1989 et moi et moi et moi : « Une vingtaine de grands événements par jour »

Petr Janyška, photo: Jiří Němec

Nouvel épisode de notre série consacrée à 1989, avec aujourd’hui Petr Janyška, ancien traducteur et diplomate, ancien ambassadeur tchèque à Paris et aujourd’hui journaliste.

Petr Janyška,  photo: Jiří Němec

Quelle a été l’année 1989 pour vous sur un plan plus personnel ?

« 1989 a été une année formidable. Je n’avais jamais espéré avant que le régime communiste aurait pu tomber, se défaire. Pour moi, quelqu’un de plus de 60 ans, il y a eu deux dates de référence qui ont totalement changé ma vie : l’année 1968 et l’année 1989. Je pense que pour tous les Tchèques et Tchécoslovaques, ce sont deux dates qui ont totalement changé l’Histoire depuis la Deuxième guerre mondiale. »

Où étiez-vous, le 17 novembre 1989 ?

« Dès les premiers évènements, j’ai rejoint l’état-major du Forum civique (Občanské fórum). A partir de là, j’ai accompagné les journalistes étrangers qui sont venus en grand nombre. Tous les journaux du monde ont envoyé leurs correspondants, Français et autres : Le Monde, Libération, Le Figaro, la télévision française évidemment, … »

Vous êtes de Prague ? Vous étiez à Prague dans les mois qui ont précédé ce mois de novembre ?

« Oui, je suis Pragois. Evidemment, durant les mois qui précédaient novembre, on sentait que toute l’Europe communiste chancelait : la Pologne avait déjà son gouvernement non-communiste, le mur de Berlin est tombé, … Néanmoins, je dois vous dire que personne ici, moi y compris n’imaginait que les évènements se dérouleraient comme ils se sont déroulés. »

Est-ce que vous vous souvenez, à Prague, du 9 novembre, de la chute du mur de Berlin ? Où êtes-vous ? Vous l’entendez à la radio, vous le voyez à la télévision, vous en parlez autour de vous, avec votre cercle de connaissances ?

La chute du mur de Berlin,  photo: Lear 21,  Wikimedia CC BY-SA 3.0
« Oui on en a beaucoup parlé. Il était clair que ça ne pouvait plus tenir comme avant en Tchécoslovaquie. Néanmoins, je tiens au fait que personne ne soupçonnait que les choses allaient se dérouler comme elles se sont passées. Parce que le 17 novembre, ça n’a pas été une date qui aurait pu donner l’idée de la chute du communisme. Ce n’était ni l’anniversaire de l’invasion soviétique, ni l’anniversaire de la mort de Jan Palach par exemple. Même l’opposition n’a pas pris part dans cette marche des étudiants. »

Vous vous souvenez d’où vous êtes à ce moment-là quand les étudiants marchent ?

« Je n’étais pas là. Très franchement, je ne me souviens pas exactement où j’étais… A la maison, ou avec des amis. »

Et on écoutait la radio ou on regardait la télévision, comment on s’informait ?

« Quelle radio, quelle télévision, vous pensez qu’on en a parlé à la télévision tchécoslovaque ? »

Justement, est-ce qu’on essayait de capter des radios étrangères, qu’est-ce qu’on faisait pour s’informer ?

« Ah oui, justement, moi j’écoutais tous les soirs deux radios : la Voix de l’Amérique (Voice of America) et Radio Free Europe (Europe Libre) et c’est là qu’on apprenait toutes les informations sur ce qu’il se passait dans la ville où j’habitais. C’était vraiment le côté bizarre du régime communiste. »

Vous vous souvenez de la rumeur de cet étudiant mort, Martin Šmíd ? Comment avez-vous appris cette rumeur?

« Je pense justement sur Radio Free Europe, on en a parlé dès le lendemain. »

Ça vous a fait réagir ?

« Enormément ! Et c’est là que tout a commencé à se défaire. »

Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous êtes arrivé au Forum civique, ou à la première réunion ? Vous avez un souvenir particulier de ce moment-là ?

La réunion du Forum civique | Photo: Miloň Novotný
« Quand je suis arrivé au Forum civique c’était au petit théâtre appelé la Lanterne Magique. Il y avait une foule énorme, tous mes amis étaient là, et en même temps on sentait une atmosphère tendue, grave de conséquences, grave d’évènements. Mais ce que j’admirais, dès les premières secondes, c’était que tout a été très bien organisé. Il n’y avait pas d’anarchie, tout le monde savait exactement ce qu’il devait faire. »

Est-ce qu’autour de vous, c’est vous qui informiez les autres membres de la famille par exemple ? Vous téléphoniez, vous passiez chez les parents, comment ça se passait ?

« Je pense que oui. On écoutait, avec ma femme, la radio. On avait trois petits enfants. Je n’avais pas une grande famille donc j’informais plutôt mes amis, on était en contact avec eux et puis je me suis engagé tout de suite. »

Est-ce qu’on prenait ses petits enfants aux manifestations ou ils étaient trop petits ?

« C’était ma femme qui les prenait. Moi j’étais à la Lanterne Magique, au forum civique. C’est ma femme qui allait participer aux grandes manifestations avec les enfants. Donc les enfants en ont quelques souvenirs même s’ils étaient petits à l’époque. »

Photo: Archives de Katrin Bock
Si vous aviez un moment dans cette année 1989 que vous mettriez à part, ou un peu plus particulier que les autres dans votre mémoire, lequel serait-ce ?

« Difficile à dire parce que c’était une période où les évènements s’enchainaient. Dans une journée, il y avait une vingtaine, trentaine, de grands évènements, qu’on aurait pu raconter plus tard comme une grande histoire. Je pense que c’était la rencontre avec Václav Havel que je n’avais pas connu personnellement avant, et toute cette atmosphère de bouillonnement au sein du forum civique, où il était clair que les choses allaient changer, pour toujours. »