20 ans de manifestations de rue en République tchèque
Nicolas Maslowski vient de soutenir une thèse en sciences-politiques sur les manifestations de rue de 1989 à nos jours. A l’occasion de l’approche des 20 ans de la révolution de velours, il explique comment se présente la protestation en République tchèque.
« La révolution française a mené à un sentiment que le peuple dans la rue représente la souveraineté et a donc donné automatiquement énormément de légitimité aux manifestants. On pourrait s’attendre à ce que la révolution de velours, qui était une révolution de démocratisation, ait le même effet.
« Il y a 10 ans, la plus grande fédération de syndicats tchèques a sorti un petit livre sur l’évolution depuis 1989, et ils ont fait une liste des manifestations auxquelles ils ont participé. Cette liste non seulement était extrêmement courte, mais ils y indiquaient aussi les manifestations qu’ils avaient voulu organiser mais qu’ils avaient laissé tomber et ils appelaient ça ‘l’action peu conventionnelle’. En effet, pour les syndicats, manifester est peu conventionnel. Mais cela évolue et on voit ces dernières années de plus en plus de manifestations sectorielles, des agriculteurs, des médecins, des chercheurs, qui commencent à utiliser la rue et les médias. Et on peut s’attendre à ce que la gauche se rempare de la rue. Actuellement, la plupart des manifestations ne sont pas des manifestations syndicales.
Enfin, il y a de manière plus organisée et plus disciplinée quelques rares manifestations de communistes. Il s’agit plutôt de meetings du parti que d’une manifestation telle qu’on la comprendrait en France. Bien souvent, on y retrouve un podium avec des enfants qui lisent des poésies communistes et où on distribue des saucisses et de la bière. »D’ici un petit mois, en novembre 2009, nous allons donc fêter les 20 ans de la révolution de velours. Plusieurs groupes ont dit qu’ils allaient manifester à cette occasion. Attendez-vous avec impatience de voir ce qui se passera aux alentours de la mi-novembre, ou le 17 novembre, en République tchèque ?
« Je suis très curieux de voir ce qu’il va se passer. Evidemment, on peut supposer un certain nombre de choses sur la base de l’observation des 20 dernières années. Il risque peu d’y avoir de grands mouvements sociaux comme ce que l’on peut voir en France. Par contre, on peut s’attendre à voir un certain nombre d’activités du monde de la société civile, mais aussi de la jeunesse politisée qui rejette soit le nationalisme de Klaus, ou parfois des sociaux-démocrates ou des communistes, mais aussi d’autres qui ont des identités de droite très nettes et qui rejettent l’arrivée au pouvoir possible d’une gauche qui leur rappelle trop le communisme. On peut aussi s’attendre à des manifestations de petits groupes, au faible potentiel de mobilisation, mais qui se multiplieront. »
La grande question est : va-t-il y avoir quelque chose comme il y a 10 ans, c’est-à-dire une manifestation monstre, la plus grande qu’il y ait eu depuis 1989 ?
« Je ne le pense pas mais on ne peut pas le rejeter. En 1999, il y avait une alliance entre les deux principaux partis, les sociaux-démocrates et le parti démocrate civique de V. Klaus, et cette alliance a amené à un partage du pouvoir, avec le projet d’affaiblir le président Havel, et les petits partis centristes. Ceci a été considéré comme fortement immoral par une partie de la population.Les leaders de la révolution de 1989 ont alors fait une pétition, en expliquant qu’ils n’avaient pas fait la révolution pour cela, et qu’il fallait que les politiciens rendent la démocratie au peuple. Ils ont décidé d’organiser une manifestation de rue qui a rassemblé autour de 60 000 personnes.
Si les héros de cette révolution, ou des anciens dissidents, ou leurs amis, se décidaient à vouloir reprendre la rue, ils pourraient avoir un fort potentiel de mobilisation. »Pensez-vous que les Tchèques pourraient manifester en novembre prochain contre leur propre président, s’il refusait de ratifier le Traité de Lisbonne ?
« Le fort potentiel de mobilisation des groupes liés à Havel et aux anciens dissidents est lié à un certain nombre de thématiques. Et l’Europe en est une. Ce sont des individus qui défendent généralement l’Union européenne, mais aussi la société civile, la décentralisation, l’Université…L’attitude actuelle du président Klaus pourrait les amener à vouloir faire une déclaration de force, à vouloir prendre la rue. »