. En général, ce n’est pas tout de suite. Il y a quand même quelques interrogations : ‘C’est pour quoi ? Est-ce que ce n’est pas commercial ? Qu’est-ce que tu vas faire de la photo ?’ »
Même si le nombre de refus est variable en fonction du jour, dû au temps et à l’humeur du photographe comme des passants, Klez Brandar estime la proportion de refus à environ 20% des personnes sollicitées, et ce malgré le fait qu’il propose toujours de faire parvenir la photo à ses modèles.
Le temps est effectivement une variable importante du travail du photographe. Il a d’ailleurs fait en sorte de prendre des portraits à tout moment de l’année, qu’il vente, neige, ou que le soleil brille. Pour lui, c’est un moyen de capter une ambiance différente à chaque fois, avec une lumière qui varie également et des interactions qui ne sont pas les mêmes, les refus étant souvent plus courants lors d’une journée d’hiver que sous un grand soleil d’été. Le temps n’a pas seulement été traité en tant qu’état de l’atmosphère – chaud ou froid – mais aussi dans sa définition d’une durée – rapide ou lente. C’est en fait toute une réflexion sur l’état actuel de notre société que nous transmet le photographe.
« Vu que je me suis imposé une seule photo par personne, la condition, c’est que si je rate la photo parce que soit ma technique est mauvaise soit il y a un élément extérieur qui vient changer la lumière, soit parce que la personne bouge et que je perds le focus, la photo n’est pas bonne. Je n’utilise donc pas la photo. Ou alors je considère que la photo n’est pas parfaite mais je l’utilise quand même. Il y a des photos où le point de focus n’est pas parfait mais la personne est tellement naturelle et dégage quelque chose, et j’utilise donc la photo. Ce qui me paraît intéressant, ce sont ces deux aspects que sont la lenteur et la non-perfection. Cela va un peu à l’encontre de nos sociétés actuelles dans lesquelles nous voulons aller très vite tout le temps, et dans lesquelles nous voulons montrer que nous sommes tout le temps parfaits, même si ce n’est pas vrai. Mais c’est ce que reflètent les réseaux sociaux où nous montrons le mieux de nous-mêmes. J’aime donc bien jouer sur ces deux aspects que sont la lenteur et l’imperfection. »
Cet attrait pour la lenteur et l’imperfection a poussé l’artiste à ne prendre que des photos faites à la pellicule, en noir et blanc, à contrecourant de l’instantanéité et de la colorimétrie extrême de nos smartphones.
Pour ce projet, il reconnaît s’être inspiré de son environnement, sa vie à Prague, la culture, mais aussi des photographes tchèques comme Josef Koudelka. Pour autant, la Tchéquie n’est pas le seul pays étranger dans lequel a séjourné l’artiste. Il a baigné tout au long de sa vie dans des influences culturelles multiples, ayant aussi vécu au Brésil, en Nouvelle Zélande, en Argentine, en Italie et bien évidemment en Bretagne. Il revient d’ailleurs sur les différences qu’il a pu observer quand il a mené un projet similaire en Argentine, l’occasion pour nous d’en apprendre plus sur la nature des relations sociales tchèques :
« Je dis souvent en rigolant à des amis d’ici ou d’ailleurs que j’ai habité dans les deux pays les plus différents au monde. Evidemment, c’est une image. Il ne faut pas la prendre en tant que tel. L’Argentine, c’est vraiment le pays du drame, de l’émotion, de l’expression. La République tchèque, c’est un pays très fonctionnel. Les gens expriment assez peu leurs émotions. Evidemment, je dis un cliché. En Argentine, ils vont tout de suite dire oui ou non alors que les Tchèques sont plus méfiants et me demandent d’abord qui je suis avant d’accepter ou non d’être pris en photo. »
Des influences culturelles diverses et riches, comme celles que l’on retrouve à Žižkov, ont également marqué la musique du photographe. Et oui, Klez Brandar a plus d’une corde à son arc. Il sort, le 15 août prochain, un EP en cinq langues appelé ‘Mangrove’, un clin d’œil à la diversité que l’on retrouve aussi bien dans ce type d’écosystèmes que dans son œuvre. Même si ses chansons ne sont pas en tchèque, l’influence de son pays d’accueil y reste présente avec un interlude dans la langue de Čapek dans le prochain EP et un clip, sorti cette année, d’un de ses anciens morceaux, appelé « Happy Melancholy », qui met à l’honneur la danseuse du Théâtre national tchèque, Kristýna Němečková.
La diversité culturelle donc comme inspiration, et quoi de mieux qu’un morceau du futur EP pour illustrer cela et clore ainsi ce voyage à Žižkov.