20 ans de manifestations de rue en République tchèque

1989

Nicolas Maslowski vient de soutenir une thèse en sciences-politiques sur les manifestations de rue de 1989 à nos jours. A l’occasion de l’approche des 20 ans de la révolution de velours, il explique comment se présente la protestation en République tchèque.

« En France, il y a une tradition de manifester qui est liée directement à la révolution française et qui s’est développée pendant tout le XIXe siècle. Ici, de ce point de vue-là, c’est tout l’inverse. Pour un Français qui arriverait à Prague, il pourrait s’étonner et avoir l’impression que les manifestations sont rares et qu’elles sont exotiques. Si on joue à l’ethnologue, on peut venir observer des manifestations qui sont statiques. Bien souvent les manifestations ne défilent pas. Les extrémistes font des cortèges et défilent comme cela est l’usage en France, mais énormément de manifestations sont sur une place, avec un podium, et les gens essaient de rester silencieux pour bien entendre les personnes sur le podium en train de parler. »

Nous allons bientôt fêter les 20 ans de la révolution de velours. La révolution de 1989 menée par les étudiants a probablement vu les plus grandes manifestations que le pays ait connues ces 20 dernières années. Quelle influence a eu la révolution de velours sur la façon de protester aujourd’hui ?

« La révolution française a mené à un sentiment que le peuple dans la rue représente la souveraineté et a donc donné automatiquement énormément de légitimité aux manifestants. On pourrait s’attendre à ce que la révolution de velours, qui était une révolution de démocratisation, ait le même effet.

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Qu’en est-il ? On retrouve en effet des anciens héros de cette révolution : les leaders étudiants, ce qu’on appelle les anciens étudiants, qui se retrouvent 10 ans après la révolution – il y a 10 ans actuellement – à organiser la plus grande manifestation en rejetant la politique et en appelant à plus de démocratisation. Ce sont encore les héros de cette révolution qui se retrouvent à soutenir les grands mouvements pour une télévision indépendante il y a 9 ans et on retrouve régulièrement les anciens dissidents en train de soutenir un certain nombre de causes, de venir rejoindre des protestataires, et quand il s’agit de protestations sur la Tchétchénie ou sur les dissidents à Cuba, il s’agit toujours de manifestations extrêmement réduites, comptant entre 10 et 200 personnes au mieux, et bien souvent plutôt 10 que 200. Mais sur ces 10 personnes, on retrouvera toujours un ou deux anciens dissidents qui viendront soutenir de leur renommée ou de leur influence cette cause. Cela n’en fait pas moins une habitude marginale. La plupart des gens ne manifestent pas. Les manifestants sont souvent perçus comme des extrémistes, ou on considère ça comme un hobby d’anciens dissidents. »

Qui manifeste en République tchèque ? En France on a l’habitude de voir particulièrement les syndicats qui mobilisent leurs troupes quand des problèmes sociaux sont en jeu. Ici, ce n’est pas forcément le cas ; quelles sont les associations, les initiatives, mais même les syndicats qui poussent les gens à descendre dans la rue ?

« Il y a 10 ans, la plus grande fédération de syndicats tchèques a sorti un petit livre sur l’évolution depuis 1989, et ils ont fait une liste des manifestations auxquelles ils ont participé. Cette liste non seulement était extrêmement courte, mais ils y indiquaient aussi les manifestations qu’ils avaient voulu organiser mais qu’ils avaient laissé tomber et ils appelaient ça ‘l’action peu conventionnelle’. En effet, pour les syndicats, manifester est peu conventionnel. Mais cela évolue et on voit ces dernières années de plus en plus de manifestations sectorielles, des agriculteurs, des médecins, des chercheurs, qui commencent à utiliser la rue et les médias. Et on peut s’attendre à ce que la gauche se rempare de la rue. Actuellement, la plupart des manifestations ne sont pas des manifestations syndicales.



