1968 : « Pour les Slovaques, Dubček n’est pas un traître »
Mardi 21 août, la plupart des grands médias étrangers ont consacré leur une au 50e anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague, remarquant notamment que les commémorations dans la capitale tchèque ont été émaillées de vives protestations contre le gouvernement du Premier ministre Andrej Babiš, lequel est soutenu par le Parti communiste. Pour le président du Conseil européen Donald Tusk, « le désir de liberté et de démocratie » qu’ont exprimé les citoyens de la Tchécoslovaquie dans les premiers mois de 1968 « a survécu et constitue l'essentiel de ce qui unit l'Europe aujourd'hui ». Quel regard les Tchèques et les Slovaques portent-ils aujourd’hui sur ce rêve d’émancipation au sein du bloc de l’Est qui a tourné au cauchemar ?
Dans le même temps, un nouveau long-métrage sur Jan Palach est sorti dans les salles et, le soir même, la Télévision publique a diffusé le tout premier film de fiction sur « l’homme du Printemps de Prague », le Slovaque Alexander Dubček. Tourné en coproduction tchéco-slovaque, ce film retrace les grands événements de l’année 1968.
Devenu le premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque en janvier 1968, Alexander Dubček met en place une politique réformatrice. Il prévoyait notamment la démocratisation progressive du système politique sur une période de dix ans.
Ce programme de réformes, qui inclut l’abolition de la censure, déplaît fortement au numéro un soviétique de l’époque, Leonid Brejnev, qui déclenche alors, en collaboration avec la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie et l’Allemagne de l’Est, « l’Opération Danube », à savoir la plus grande mobilisation militaire en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : un demi-million de militaires de cinq pays du pacte de Varsovie, dont l’URSS, envahissent la Tchécoslovaquie, afin, prétendument, de sauver le pays d'une « contre-révolution » anticommuniste. Dès le mois de juillet, Brejnev mène pourtant des pourparlers avec Dubček à propos de ses aspirations réformatrices. L’historien Daniel Povolný explique :
« Dubček n’a pas réalisé que les dirigeants de l’Union soviétique, ainsi que les autres pays du Pacte de Varsovie étaient tout à fait sérieux lorsqu’ils évoquaient une possible intervention militaire. Il n’a pas su se comporter d’une manière un peu plus sophistiquée et diplomate avec Brejnev, lorsque celui-ci demandait par exemple un changement au poste des directeurs de la Radio et de la Télévision tchécoslovaques. Ce qui frustrait Brejnev, c’est qu’il lui promettait d’agir, mais qu’au final, il ne tenait pas ses promesses. Je pense que si Dubček avait réalisé certains changements, ne seraient-ce que formels, il aurait gagné du temps. Mais cela ne change rien au fait que tôt ou tard, les autorités soviétiques seraient intervenues. »Inévitable selon les historiens, l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie est finalement approuvée par Dubček et ses collaborateurs lors de leur séjour forcé à Moscou. Une débâcle qui restera gravée dans les mémoires des citoyens, de même que le fait que l’ancien réformateur Dubcek ait signé, au printemps 1969, la loi dite « de la matraque », qui a notamment permis de réprimer de manière violente les manifestations organisées à l’occasion du premier anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague.
Personnage controversé pour les Tchèques, Alexander Dubček demeure une figure historique majeure en Slovaquie, son pays d’origine, comme l’explique le journaliste slovaque Martin Šimečka:
« Dire en Slovaquie que Dubček est un traître, suscite des réactions explosives. Les Slovaques lui ont tout pardonné, même son silence à l’époque de la normalisation. Par ailleurs, les Slovaques ont une perception un peu différente que les Tchèques, moins négative dirais-je, de l’époque du Printemps de Prague et des années qui ont suivi. C’est lié à la création, même formelle, de l’Etat fédéral tchécoslovaque, à l’automne 1968, et aussi au fait que la normalisation qui a suivi l’occupation soviétique a été moins dramatique en Slovaquie. »Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le président slovaque Andrej Kiska, a condamné, dans son discours, l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, comparant celle-ci à un « film d’horreur », tandis que le chef de l’Etat tchèque Miloš Zeman, a décidé de garder le silence.