Il y a plusieurs types de mobilisation. Pour simplifier, il y a les grandes causes qui relèvent de la société civile, donc l’humanitaire ou les droits de l’Homme. C’est un monde qui est très lié à Havel et ses amis, les anciens dissidents. On connaît les plus grandes organisations que sont ‘Clovek v tisni’ (l’homme en détresse), ou le comité Helsinki pour les droits de l’Homme. Mais ils ne représentent pas l’ensemble de la société civile. Ils en représentent quelque part son sommet, son caractère noble. D’autres activistes ne sont pas du tout d’accord avec cet establishment et ne partagent pas forcément leur opinion sur toute une série de choses et ne se sentent pas bien représentés par ce sommet de la société civile. Il s’agit d’une part des anarchistes qui parfois se lancent dans des causes qui sont aussi des causes des droits de l’Homme mais encore plus souvent l’antiracisme, l’antifascisme, marquant leur opposition traditionnelle à l’extrême droite. Il s’agit des écologistes, et nous avons ici une opposition entre une frange plus proche de Havel et des anciens dissidents, plus ‘droit-de-l’hommiste’ et plus à droite politiquement, et une jeune génération qui est beaucoup plus à gauche et beaucoup plus influencée par les discours écologistes internationaux, qui se sentent souvent plus proches des jeunes anarchistes, et avec qui ils organisent un certain nombre de manifestations.

Ces derniers groupes sont particulièrement actifs, même s’ils sont particulièrement restreints. Ils n’ont pas la capacité de mobiliser des dizaines de milliers de manifestants. Néanmoins, ils ont la capacité de mobiliser un petit groupe de manifestants très souvent. Ils ont été actifs récemment en opposition à l’installation d’un radar américain sur le territoire tchèque, reliant le pacifisme traditionnel des mouvements hippies, qui ont toujours influencé les tendances écologistes, au rejet de la domination américaine telle qu’elle est défendue par un certain nombre d’anarchistes.

Enfin, il y a de manière plus organisée et plus disciplinée quelques rares manifestations de communistes. Il s’agit plutôt de meetings du parti que d’une manifestation telle qu’on la comprendrait en France. Bien souvent, on y retrouve un podium avec des enfants qui lisent des poésies communistes et où on distribue des saucisses et de la bière. »

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D’ici un petit mois, en novembre 2009, nous allons donc fêter les 20 ans de la révolution de velours. Plusieurs groupes ont dit qu’ils allaient manifester à cette occasion. Attendez-vous avec impatience de voir ce qui se passera aux alentours de la mi-novembre, ou le 17 novembre, en République tchèque ?

« Je suis très curieux de voir ce qu’il va se passer. Evidemment, on peut supposer un certain nombre de choses sur la base de l’observation des 20 dernières années. Il risque peu d’y avoir de grands mouvements sociaux comme ce que l’on peut voir en France. Par contre, on peut s’attendre à voir un certain nombre d’activités du monde de la société civile, mais aussi de la jeunesse politisée qui rejette soit le nationalisme de Klaus, ou parfois des sociaux-démocrates ou des communistes, mais aussi d’autres qui ont des identités de droite très nettes et qui rejettent l’arrivée au pouvoir possible d’une gauche qui leur rappelle trop le communisme. On peut aussi s’attendre à des manifestations de petits groupes, au faible potentiel de mobilisation, mais qui se multiplieront. »

La grande question est : va-t-il y avoir quelque chose comme il y a 10 ans, c’est-à-dire une manifestation monstre, la plus grande qu’il y ait eu depuis 1989 ?

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« Je ne le pense pas mais on ne peut pas le rejeter. En 1999, il y avait une alliance entre les deux principaux partis, les sociaux-démocrates et le parti démocrate civique de V. Klaus, et cette alliance a amené à un partage du pouvoir, avec le projet d’affaiblir le président Havel, et les petits partis centristes. Ceci a été considéré comme fortement immoral par une partie de la population.

Les leaders de la révolution de 1989 ont alors fait une pétition, en expliquant qu’ils n’avaient pas fait la révolution pour cela, et qu’il fallait que les politiciens rendent la démocratie au peuple. Ils ont décidé d’organiser une manifestation de rue qui a rassemblé autour de 60 000 personnes.

Si les héros de cette révolution, ou des anciens dissidents, ou leurs amis, se décidaient à vouloir reprendre la rue, ils pourraient avoir un fort potentiel de mobilisation. »

Pensez-vous que les Tchèques pourraient manifester en novembre prochain contre leur propre président, s’il refusait de ratifier le Traité de Lisbonne ?

« Le fort potentiel de mobilisation des groupes liés à Havel et aux anciens dissidents est lié à un certain nombre de thématiques. Et l’Europe en est une. Ce sont des individus qui défendent généralement l’Union européenne, mais aussi la société civile, la décentralisation, l’Université…L’attitude actuelle du président Klaus pourrait les amener à vouloir faire une déclaration de force, à vouloir prendre la rue. »